samedi 30 décembre 2006

Candide au pilori

Déjà chassé de ses pénates à cause de ses amours enfantines, le pauvre Candide se trouve chassé maintenant de la Scala de Milan, coproducteur de l'excellent spectacle donné ce mois-ci au Châtelet. Ce n'est en effet pas de Roberto Alagna, dont les déclarations imbéciles témoignent de moins de candeur que de suffisance, que je veux parler, mais bien de l'opérette de Bernstein.
Cela fait, cela dit, un deuxième scandale en moins d'un mois à la Scala: on savait bien, depuis longtemps, que la Scala n'était plus qu'un théâtre de second ordre, mais on pouvait penser que le départ de l'autocrate Muti, aussi médiocre directeur que médiocre chef, était l'occasion de changer les choses. La programmation, pour une ouverture de saison, d'une Aida mise en scène par Zeffirelli, était déjà un signe inquiétant; la déprogrammation, annoncée par la presse mais pas par le site du théâtre, est pire que cela.
On comprendrait cette déprogrammation si la mise en scène de Carsen avait été un brûlot politique: elle ne vise en fait à rien d'autre qu'au divertissement, ce qui était déjà le cas de l'oeuvre originale de Bernstein, satirique mais pas vraiment corrosive. Les édiles milanais, face auxquels le directeur Stéphane Lissner n'existe pas, se sont donc effrayés non pas d'un spectacle politique, mais d'un simple reflet de la politique, atténué et poli. Il est toujours étonnant de constater à quel point les vissicitudes de la Scala reflètent toujours le marasme politique de tout un pays...

PS (11.1.07): bien entendu, la Scala a été obligée de faire marche arrière... Candide sera donc joué, mais dans une version soigneusement expurgée... C'est beau la liberté d'expression!

mercredi 27 décembre 2006

Musique légère: il n'y a pas de quoi rire...

Une des particularités de ce début de saison pour moi aura été la multiplication des spectacles lyriques "légers", du Chanteur de Mexico (voir ci-dessous!) à Candide en passant par la Veuve joyeuse. Je ne peux pas dire que cela corresponde vraiment à un goût personnel, mais plutôt à une tendance générale que ma fréquentation boulimique des salles ne fait qu'enregistrer. Quant à ce que cela dit sur notre époque, j'en parlerai peut-être plus tard - peut-être jamais, peut-être demain, mais pas aujourd'hui, c'est certain! Peut-être avons-nous quelque chose à cacher, comme les nazis le faisaient à travers les nombreuses comédies légères et opérettes filmées qui constituaient l'essentiel de la production allemande de la première moitié des années 1940...

Ce que je voudrais surtout dire, en fait, c'est que je ne me suis pas amusé beaucoup, dans tout cela! Je ne reparlerai pas du Chanteur de Mexico, spectacle ennuyeux et poussif frisant constamment l'amateurisme; dans un cas, c'était volontaire, et plutôt réussi: je veux parler de "L'histoire vraie de la Périchole" de Julie Brochen d'après Offenbach, un spectacle d'Aix 2006 vu récemment à Lyon, avec la superbe Jeanne Balibar qui par ailleurs chante fort mal. On pourra certainement déceler une forme de snobisme postmoderne dans cette adaptation, mais j'ai été sensible à l'étonnante mélancolie qui s'en dégageait, à la théâtralité innovante de la narration, à la fragilité assumée de ce spectacle. Je n'ai donc pas beaucoup ri, parfois souri, mais j'ai néanmoins pris beaucoup de plaisir à cette évocation impressionniste.

Il n'y avait certes pas tellement de musique dans cette adaptation, mais y en a-t-il beaucoup plus dans La Veuve joyeuse, que ce soit dans la version originale (vue à Augsbourg en novembre) ou dans une pitoyable traduction française à Lyon il y a quelques jours? On se demande pourquoi, un siècle après, on se croit encore obligé de jouer cette pauvre chose, alors que mille autres oeuvres, plus drôles, plus entraînantes, plus intelligentes (contrairement à ce que pensent certains, ça ne nuit pas) attendent leur tour! Les méfaits de la notoriété, une fois de plus: quand une oeuvre est connue du grand public, on a bien du mal à s'en débarrasser - j'ai d'autres exemples en tête!

