lundi 21 juin 2010

Pelléas séduit, le Ring s'endort

Que faire quand un Ring commence mal ? En 2005 au Châtelet, la direction de Christoph Eschenbach, le Wotan de Jukka Rasilainen, la mise en scène trop ennuyeuse pour être ne serait-ce qu'esthétique de Robert Wilson se présentaient dans toute la splendeur de leur nullité dès les premières scènes de l'Or du Rhin, et la suite ne faisait que confirmer. Le Ring de l'Opéra de Paris n'a peut-être pas aussi mal commencé, mais on ne peut pas dire que le premier volet ait convaincu que ce soit pour l'orchestre, pour les voix ou pour la mise en scène, ce qui est particulièrement regrettable quand on voit la floraison de grandes mises en scène wagnériennes partout en Europe - le DVD, avec les comparaisons qu'il permet, est ici cruel.
Le second volet - La Walkyrie, donc - apporte au moins un soulagement : la mise en scène de Günter Krämer est certes nulle, mais elle l'est cette fois au sens mathématique du terme ; quelques petites idées sont compensées par quelques petits ridicules, là où dans L'Or du Rhin les idioties pullulaient. Il ne suffit pas d'un effet de miroir et d'une jolie robe rouge (pour Fricka) pour faire une mise en scène ; et mettre des figurants partout, ça prouve que la droite n'est pas aussi hostile aux emplois aidés qu'elle le prétend, mais Krämer a tort de croire que ça occupe au moins l'attention du spectateur.

Quant à la Chevauchée qui a fait les choux gras de la presse - et visiblement profondément choqué deux vieilles dames devant moi -, l'idée n'est pas mauvaise, mais la réalisation est calamiteuse : les Walkyries sont chargées d'amener à Wotan des héros morts, et les montrer en train de les remettre sur pied, en toute inconscience de la souffrance (les plaies) et du corps (d'où la nudité), c'est évidemment pertinent. Mais à aucun moment M. Krämer ne semble se préoccuper de la musique : personne ne lui a demandé d'illustrer ce passage trop connu en collant à son rythme, mais de là à s'en abstraire complètement sans tenter de créer des relations, c'est pousser la négligence un peu loin !

La mise en scène faisant ici profil bas par rapport au volet précédent, la distribution étant également bien plus satisfaisante (y compris le couple Robert Dean Smith/Ricarda Merbeth, si insupportable dans La ville morte), c'est ici le problème de la direction de Philippe Jordan qui se trouve cruellement mis en évidence. J'avais parlé de Petit suisse pour L'or du Rhin, je ne sais quel produit laitier pourrait cette fois venir à mon secours pour décrire l'inconsistance de son travail pour la représentation de dimanche. Loin de moi toute hostilité de principe à Philippe Jordan : j'ai eu le plaisir de le voir diriger, à Berlin, un magnifique Bal masqué d'une enivrante beauté sonore qui ne manquait pour autant pas de théâtre (magnifique autant que ce nanar qu'est Un bal masqué peut l'être, évidemment), et son Chevalier à la rose de 2006 était très prometteur. Mais toutes les promesses ne sont pas faites pour être tenues.

La recherche d'une sorte de beauté sonore immédiate semble être une marque de fabrique du jeune chef, et on sent bien qu'il est à la recherche d'une sonorité impalpable, très éthérée : le problème, c'est d'une part qu'il ne la trouve pas (mais alors pourquoi s'obstine-t-il ?), d'autre part qu'il lui fait une confiance tellement excessive qu'il néglige l'articulation de cette musique. Combien de fois ai-je cru pendant un pianissimo de l'orchestre que le chef s'était endormi et que la musique n'allait pas reprendre ensuite ? Une mise en scène sans intérêt mais pas gênante, on pourrait encore s'en accommoder ; mais que peut devenir un Ring musicalement aussi lymphatique ?

