vendredi 29 août 2014

Salzbourg 2014 (3) - Opéra : Il Trovatore

Enfin, Il Trovatore, LE spectacle lyrique du festival. Et LE spectacle qui entre le mieux dans ce que je disais l'autre jour du grand besoin d'un Karl Kraus pour le monde contemporain. Je n'ai pas fait absolument exprès d'y aller, mais que voulez-vous : il y avait une représentation l’après-midi, donc à un moment où il n’y a rien d’autre, je me suis amusé à demander une place, pour pouvoir me faire une idée de cette hystérie salzbourgeoise autour d’Anna Netrebko, mais sans m'attendre sérieusement à avoir une place. Il est à peine utile que je commente le spectacle, qui est passé à la télé, et les fans de Mme Netrebko ont bien su imposer la pensée unique et obligatoire (inutile de dire que j’ai pour les fans d’Anna Netrebko à peu près autant d’estime que pour les fans de One Division ou de je ne sais quel boys band à la mode : la rhétorique n'est pas d'un bien meilleur niveau). Le malheur, c’est que j’ai vu il n’y a pas si longtemps un merveilleux Trovatore, celui de l’Opéra de Munich, avec Jonas Kaufmann et Anja Harteros, dans une mise en scène formidable d’Olivier Py ; mais est-il interdit de demander à Salzbourg d’atteindre ces sommets ?

dimanche 24 août 2014

Salzbourg 2014 (2) - Opéra : Don Giovanni et Fierrabras

Don Giovanni

La très relative bonne surprise est venue de Don Giovanni : l’équipe Sven-Eric Bechtolf (mise en scène)/Christoph Eschenbach (direction) ne m’inspirait aucune confiance, mais il n’y avait vraiment rien d’autre ce soir-là, et ma foi, mon attachement pour le Festival fait que j’aime bien savoir ce qui s’y passe, fût-ce parfois au prix d’une soirée pénible. Sur la production de Bechtolf, la seule chose positive que je peux dire est que c’est toujours mieux que son insupportable Ariane à Naxos dans ce même lieu (qui existe désormais en DVD, quel bonheur) : c’est très ennuyeux, il n’y a aucune idée, mais au moins, justement, il n’y a aucune idée, ce qui est mieux avec lui que quand il y en a. Tout se passe dans un hall d’hôtel, comme dans la production de Keith Warner que j’avais vue au Theater an der Wien il y a longtemps et qui datait d’il y a encore plus longtemps. Soit.

La distribution, elle, n’est naturellement pas du niveau que j’attends à Salzbourg ; le mieux, c’est D’Arcangelo et Pisaroni, qui ont de toute façon chanté leurs rôles sur toutes les scènes du monde ; il n’y a en revanche pas grand-chose à sauver des autres, de ceux qu’on aurait voulu nous faire « découvrir » : Lenneke Ruiten en Donna Anna manque de couleur et de poids, mais elle a l’excuse qu’Eschenbach semble ne pas du tout s’intéresser à son personnage ; Annett Fritsch (Elvira) est tout à fait inexistante ; quand à Andrew Staples (Ottavio), on aimerait en dire autant, tant le timbre est insupportablement aigre (à ce point, on se dit que ce ne peut être qu’une méforme passagère ; je ne crois tout de même pas qu’Alexander Pereira nous aurait offert ça volontairement).

La relative bonne surprise, donc, horresco referens, c’est Eschenbach lui-même, et les Viennois avec lui. Les deux dernières fois que j’avais vu DG à Salzbourg, dans la peu reluisante production de Claus Guth, c’était sous de Billy (calamiteux) puis Nézet-Séguin (inexistant et chichiteux). Là, bien sûr, ça manque pas mal de théâtre, il y a des moments de creux, et on sent encore et toujours que les baroqueux c’est le mal, et c’est très lent ; mais tout de même, c’est tenu, il y a une logique et une cohérence dans cette lenteur. Mon souvenir précédent d’Eschenbach à l’opéra, c’était le Ring du Châtelet en 2005, un naufrage inégalable ; vous pouvez donc penser que je n’étais pas prêt à beaucoup de mansuétude, et pourtant voilà : non seulement je trouve qu’il aurait été très injuste qu’il reçoive les mêmes huées que l’année dernière pour Così, mais j’ai même trouvé qu’un peu plus de chaleur à son encontre lors des saluts n’aurait pas été volée. Ce n'est pas mon Mozart, mais c'est un Mozart digne et cohérent. On reverra Eschenbach faire une apparition côté concerts, pour une étrange et intéressante soirée.