Cela dit, il faut reconnaître que la version augsbourgeoise était regardable, grâce à l'expérience de l'ensemble des participants et grâce au charisme de l'interprète principale, la soprano Sally Du Randt, qui est employée à l'année au théâtre d'Augsbourg. A côté d'elle, la malheureuse Véronique Gens apparaît pour ce qu'elle est, une chanteuse sympathique et dotée d'une voix que nous ne contesterons pas, mais toujours aussi lymphatique et dénuée de tout rayonnement. Elle aurait pu être sauvée par la mise en scène: elle ne l'a pas été, à cause d'un travail d'une étonnante pâleur de la part de Macha Makaieff. C'était, je l'avoue, pour elle que j'y allais, espérant qu'elle mettrait un peu de folie, de singularité, d'individualité et, osons le dire, d'émotion dans cette piécette.

Las! Madame a eu l'idée de rendre sérieux et émouvants les deux marionnettes principales; on peut quand même dire qu'il eût été plus simple de prendre une oeuvre où les personnages principaux ont d'eux-mêmes de l'intérêt; surtout, cette entreprise est totalement ratée, la faute en partie à la mollesse incorrigible de Mme Gens: il en reste un spectacle propre sur soi, dans de bons gros décors "Au théâtre ce soir", avec une absence à peu près totale d'humour (sans même parler d'autodérision). On s'ennuie ferme pendant tout le spectacle, entouré qui plus est d'un public qui ne sait pas qu'on se tait à l'opéra et dans la salle d'opéra la plus mal conçue du monde.

Après tous ces malheurs censés nous mettre dans une ambiance festive, c'est avec une forte inquiétude que je me suis rendu hier soir au Châtelet pour Candide de Bernstein. Là encore, c'était le nom du metteur en scène qui m'y attirait, plus qu'une oeuvre dont les mérites musicaux restent bien modestes (à moins de comparer avec la Veuve joyeuse, bien sûr). Ouf! Robert Carsen reste Robert Carsen, et la réussite égale, au moins à proportion des mérites des oeuvres, celle de ses mémorables Alcina (Garnier 1999 et 2004, en attendant 2008?) et Rusalka (DVD TDK indispensable pour qui veut comprendre ce qu'est la mise en scène d'opéra). Je ne détaillerai pas, d'autant plus que chacun pourra s'en rendre compte dès le 20 janvier sur Arte: clarté du dessein général, perfection de la finition, profondeur du travail dramaturgique, sens du rythme et de la variété... Ecco un artista!, comme dirait un autre personnage d'opérette...

Reste à savoir pourquoi on choisit de jouer ce répertoire, a fortiori dans des théâtres subventionnés qui n'ont pas à aller ainsi pêcher le client en jouant la facilité. Mais c'est, une fois encore, une autre histoire!