Pendant ce temps, l'Opéra-Comique - dont j'ai dit tant de mal ici - a de son côté renoncé, au moins le temps d'un spectacle, à me plonger dans un sommeil profond. J'ai toujours eu un a priori positif, cruellement déçu ces derniers temps, pour Philippe Jordan ; ce n'est pas le cas pour John Eliot Gardiner, chef très surestimé dans le domaine lyrique (ses Troyens, notamment, mais aussi la plus récente Carmen ont reçu des triomphes critiques totalement immérités) : mais les présupposés sont faits pour être détrompés. Pour ce Pelléas, Gardiner réussit enfin à faire vivre son orchestre, à tel point qu'on aurait bien tort de s'arrêter à quelques couacs des cuivres ou à une certaine verdeur des cordes. On n'en oublie pour autant pas les deux Pelléas magnifiques que les Parisiens ont pu admirer en moins de 10 ans, Sylvain Cambreling à Bastille en 2004 (dense, noir, intense), Bernard Haitink avenue Montaigne en 2007 (éthéré, impalpable, mystérieux - juste ce que P. Jordan essaie de faire en vain dans La Walkyrie) - mais aux standards habituels de l'Opéra-Comique, c'est remarquable.

Quand en plus on a droit à une belle mise en scène de Stéphane Braunschweig, on aurait bien tort de se plaindre (au TCE, c'était Martinoty, très oubliable...) : un des rares vrais metteurs en scène de ce pays, intelligent et compétent, même si on rêverait peut-être de quelque de plus surprenant, sans doute. On se dit que si Nicolas Joel avait un peu de sens commun, c'est vers ce genre de mises en scène, qui ne choquent pas les plus conservateurs tout en séduisant le grand public, qu'il se dirigerait, plutôt que du vieux Regietheater mal digéré alternant avec du carton-pâte mal fichu...

Je ne souhaite pas commenter toute la distribution, avec ses forces (Nathalie Stutzmann, qui fait de sa Geneviève une démonstration d'intelligence musicale et textuelle) et ses faiblesses (un Arkel indigne, comme on n'entend pas ça tous les ans ; Marc Barrard en Golaud, lourd et mal chantant) ; mais il faut signaler un véritable événement (de ceux qu'on a attendus en vain à l'Opéra cette saison), le miracle de la Mélisande de Karen Vourc'h. Je ne connaissais pas vraiment cette chanteuse, et je n'assure aucune garantie sur d'autres rôles ; toujours est-il qu'avec une voix qui n'entre pas dans les canons classiques, et avec qui plus est une finesse scénique qu'on ne rencontre pas tous les jours, elle dégage une émotion qui m'a médusé. Comment fait-elle ? Je ne sais, mais ce qui en sort, c'est tout simple : c'est Debussy tout pur, comme un langage entièrement naturel, avec une lumière irradiante et chaude. C'est cela aussi qui fait son triomphe : loin des Mélisande sombres, victimes du sort et promises à la destruction, une Mélisande toute en jeunesse, toute en fraîcheur. Merci Karen !


Wagner
La Walkyrie/Die Walküre

Philippe JordanDirection musicale
Günter KrämerMise en scène
Jürgen Bäckmann       Décors
Falk BauerCostumes
Diego LeetzLumières
Otto PichlerChorégraphie

Robert Dean Smith Siegmund
Günther Groissböck Hunding
Thomas Johannes Mayer Wotan
Ricarda Merbeth Sieglinde
Katarina Dalayman Brünnhilde
Yvonne Naef Fricka
Marjorie Owens, Gertrud Wittinger, Silvia Hablowetz, Wiebke Lehmkuhl, Barbara Morihien, Helene Ranada, Nicole Piccolomini, Atala Schöck, Gertrud Wittinger, Les Walkyries

Debussy
Pelléas et Mélisande

Direction musicale, Sir John Eliot Gardiner
Mise en scène et scénographie, Stéphane Braunschweig
Costumes, Thibault Vancraenenbroeck
Lumières, Marion Hewlett

Pelléas, Phillip Addis
Mélisande, Karen Vourc'h
Golaud, Marc Barrard
Arkel, Markus Hollop
Geneviève, Nathalie Stutzmann
Yniold, Dima Bawab
Un médecin, Luc Bertin-Hugault
Un berger, Pierrick Boisseau

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