jeudi 11 février 2010

Le mécénat culturel - La chasse à la bécasse, un sport dangereux

Alberto Vilar en prison, le Festival de Pâques de Salzbourg embarqué dans une complexe histoire de corruption qui risque de toucher aussi le festival estival, malgré les dénégations de sa présidente et professionnelle du mécénat Helga Rabl-Stadler (nommée à l'origine, rappelons-le, pour mettre des bâtons dans les roues à la politique artistique ambitieuse de Gerard Mortier). Et pendant ce temps, salle Pleyel, pour le concert de Daniel Barenboim déjà mentionné et censément complet depuis longtemps, il restait quelques dizaines de places vides, peut-être une centaine (5% de la capacité de la salle, tout de même).

Quoi de commun, dans tout cela ? Le mécénat, bien sûr. Les places vides dans les concerts complets, ce sont des mécènes (en général des entreprises) qui achètent des places en bloc et ne prennent même pas la peine de les libérer quand ils n'en ont finalement pas l'usage, ou les bénéficiaires de ces places qui ont tellement mieux à faire que d'aller s'embêter au concert. Rien à voir avec la qualité dudit concert : ce sera pareil, on peut le parier, lors de la venue du Philharmonique de Berlin dans quelques semaines. Or, même avec mécénat et achat de ces places, tout ceci coûte de l'argent au contribuable via les subventions, qui sont ainsi utilisées pour financer des places inoccupées.

Alberto Vilar, ce fut pendant quelques années l'homme à tout faire du mécénat, et rétrospectivement on peut le voir comme  l'incarnation dans le domaine culturel des dérives du système financier dont même la droite a fini par convenir, une sorte de petit Bernard Madoff en quelque sorte. Il semblait alors qu'il suffisait qu'un orchestre soit menacé de se retrouver sur la paille pour que Vilar, en Superman, arrive pour régler les problèmes à coups de millions. Il y eut un portrait de lui à Salzbourg, une plaque au Met, le Floral Hall du Royal Opera à Londres s'appelait évidemment Vilar Floral Hall - et rien en France, la loi française rendant à l'époque le mécénat moins intéressant. La chute fut rude :  non seulement Vilar se retrouva ruiné (mais c'est son problème), mais il fut loin de tenir tous ses engagements, et surtout il s'avéra que sa fortune était fondée sur un échafaudage de fraudes diverses (d'où sa récente condamnation à 9 ans de prison). C'est vrai, la musique n'a pas encore eu le privilège de fricoter avec les fortunes pétrolières du Moyen Orient comme c'est le cas, bien malgré eux, pour les musées ou les universités (il y a des vendus partout), mais elle n'ignore pas pour autant les partenariats hasardeux.

Sur le Festival de Salzbourg, la mêlée est si confuse que je me garderai bien d'essayer d'en démêler les fils. On a entre autres des démissions de responsables accusés de corruption (il s'agit notamment d'un responsable technique : il n'y a pas qu'en France que les marchés publics dérapent), mais aussi des manœuvres troubles autour du mécénat du Festival de Pâques (qui, rappelons-le, tire son existence de la concurrence entre les Philharmoniques de Vienne et de Berlin, ces derniers tenant à être présents aussi à Salzbourg). C'est d'autant plus gênant que le festival est, nettement plus encore que le festival d'été, une sorte d'équivalent musical de Davos pour l'économie.

Le mécénat, paraît-il, est la panacée dans le domaine culturel, et bien entendu il est très condamnable de le critiquer : ces pauvres institutions culturelles qui coûtent si cher au pauvre contribuable français devraient remercier ces bonnes entreprises qui daignent leur jeter trois croûtons de pain de temps en temps. Que serait, nous chante-t-on régulièrement, les institutions culturelles sans le mécénat ? Eh bien... euh... à peu près la même chose, en fait, avec moins de publicité, moins de clinquant, et peut-être bien plus de places pour ceux qui ne sont pas arrosés par les entreprises mécènes.

Pourquoi ? Parce que le mécénat culturel donne lieu pour les entreprises à de tels avantages fiscaux qu'ils finissent par en rendre le coût dérisoire, alors même que leur mise en avant est disproportionnée par rapport à leur apport réel, en tout cas dans les pays civilisés. L'abattement de base est en effet de 60 %, augmenté d'avantages en nature (communication autour de l'action, billets de spectacle, visites privées, réceptions, etc.) pouvant atteindre jusqu'à 25 % du montant du don. Sachant que la récolte du mécénat est une activité coûteuse pour les institutions culturelles et peut facilement grignoter une partie non négligeable des 15 % restants, on se demande quel est le profit pour le contribuable et potentiel spectateur, puisque moins de places sont mises en vente pour le public normal et que l'essentiel du montant versé est récupéré par l'entreprise ou dépensé en contreparties et frais par l'institution qui reçoit le don.

C'est donc contre-productif dans le sens où ces places ainsi accaparées sont comme toutes les places financées par l'argent public, mais aussi parce que la mise en valeur des entreprises mécènes, sous des titres aussi pompeux que possible, va à l'encontre de ce que doit être l'essence de l'action publique en matière de culture : cette idée que c'est la communauté des citoyens qui organise ensemble, pour l'éducation de tous, les manifestations culturelles. On donne ainsi l'impression que les spectateurs doivent être reconnaissants d'abord aux entreprises, alors que c'est d'abord la communauté nationale qui leur offre le spectacle qu'ils voient. Sans parler des modalités de distribution de ces places achetées en gros par les entreprises : non seulement un certain nombre ne servent à rien puisque leurs bénéficiaires ne viennent pas, mais en plus elles consistent des avantages en nature qui, on s'en doute, vont rarement au simple ouvrier méritant - en cette période où on parle régulièrement de bonus et avantages en tout genre, ces cadeaux effectués par les entreprises à leurs cadres ou aux relations professionnelles de ceux-ci grâce à l'argent public ne peuvent que susciter une certaine ironie.

Comme je suis généreux, je vous offre un petit texte trouvé sur un pdf du ministère de la culture :


Au-delà de l’intérêt personnel que vous pouvez avoir pour la culture ou certaines actions culturelles de proximité, il faut envisager le mécénat culturel comme un partenariat gagnant-gagnant qui doit s’inscrire dans la stratégie de votre entreprise. 
Il y a trois bénéfices majeurs à tirer d'une telle démarche... 
• C’est un moyen idéal pour communiquer autrement :  
- en externe, vis-à-vis de vos clients, de vos partenaires ou du grand public, 
- en interne, auprès du personnel de votre entreprise. 
• C’est une façon d’affirmer vos valeurs et de mettre vos compétences au service de l’intérêt général.  
• C’est aussi une façon de soutenir le développement culturel local et donc de participer à l’attractivité de votre territoire.



Ne me remerciez pas, j'aime partager mon goût pour la poésie pure.
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