mardi 5 décembre 2006

Ouvrez les yeux

Samedi 2, dimanche 3 décembre: deux représentations à l'Opéra, une à Bastille, une à Garnier, et finalement, un constat commun. C'est rare de pouvoir assister ainsi en moins de 24 heures à deux productions d'un tel niveau. Les deux mises en scènes, pourtant, sont on ne peut plus dissemblables: miroirs et grands espaces dans le Chevalier à la Rose mis en scène en 1995 par Herbert Wernicke; éclairages très sombres, plateau limité pour l'Idomeneo de Mozart, importé de la Scala, signé par Luc Bondy. Le décor joue un grand rôle chez Wernicke, grâce à ces miroirs mouvants qui reflètent tantôt les spectateurs, tantôt divers décors d'intérieurs XVIIIe, dont on ne voit jamais rien d'autre que le reflet; il est marginal, bien que très beau, chez Bondy.
Des deux, c'est le spectacle de Bondy qui me paraît le plus extraordinaire, peut-être d'ailleurs aussi parce que l'oeuvre est plus intéressante. Rien que le dénouement, d'un pessimisme total qui n'étonnera pas chez Bondy*, est une leçon de théâtre.
Je parlais de constat commun: c'était malheureusement aussi vrai du point de vue musical. Thomas Hengelbrock (Idomeneo) est un très bon chef, et Philippe Jordan (Chevalier) ne se débrouille pas mal non plus; le problème, dans les deux cas, était du côté des chanteurs. A Bastille, on ne sauvera que le classique Ochs de Franz Hawlata et l'excellent Olaf Bär en Faninal; les dames, elles, sont presque inaudibles et surtout d'une placidité qui contamine leur jeu scénique; l'absence de style, chez Heidi Grant Murphy, n'étonnera personne.
A Garnier, pas de chanteurs inaudibles, mais une même placidité: Camilla Tilling est d'une grande banalité, ce qui ne surprend guère; mais Joyce diDonato ne justifie en rien les louanges qui lui sont faites. Je suis un peu las de ces mezzos sans couleur et sans saveur, qui ont certes une belle voix mais n'en font pas grand-chose. En faire une tragédienne, c'est vraiment ne pas avoir beaucoup de notions de ce qu'est le théâtre... Autre problème, le rôle-titre: Ramon Vargas était annoncé souffrant, et l'était sans doute en effet. Mais que diable n'a-t-il pas annulé! Remplacer un Idoménée n'est pas bien difficile, et cela aurait permis d'entendre un peu de Mozart, plutôt que ce qui nous a été infligé. Même le vieux Thomas Moser, qui chante avec difficulté mais beaucoup de présence le rôle d'Arbace, aurait mieux tenu la route que Vargas. Je veux bien admettre qu'il est extraordinaire quand il est en forme, mais il ne l'était pas. En revanche, je doute que sa maladresse scénique et le mauvais goût de son ornementation soient dus à son état... Heureusement Mireille Delunsch, en Elettra, est là pour chanter Mozart et surtout l'interpréter: un peu de fatigue vocale peut-être, mais la tragédienne du spectacle, la voilà.
Il est désormais bien connu que, depuis les années 1970, c'est grâce à la mise en scène que l'opéra a été sauvé: cela n'a jamais été autant vrai que ce week-end!


*Au fait, il paraît que l'admirable Julie de Philippe Boesmans, créé à Aix-en-Provence il y a un ou deux ans, et mis en scène par Luc Bondy (comme toujours pour Boesmans...), va paraître prochainement en DVD. Quel bonheur!

dimanche 3 décembre 2006

Médiocre et fier de l'être

Le ministre de l'Inculture a nommé Nicolas Joël directeur délégué de l'Opéra de Paris, c'est-à-dire, concrètement, futur directeur de la maison à partir de 2009. C'est là la marque d'un grand professionnel de la politique dans un domaine où son ignorance est notoire: ah, l'actuel est trop moderne*? Bon, on va vous nommer un ringard.
Nicolas Joël est aussi metteur en scène, et la seule bonne nouvelle est que ses nouvelles fonctions vont sans doute l'écarter de la mise en scène (le contraire serait inadmissible). Ennemi juré du baroque qu'il a programmé le moins possible, se présentant volontiers en sauveur du vrai bon opéra, qui a de l'expérience (lui), qui connaît les chanteurs (lui), qui défend le bon répertoire français (lui), il était depuis plusieurs années le porte drapeaux de tout ce que le monde lyrique comporte de rance en France. Heureusement, comme toujours, ceux qui le portent aux nues aujourd'hui viendront lui cracher au visage deux ans après sa nomination et pleureront le bon temps de Monsieur Mortier. Ainsi va le monde...

