mardi 4 mai 2010

2010/2011 : du côté des réacs, et un peu de théâtre aussi

Opéra-Comique et Châtelet, deux faces d'une même médaille, celle d'une Restauration au service d'œuvres justement oubliées. Il est de bon ton désormais de dire que finalement, l'opéra-comique de grand-maman ou les comédies musicales de Broadway millésimées, ça vaut bien Mozart ou Wagner, sans parler de Schönberg ou de Boulez honnis pour leur exigence : inutile, je crois, de souligner que cette attitude n'est que le reflet dans le domaine culturel de la tendance frileuse et réactionnaire qui parcourt toute la société française d'aujourd'hui. Surtout, ne pas penser, ne pas penser...

Cette saison, l'Opéra-Comique franchit un pas supplémentaire : deux des productions qu'il présente dépassent les quinze ans d'âge et sont remontées ex nihilo (comme le fait aussi l'Opéra avec les Noces de Figaro version Strehler). Le fait qu'il se soit agi à l'époque de productions marquantes ne peut masquer le raisonnement sous-jacent : haro sur la création d'aujourd'hui, rien ne vaut les vieilles soupes... Le choc qu'ont vécu les spectateurs d'Atys en 1987 survivra-t-il au passage du temps ? Je ne le crois pas : à supposer que le spectacle soit remonté de façon vivante, le regard contemporain y lira un spectacle plutôt convenu, un peu surchargé, qui ne rend pas vraiment justice à la dramaturgie de Quinault. Quant aux Brigands d'Offenbach mis en scène par Jérôme Deschamps, la drôlerie de ce spectacle par ailleurs peu innovant était dévastatrice en 1993 ; on doute à vrai dire, au vu des derniers spectacles du clan Deschamps (on parlera bientôt ici de la Calisto de Cavalli mise en scène par Madame), qu'il parvienne à faire renaître l'explosivité de cet humour alors si novateur.

Pour le reste de la saison, on ne peut que se réjouir de la présence d'un second Lully avec la reprise de Cadmus et Hermione, mais la production de Benjamin Lazar est ce qui se fait de pire en matière d'idéologie réactionnaire : dommage pour cet opéra qui est un vrai chef-d'œuvre. Pour le reste, moins de vieux répertoire français, mais pas forcément des œuvres indispensables : on a déjà pu entendre à Paris le Freischütz de Weber adapté par Berlioz, et ça ne donne pas vraiment envie de recommencer, surtout sous la baguette poussive de John Eliot Gardiner ; Les fiançailles au couvent, aimable bouffonnerie sans profondeur de Prokofiev, bénéficieront au moins de la mise en scène de Martin Duncan, qui peut justifier qu'on aille y faire un tour. Côté français, il y a tout à craindre de la Cendrillon de Massenet mise en scène par Benjamin Lazar (je vous ai déjà dit tout le mal que je pensais de Lazar?), mais la réhabilitation de Massenet semble hélas impossible à arrêter (comme si le fléau Puccini ne suffisait pas...). Je signale pour finir la création du Roi ours de Marco Stroppa : une création a toujours de quoi m'intéresser, surtout quand elle est dirigée par Susanna Mälkki, mais mon ignorance à ce sujet est sans fond...
Au Châtelet, dont la saison n'est pas encore en ligne, c'est toujours la comédie musicale qui l'emporte de très loin (non, je ne détaillerai pas). Pour l'opéra, il faut se contenter d'un Barbier de Séville mis en scène par Emilio Sagi : non seulement Choplin ne prend aucun risque en matière de choix des œuvres, mais en plus il les confient à ce genre de faiseurs sans imagination (en plus la production est importée). Il importe aussi une production faite sur mesure pour Placido Domingo, une des fausses valeurs les plus indéracinables de notre monde lyrique : un opéra écrit spécialement pour lui et ce qu'il peut encore faire à son âge, et dont on peut se douter qu'il sera sirupeux à souhait (Domingo avait parlé avec mépris des opéras contemporains en regrettant qu'on ne produisent pas plutôt des sous-Puccinis en série qui au moins plairaient au public...) : Il postino version opéra ne risque pas d'être moins indigeste que le film du même nom...

Théâtre du Châtelet opéra
Requiescat in pace : le Théâtre du Châtelet, ex-lieu de création, aux mains d'escrocs

Par ailleurs, deux théâtres parisiens importants ont déjà publié leur saison. À l'Odéon, Krzysztof Warlikowski reviendra pour présenter une création réalisée à partir de textes divers (Kafka, Koltès, Coetzee) amenée de Pologne : après son triomphal Tramway, on attend ça avec impatience. Je suis en revanche beaucoup moins impatient de découvrir les spectacles de Valère Novarina, qui partage avec le directeur maison Olivier Py la polyvalence de l'auteur-metteur en scène : l'invité de la saison m'agace à peu près autant que ce dernier... Deux tendances opposées du théâtre allemand s'affronteront sous un même titre, Démons : Peter Stein travaille sur Les Démons de Dostoievski, en italien pour un spectacle de 12 heures : le vieux maître a connu sur le tard une conversion à une esthétique rétrograde qui l'amène à se répandre en propos fielleux sur le théâtre allemand d'aujourd'hui, et je n'aurai certainement pas le courage de prendre le risque d'un aussi interminable pensum. Thomas Ostermeier, lui, monte une pièce de Lars Noren :  le spectacle, créé à Berlin, ne dure que deux heures et quart, et Ostermeier, souvent invité en France, séduit toujours par des productions remarquablement ouvragées, à défaut d'ouvrir toujours des perspectives très nouvelles (son John Gabriel Borkman d'Ibsen présenté récemment à l'Odéon était magnifique). Pour le reste, il faudra bien que je tente de surmonter mon instinctive méfiance envers le théâtre français pour aller découvrir ce qu'ont à proposer Joël Pommerat ou Jean-François Sivadier...
Du côté de la Colline, le maître des lieux Stéphane Braunschweig s'attaque à un chef-d'œuvre du théâtre allemand, le diptyque de Frank Wedekind autour de Lulu : il est un des rares metteurs en scène français dont le travail, nourri d'ailleurs en Allemagne, fait des acteurs autre chose que des diseurs de texte. Il invite en outre une légende du théâtre européen, le Polonais Krystian Lupa, ce qu'on ne saurait manquer ; plus inattendu, un spectacle en persan viendra nous rappeler qu'il n'y a pas que l'Europe qui sait ce que théâtre veut dire. Dans l'ensemble, la saison se caractérise par la présence massive de pièces contemporaines : tentons l'aventure...
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