vendredi 30 avril 2010

L'art de l'interprète - Le goût et le sens

Que veut dire interpréter ? C'est paradoxal : le mot même renvoie à quelque chose de bien plus que la simple exécution de ce qui est écrit dans la partition (ou, en danse, dans cette écriture immatérielle qu'est la chorégraphie). Il est question de transmission - entre le papier et le spectateur -, mais plus encore, il est question de sens : comme toute traduction, comme tout décryptage d'un langage codé, l'interprétation consiste en la construction d'un sens, d'un cadre logique dans lequel les signes qui lui préexistent.
Comment l'interprète construit son interprétation, comment il transforme cet univers infini de possibles qu'est une oeuvre d'art en une interprétation donnée, c'est ce que je ne me sens pas en mesure d'analyser ici. Ce qui m'intéresse, par conséquent, c'est le point de vue du spectateur confronté à cette interprétation.


L'interprétation n'est jamais gratuite, pas plus qu'elle ne saurait être neutre. Interpréter, c'est faire des choix, des choix qui engagent ceux qui les font : le spectateur pour qui la culture a un sens, pour qui le concert n'est pas qu'un acte de consommation, est concerné au premier chef. Rien de plus lâche que la dictature de la subjectivité, le refuge derrière le goût individuel, ce moyen paresseux de refuser le dialogue au nom de la liberté individuelle (comme si critiquer l'artiste que tu aimes, c'était te critiquer toi-même). Il est des artistes qui résistent à l'envie de l'effet facile qui nuit à l'œuvre, il en est aussi qui lui cèdent avec délices. Il est des artistes qui dialoguent avec la tradition, il y en a d'autres qui l'érigent en dogme. Il est des artistes qui mettent la virtuosité au service de la musique, d'autres qui font de la virtuosité un but en soi. Il y a ceux qui pensent l'œuvre comme un tout, d'autres qui ne pensent qu'à la beauté sonore de tel ou tel instant. Il y a ceux qui interprètent les œuvres de tous les temps avec la même ouverture d'esprit, le même souci de porter les œuvres au public d'aujourd'hui, d'autres qui refusent avec hargne tout ce qui ressemble à une quelconque forme de modernité, dans l'interprétation comme dans le choix des œuvres.
Vous voulez des noms ? Il y a les Brendel, Abbado, Boulez, Jansons ; il y a aussi les Lang Lang, les Thielemann, les Muti, les Maazel, mais chacun peut mettre, de part et d'autre, les noms qui lui plaisent. Il y a des concerts qui élèvent l'esprit, d'autres qui alourdissent l'estomac comme un concert pot-pourri de musique "légère" : on peut faire bien du mal avec une symphonie de Beethoven.
Un peu guerrier, tout cela, me direz-vous. Oui, mais l'enjeu en vaut la chandelle : la culture comme exercice critique, comme éveil, comme exigence, et non comme le loisir un peu ennuyeux des classes privilégiées. Chacun est responsable.
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