vendredi 13 février 2009

Evénement

Il y a eu, paraît-il, un événement au début de ce mois dans la vie musicale parisienne. Salle bondée (le Théâtre des Champs-Elysées), public mondain aux anges, stars et paillettes. On y jouait, en version de concert, Le Chevalier à la Rose, avec Renée Fleming, Sophie Koch, Diana Damrau, sous la direction de Christian Thielemann.
Événement ? La version de concert d'un opéra on ne peut plus classique, avec des chanteurs qui ont déjà traîné leurs guêtres dans ces rôles sur toutes les scènes du monde, entre autres à Paris, sous la direction d'un chef présent chaque année à Paris pour des concerts symphoniques qui ne déchaînent guère l'enthousiasme ?
Peu importe, au fond, la qualité réelle de l'exécution : je n'y étais pas, et pas seulement par aversion résolue pour les maniérismes et la diction pâteuse de Mlle Fleming, pur produit marketing (car le marketing existe aussi en musique classique, et il n'est pas moins efficace qu'ailleurs pour faire trouver divin des produits bas de gamme). Le problème, c'est de comprendre comment un tel concert, où rien n'a la moindre originalité, où rien n'est créé, où tout est tellement formaté pour le succès que l'émotion y est impossible (sinon l'émotion programmée des fans, qui ne me sont en rien plus sympathiques que ceux de Johnny Halliday ou de la Star Academy, et auraient bien tort de se croire plus intelligents qu'eux), peut être qualifié d'événement.

Et ce d'autant moins qu'au même moment l'Opéra Garnier affichait Yvonne, Princesse de Bourgogne, le nouvel opéra de Philippe Boesmans (dont j'ai tant aimé l'opéra précédent, Julie, heureusement disponible en DVD). Une œuvre immédiatement accessible, d'une grande intelligence, sur un livret d'une qualité incomparablement supérieur à celui du Chevalier d'ailleurs*, avec des chanteurs certes moins célèbres, mais dont on sent à quel point leur rôle a été écrit pour eux (Mireille Delunsch, Yann Beuron, Paul Gay), voilà ce que j'appelle un événement. On peut toujours trouver à redire sur de telles soirées, et notamment, ici, que la mise en scène illustrative au premier degré de Luc Bondy est loin d'explorer tout ce que l'oeuvre contient en elle, mais au moins, une oeuvre a été créée.

Et puis, pour parler un peu de théâtre, on avait là sur scène l'actrice allemande Dörte Lyssewski dans le rôle titre (quasiment muet) : quand on va trop au théâtre en France, on oublie que l'acteur, ce n'est pas seulement une bouche qui dit un texte, c'est également un corps. Ce que montre Mlle Lyssewski avec une formidable éloquence muette, comme l'avait fait, il y a quelques semaines, l'Anglaise Fiona Shaw, avec le verbe (et avec verve), dans le prologue poétique qu'avait ajouté Deborah Warner à sa mise en scène de Didon et Enée de Purcell (Opéra-Comique, un des rares spectacles de cette maison à s'être hissé au niveau qu'on attendait d'elle). Voilà ce que sont des acteurs, voilà ce qu'est le théâtre.

* Le culte des amateurs d'opéra pour Hofmannstahl est, je trouve, très excessif. Encore le Chevalier, même avec ce passéisme forcené qui le caractérise, est-il agréable et léger, comme Ariane ; mais La femme sans ombre, quel indigeste salmigondis ! Il y a tellement mieux en littérature à cette époque, y compris - à peine quelques années plus tard -, le jeu de massacre de Gombrowicz !
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