Fierrabras

Le point commun avec Fierrabras, c’est l’orchestre, ces Viennois qui m’intéressent beaucoup moins que leurs concurrents directs, Berlinois, Radio Bavaroise ou Concertgebouw. Le choix de monter le dernier opéra achevé de Schubert avait été à l’origine une réponse au souhait de Nikolaus Harnoncourt de diriger cet opéra ; Harnoncourt ayant renoncé pour raisons d’âge, c’est Ingo Metzmacher, qui devait diriger le Dalbavie, qui a récupéré le bébé. J’aime beaucoup Metzmacher dans le répertoire moderne, j’avais quelques interrogations pour Schubert, mais elles se sont révélées infondées : un son très riche, varié, vivant ; un vrai professionnel efficace et compétent, ça vaut souvent mieux que les stars de la baguette à la mode, et au moins dans ce répertoire rare l’or
chestre ne peut pas se reposer sur ses habitudes.


Saurez-vous reconnaître les gentils des méchants ? Fierrabras vu par Peter Stein. Photo Salzburger Festspiele/Monika Ritterhaus
Là encore, hélas, les qualités du spectacle s’arrêtent à peu près là : je ne dirai pas du mal individuellement des chanteurs, puisque je n’ai vu qu’une générale (je n'aurais pas forcément payé pour cela, et puis le soir de la première, il y avait Pollini, qui est quand même un peu plus intéressant), mais vraiment, hors Dorothea Röschmann, il n’y a pas eu beaucoup de plaisir vocal. 
Côté mise en scène, c’est Peter Stein qui signe le pensum : Stein est un type extrêmement sympathique, qui après avoir pensé quand il était jeune que tous les vieux étaient des imbéciles, a découvert en devenant lui-même vieux que c’était les jeunes qui étaient des crétins. Il s’est donc réfugié dans un style rétro à souhait, qu’il vend comme le retour à une vraie et authentique tradition (qu'il a été le premier à dynamiter quand il était jeune) ; et en effet, il refait pour Fierrabras la Cenerentola de Jean-Pierre Ponnelle, millésime 1974, avec des décors constitués d’agrandissements de gravures (noir et blanc, donc). Dans le monde de Peter Stein, on peut encore sans scrupule peinturlurer le visage des (méchants) Maures en noir, au premier degré du racisme inconscient.
Par ailleurs, il s’est visiblement dispensé de répéter avec les chanteurs qui parviennent à des sommets de gaucherie, en particulier le jeune Benjamin Bernheim. C’est souvent maladroit (les lumières!!!), mais plus souvent encore drôle, involontairement ; le plus comique (réel succès autour de moi), c’est le cœur rouge qui apporte la seule touche de couleur  du spectacle, en guise d’image finale. La dernière fois que j'avais vu un spectacle de Peter Stein, c'était La Cruche cassée, au Berliner Ensemble : ce que je peux en dire, c'est qu'il y avait des poules (des vraies, vivantes), et qu'elles étaient les seules à déranger un peu la poussière. Là, hélas, ni poules, ni rats*...
Difficile de dire, dans ces conditions, ce qu'il faut penser de l’œuvre, à laquelle Alexander Pereira semble tenir beaucoup (cf. le DVD de Zurich avec Jonas Kaufmann) : le surtitrage est une invention diabolique, parce qu'on ne peut souvent s'empêcher de rire à la lecture détaillée du texte, et le livret ne crée jamais une situation dramatique intéressante ; on sent tout de même Schubert là-dessous, dans les chœurs, parfois dans les ensembles, assez peu dans les airs - concentrons-nous plutôt sur les dizaines de chefs-d’œuvre réels que nous a laissés Schubert !

*Allusion subtile à la mise en scène de Lohengrin à Bayreuth par Hans Neuenfels, dont je vous reparlerai.

vendredi 22 août 2014

1914, Musique française, musique allemande

J'interromps une seconde mes élucubrations salzbourgeoises pour vous parler un peu de ma lecture du jour : en plein centenaire du déclenchement de la première guerre mondiale, me voilà donc lisant sur Gallica le numéro de 1914 de la vénérable Revue Musicale. Je n'en suis pas encore très loin, mais c'est amusant de constater, sur ce début d'année, l'extrême vigueur de la germanophilie musicale française (pas toujours des collaborateurs de la revue, mais visiblement celle du public). On le voit dans la véritable obsession pour Beethoven, Schubert et les autres, par l'enthousiasme que suscitent les concerts dans les grandes villes du monde germanique (avec un peu de moquerie pour Munich, d'ailleurs, et son incapacité à se doter d'une salle de concert digne de la ville - c'est d'ailleurs toujours le cas en 2014 !), mais aussi avec l'événement majeur du début d'année que constitue la première française de Parsifal, tombé dans le domaine public trente ans après la mort de Wagner. J'imagine que le revirement suivant l'entrée en guerre aura quelque chose de réjouissant.
Mais je tombe surtout sur cet article qui relate une exécution de la quatrième symphonie de Mahler, j'imagine la création française de cette œuvre :

