mercredi 28 mai 2008

Théâtres

I.

La comédienne Christine Fersen, doyenne de la Comédie-Française, est décédée. C'était une comédienne discrète, intense, noble.
La nouvelle doyenne devrait être Catherine Hiegel, autre actrice précieuse. On les avait vues toutes deux ensemble à l'affiche de la pièce de Goldoni Il Campiello. Je me souviens avec émotion du plaisir qu'avaient ces belles artistes à s'amuser à jouer les vieilles cancanières de la pièce.

II.

Le théâtre français ne me va guère, en ce moment. Je n'ai pas des décennies de recul pour savoir si c'était mieux avant - cela ne changerait au reste rien : je n'aime guère ce que je vois. C'est déjà un problème, mais il y en a un autre, c'est que je ne sais pas très bien pourquoi. Voici donc, à défaut d'analyse, quelques remarques relatives à des impressions théâtrales récentes.

III.

Soit deux pièces de Tchékov. L'une, Platonov, en français il y a quelques années, dans la mise en scène d'Alain Françon au Théâtre de la Colline. L'autre, Ivanov, mardi soir, en hongrois surtitré, aux Ateliers Berthier, par la troupe du Théâtre Katona de Budapest dans la mise en scène de Tamas Ascher. Deux mondes théâtraux qui pourraient sembler proches et que pourtant tout oppose. Dans les deux cas, la figure d'un certain réalisme théâtral, avec des décors platement illusionnistes chez Françon, un unique décor plein de la beauté particulière des lieux décrépits chez Ascher.
Les deux mises en scène ont été des succès critiques et, dans une large mesure, publics. Mais tandis que le spectacle français m'a plongé dans les tréfonds d'un ennui sans espoir, le spectacle hongrois dégage une sorte de jubilation théâtrale qu'on n'est pas près d'oublier.
Pourtant, que se passe-t-il sur la scène ? Rien de particulier, d'une certaine façon : une nombreuse troupe joue - bien, mais c'est un peu une évidence - son rôle ; si l'on prend chaque moment individuellement, on pourrait se contenter de considérer qu'ils font, tout simplement, ce que leurs personnages auraient fait; parfois on se prend à regarder le détail d'une main, d'un geste, mais il n'y a là rien qui approche de près ou de loin d'une "performance d'acteur" - concept haïssable. Il y a, simplement, le fait que tout ceci mène quelque part : on pourrait parler de la subtilité de l'atmosphère, de l'ambiguïté permanente entre le rire pas drôle et la déprime comique. Je ne sais comment le dire : rien n'est symbolique, mais tout fait sens.
Repenser au spectacle de Françon, en comparaison, est étrange, où au contraire rien ne dépassait la mise en image de l'instant, longue seconde après longue seconde. Et les acteurs jouaient leur rôle, avec une bonne volonté désarmante, si naïvement attachés à bien dire leur texte - et, dans le flot des bonnes intentions, le détruisant par la monotonie; jouant avec leur bouche uniquement, et utilisant leur corps seulement quand ils y pensaient, et l'impression désolante derrière tout cela qu'il n'y avait aucune direction, aucune logique, aucun résultat...

IV.

Ce n'est pas tout. Je suis aussi allé voir Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, cet auteur martyre du sida, que la Comédie Française a fait entrer à son répertoire dans une mise en scène fort ennuyeuse. Dans le même temps à peu près, j'ai lu deux pièces de Thomas Bernhard, Au but et La force de l'habitude. L'acidité constitutive de l'écrivain autrichien agit cruellement sur ma perception de l'auteur français, et ce d'autant plus qu'on pourrait avoir l'impression que les techniques d'écriture sont les mêmes, avec ces courtes phrases répétées, où le personnage tente par à-coups d'approcher ce qu'il ne parvient pas à dire comme il le voudrait.
La pièce de Lagarce raconte l'histoire d'un (encore assez jeune) homme qui revient voir sa famille en province. Il va mourir, comme l'auteur, et il ne parvient pas à communiquer vraiment avec ses "proches". Le drame de l'incommunicabilité, cela n'a rien de nouveau, mais quand c'est en plus couplé avec des stéréotypes aussi caricaturaux, cela en devient agaçant. Bien sûr, les ploucs de province ne peuvent pas comprendre le spleen existentiel de celui qui les a quittés pour d'autres sphères, et le faux retournement - où le frère antipathique révèle qu'au fond lui aussi a un coeur et des sentiments - ne fait que redoubler l'artificialité du tout.
Rien à voir donc, en fait, avec les qualités immenses du théâtre de Bernhard, qui rien qu'à la lecture bouillonne certes de méchanceté, mais aussi de vie. Musicalité extraordinaire (en tout cas dans le texte original), limpidité de la pensée, construction impitoyable : c'est cela, un écrivain ; c'est cela, un dramaturge. Chez Bernhard, comme d'ailleurs chez Brecht avec des moyens très différents, le geste, le corps de l'acteur est déjà là, dans la langue même, inscrit dans la chair de la langue.
Où trouve-t-on aujourd'hui en France une telle puissance de l'écriture qui fond sous la langue comme un mets précieux?

V.

Reste, pour terminer ce long tour d'horizon, le cas Olivier Py. Après son sympathique Rake's progress donné à l'Opéra Garnier, je suis allé voir L'Orestie d'Eschyle, donné ces jours-ci à l'Odéon. Spectacle long, comme il se doit pour cette trilogie fleuve ; spectacle évidemment plus intéressant que Françon ou que Lagarce. Je n'ai jamais vu de pièce de l'auteur Olivier Py, et cette tentative ne répond que partiellement à mes interrogations.
Py travaille, dans ce spectacle, sur l'effroi, sentiment fondateur du théâtre tragique grec : ce silence qui naît devant des événements si terribles que la parole meurt. L'effroi est là, par moments, et le spectateur est alors saisi par la puissance tragique. Ce ne sont, hélas, que moments. Il faut subir, en attendant, les cris d'acteurs souvent médiocres, le grand-guignol d'actrices réduites par Py au rôle unique de mère castratrice (ce qui vaut pour Clytemnestre, bien sûr, mais s'étend aussi à la nourrice, à Electre, à la coryphée des Choéphores...), une musique d'une pauvreté insigne...
Je ne crois pas, à défaut de connaître les pièces de Py, qu'il soit le prophète d'un renouveau du théâtre français. Je lui sais gré de réhabiliter la dimension visuelle du théâtre, de chercher la sensation indicible, de ne pas se laisser arrêter par les bienséances de l'acteur du cours Florent. Je lui souhaiterais un peu plus de sens de la scène, du rythme théâtral, de la musique du texte.
Peut-être est-il un bon dramaturge - à en juger par ses talents de metteur en scène, la hauteur avec laquelle il domine aujourd'hui le monde du théâtre en France apparaît comme un signe inquiétant pour celui-ci. Que faire quand l'avant-garde en est là ?

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