*Ce qui reste à démontrer, du reste, mais on fera le bilan de Mortier (qui est à mon avis plus moderne en parole qu'en réalité) une autre fois merci.

vendredi 1 décembre 2006

Retour au Ring (1)

L'épisode précédent avait eu lieu à Paris, au théâtre du Châtelet. Les deux maîtres d'oeuvre en avaient été le directeur musical de l'Orchestre de Paris, Christoph Eschenbach, et l'Artiste Universel Autoproclamé* Robert Wilson. Comme chacun sait ou presque, l'aventure s'était terminée par une triple catastrophe scénique, vocale et orchestrale, sans compter celles racontées par Wagner dans l'oeuvre elle-même. De ce monument d'ennui pour les yeux et de laideur pour les oreilles, je n'ai pas gardé beaucoup d'impressions positives: les excellents Stephen Milling (Hunding) et Peter Seiffert (Sigmund) ne pèsent guère face à l'indigne Wotan de Jukka Rasilainen, qui à lui seul aurait suffi à ce qu'on puisse qualifier l'entreprise d'échec, le piteux Alberich de Sergei Leiferkus, la pataude Erda d'une Chinoise dont j'ai oublié le nom et la stridente Brünnhilde de Linda Watson. Sans parler de la direction incohérente d'Eschenbach.

Le mot plaisir a été quasiment absent de ces quatre interminables soirées: même des scènes que j'adore (Wotan/Erda dans Siegfried...) m'ont totalement laissé froid...

Le paradoxe de cette apocalypse, c'est qu'elle n'a fait que renforcer mon amour pour ce cycle, que je crois comprendre mieux qu'il y a un an: comme si mon esprit s'était révolté devant ce qu'on lui faisait subir et avait voulu justifier cet amour en en interrogeant les racines...

C'est donc frémissant d'espoir et d'impatience que je me suis rendu au cycle donné à Munich en novembre dernier, dans ce haut lieu wagnérien qu'est l'Opéra de Bavière. Créé en 2002, l'Or du Rhin mis en scène par Herbert Wernicke aurait dû se prolonger par un cycle complet - mais Wernicke, hélas, est mort, et c'est David Alden, après quelques péripéties, qui a signé la suite. Cette production bicéphale, dont c'était la dernière représentation, a suscité dans le public bavarois des haines tenaces de pseudo-wagnériens qui croient détenir la vérité mais en restent aux aspects les plus superficiels de l'oeuvre, et heureusement aussi quelques soutiens tenaces.

Ayant eu la chance de voir les 3 premiers volets du cycle en 2003-2004, c'est avec un grand plaisir que je retrouvais pour ma part ces productions stimulantes, souvent drôles (oui, parce que Siegfried, en particulier, EST drôle - ce que Wilson, évidemment, n'a pas plus compris que les psedu-wagnériens rancis), toujours riches en idées. Mais avant d'aller plus loin, débarrassons-nous d'un pensum: voici donc quelles étaient les distributions... (chaque rôle n'étant pas répété quand il réapparaît ultérieurement, à une exception près...)


[Photo: décor de l'Or du Rhin]

DAS RHEINGOLD
Wotan John Tomlinson
Donner Hans-Joachim Ketelsen
Froh Nikolai Schukoff
Loge Philip Langridge
Alberich Franz-Josef Kapellmann
Mime Ulrich Reß
Fasolt Jan-Hendrik Rootering
Fafner Kurt Rydl
Fricka Mihoko Fujimura
Freia Camilla Nylund
Erda Anna Larsson
Woglinde Ileana Tonca
Wellgunde Daniela Sindram
Floßhilde Sarah Castle

DIE WALKÜRE
Siegmund
Christopher Ventris
Hunding Matti Salminen
Sieglinde Waltraud Meier
Brünnhilde Linda Watson

SIEGFRIED
Siegfried Stig Andersen
Brünnhilde Nadine Secunde
Waldvogel Ileana Tonca

GÖTTERDÄMMERUNG
Gunther Juha Uusitalo
Hagen Matti Salminen
Brünnhilde Gabriele Schnaut
Gutrune Emily Magee
Waltraute Mihoko Fujimura
1. Norn Catherine Wyn-Rogers
2. Norn Heike Grötzinger
3. Norn Irmgard Vilsmaier

La suite est à venir...

*Je tiens à signaler que, malgré cette formulation peu aimable, je dois à Wilson quelques-uns de mes plus beaux spectacles d'opéra, notamment Orphée et Eurydice de Gluck (Châtelet/DVD) et Pelléas et Mélisande (Garnier puis Bastille, hélas sans DVD). Mais sa prétention sans limites et quelques ratages complets me rendent le personnage peu sympathique...
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