"Dès la douzième mesure, par exemple, ça change, ça tourne définitivement au Caf"Conc' du Prater, avec le Damen-Orchester, les écharpes jaunes, la quête de la jolie flûtiste, au milieu des bruits de fourchettes, des odeurs de schnitzel panirt, des relents de veuves-joyeuses... et ça part en une enfilade de valses, viennoises, je veux bien, mais, à coup sûr, d'une terrible trivialité qui n'a plus rien du tout de schubertien."
"c'est un morceau pour Alhambras ou Moulins-rouges, mais pas pour salle de concerts symphoniques."
"Les trois autres pièces de la symphonie, aussi simplettes de forme que nulles de recherches harmoniques, ne viennent malheureusement pas relever le niveau musical donné par le premier mouvement..."
"Et partout, depuis le premier mouvement jusqu'au final, s'étale la plus parfaite, la plus complète vulgarité. Est-il possible qu'un compositeur puisse manquer à ce point de goût et de sens artistique, et ne semble point se douter que, quelque sujet qu'il traite, il doit avant tout choisir de beaux matériaux, s'il veut créer de la beauté? Mais Haydn, mais Beethoven, mais Schubert, viennois cependant d'origine ou d'adoption, ne sont jamais triviaux dans leurs peintures populaires ou paysannes, parce qu'ils laissent parler leurs âmes de poètes et ne cherchent point à faire de la photographie...
En quelle estime ne devons-nous pas tenir nos musiciens français d'avoir su se garer de cette tare de vulgarité qui paraît s'étendre actuellement sur la musique allemande !"

Mon pauvre, si tu savais... L'auteur de ces lignes immortelles, c'est naturellement Vincent d'Indy. Le dernier fragment, je trouve, est significatif. Ce goût, ce refus de la vulgarité, ce choix des beaux matériaux qui font les vraies beautés... Voilà bien pourquoi la postérité a recouvert les œuvres de d'Indy lui-même comme celles de beaucoup de ses contemporains français. Il n'y a rien de plus fatigant que les efforts que le public français subit avec patience, mais sans jamais rien de plus que de la politesse, depuis des décennies, cette réhabilitation de la "musique française" qui n'aura jamais lieu, fort heureusement. Je mets "musique française" entre guillemets, parce que bien sûr il ne s'agit certainement pas de faire une sorte d'anti-nationalisme qui serait forcément à peine moins idiot que le nationalisme du camp d'en face - mais quand on a Rameau, Berlioz ou Boulez, on a mieux à faire que de s'occuper des chantres du bon goût et des beaux matériaux que vante d'Indy !

PS: en continuant ma lecture, je tombe sur un autre fragment du même, relatif cette fois à une exécution en concert du Sacre du printemps, "un chef-d’œuvre selon les rites de la petit église moderniste. - Chef d’œuvre, non certes, il faut tout de même autre chose pour motiver ce titre, mais œuvre d'un très grand intérêt rythmique, sinon musical, et qui dénote chez son auteur un réel tempérament d'artiste. Nous attendons avec confiance le jour où M. Strawinsky ayant secoué le joug et s'étant libéré des dogmes de sa petite confrérie, nous donnera une œuvre d'émotion dans laquelle il osera laisser parler son coeur plus haut que son ingéniosité".
Une œuvre d'émotion, tiens, encore un concept esthétique d'une prodigieuse profondeur...

mercredi 20 août 2014

Salzbourg 2014 (1) - Généralités sur le programme lyrique


Ça y est, ou presque : la malheureuse « Ère Pereira » touche à son terme à Salzbourg, et même si rien n’indique que les deux prochaines années d’intérim seront beaucoup plus heureuses que les trois étés qu’il aura dirigés, cette fin précipitée est la moins mauvaise des solutions, et il n’est plus très utile de souligner à quel point sa nomination était une idée vouée à mal tourner dès son origine.
Ceci étant, cet été salzbourgeois aura été pour moi de très loin le meilleur de ce court règne, non pas tant grâce à une programmation sensiblement plus intelligente qu’en 2012 et 2013 que grâce à mes choix dans ce programme, et souvent plutôt dans les marges du programme que dans ce qui devait être les axes fondateurs du programme de Pereira. De manière caractéristique mais non surprenante, aucun des plus grands moments du festival n’est à mettre au compte de ce qui est pourtant censé être le joyau du festival, c’est-à-dire la programmation lyrique. Tout ce qui concerne l'opéra à Salzbourg n’est donc pas très positif, mais attendez la suite, c’est-à-dire les concerts.

Dalbavie, Charlotte Salomon, avec Marianne Crebassa (de face). Photo Salzburger Festspiele/Ruth Waltz


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