dimanche 29 octobre 2006

Vos commentaires

C'est avec plaisir que j'ai lu les premiers commentaires qui ont été postés, certains très argumentés juste comme j'aime; je répondrai plus tard sur le Jules César d'Irina Brook, et je voudrais simplement dire deux ou trois choses rapidement:
- Merci de toujours vous "identifier" lorsque vous écrivez un commentaire; c'est plus agréable pour tout le monde. Pour ceux qui écrivent sur des forums, le pseudo que vous y utilisez est le plus simple, pour les autres un pseudo inventé pour l'occasion ira très bien!
- Jérémie n'aime pas la présentation du blog, trouvant le blanc sur noir trop peu lisible. Moi j'aime bien cette présentation, mais si ça ne plaît à personne je changerai, il suffit de râler un peu (à vos commentaires!).
- En ce qui concerne les Paladins, j'ai dit ce que j'en pensais; je persiste à penser qu'il s'agit d'une production vile, lénifiante, qui ne respecte pas l'oeuvre qu'elle prétend présenter (beaucoup moins, par exemple, que la production boulevardière des Noces de Figaro par Christoph Marthaler). Je ne crois pas que chaque spectateur doive se sentir offensé si je dis quelque chose sur le public en général. La question de la réception est une des questions qui m'intéressent le plus; je continuerai donc à parler de cette façon du public; ce n'est pas très habituel dans le monde de l'opéra et du spectacle, où le public est censé toujours être roi, mais ce sera un sujet central de ce blog.

mercredi 25 octobre 2006

A stupide, stupide et demi

Il paraît que le livret des Paladins est stupide. A force de lire ce genre de propos (avec variantes: plat, fade, inepte, et j'en passe) à longueur d'articles de presse ou de contributions de forum, on finirait presque par y croire. Cependant, on se demande pourquoi tant d'insistance sur le livret de cette oeuvre - que, d'ailleurs, la plupart de ceux qui en proclament la nullité ne semblent pas avoir lu -, alors que tant d'autres sottises passent comme une lettre à la poste dans le monde des amateurs d'opéra:

-Ma mère, je la vois, oui je revois mon village,
O souvenirs d'autrefois, doux souvenirs du pays.
-Sa mère, il la revoit, oui il revoit son village,
O souvenirs d'autrefois, doux souvenirs du pays...

Mais le plus grave problème concernant cette redite pavlovienne, c'est que ce n'est pas vrai! Présentons d'abord la victime, via un lien au texte intégral: http://jp.rameau.free.fr/les_paladins.htm.
Bien sûr, comme tout livret d'opéra à quelques exceptions près, la lecture seule peut paraître déroutante, mais c'est d'efficacité dramatique, et plus précisément de théâtre en musique qu'il est question ici. Les Paladins sont une comédie, qui n'a ni souci de vraisemblance ni prétention à une intrigue extrêmement construite. Cette comédie ne constitue donc en aucune façon une comédie de moeurs, "grand genre" du théâtre comique français depuis Molière; elle en est encore plus loin que Platée, dont l'héroïne éponyme a quelque chose d'une bourgeoise gentilhomme.
Pourtant il y a bien du théâtre ici, et même du fort bon théâtre. Le genre auquel appartient cette pièce n'est pas véritablement un genre établi, encore moins dans le théâtre parlé: il s'agit d'un type de comédie burlesque fondée sur le merveilleux, donnant lieu à une profusion de décors (le château de la fée Manto, la fête des Paladins...). Les éléments textuels sont relativement minces, pour permettre à la danse et sans doute à une forme de mime de la part des personnages de prendre toute leur place, avec un effort très intéressant de la part des auteurs d'intégrer les divertissements dansés, qui sont inhérents à l'esthétique de l'opéra baroque français, à l'action.
Les personnages sont dessinés de façon très nette : le plus intéressant est certainement Orcan, dont les rodomontades pleutres font fortement penser à un personnage de Cadmus et Hermione de Lully; mais Nérine, la piquante, l'intrépide servante de la belle Argie, se porte elle aussi au niveau des grandes servantes de comédie. Argie elle-même, qui pourrait n'être qu'une belle fille passive comme on le voit dans tant d'autres opéras, a quelque chose d'une fragilité enfantine, qui rend touchante sa douleur initiale tout en lui permettant de se réjouir sans contrainte à l'humiliation d'Orcan.
On peut, bien sûr, mépriser ce genre de fantaisie, comme on peut faire la fine bouche sur tout ce qui est drôle, léger, sans prétention. Mais quand on aime le théâtre et qu'on prétend comprendre un peu quelque chose à l'esthétique de l'opéra baroque, je ne vois pas comment on peut sérieusement mépriser ce livret.
Bien sûr, il y a une raison derrière ce massacre en règle. Cette raison, c'est la production de cette oeuvre qui vient d'être reprise au théâtre du Châtelet, dont la création avait eu les honneurs indus d'un DVD (dont est extraite la photo via le site de son éditeur, Opus Arte). Le coupable s'appelle José Montalvo, il est chorégraphe de profession, et surtout un des plus éminents représentants de la branchitude bien-pensante et autosatisfaite. Le produit fini qu'il livre n'a aucun rapport avec les Paladins, dont il n'entend en aucune façon raconter l'histoire; il suffit de voir comment tous les personnages sortent de scène pendant les danses qui sont censées représenter la cérémonie où Orcan est armé pélerin (fin de l'acte I): alors que ces danses sont intégrées à l'action, qu'elles devraient servir à approfondir l'atmosphère et les personnages, Montalvo s'amuse à des simagrées illustrant tout au plus les deux ou trois effets de rythme les plus superficiels de la partition.
Ledit produit fini est fait pour un public précis, auprès duquel il a un grand succès; c'est un public zappeur, qui ne supporte un spectacle qu'à condition qu'il y ait une profusion d'images; surtout, pas de sens, pas de temps pour la réflexion! On comprend, d'ailleurs, qu'un public qui aime ce lavage de cerveau déteste à ce point le Jules César d'Irina Brook (voir message ci-dessous), peu profond certes, mais qui laisse aux émotions le temps de se développer... La bourgeoisie inculte qui lit les suppléments du week-end du Figaro se retrouve idéalement dans ce miroir complaisant, qui lui donne même l'illusion du progressisme (la vidéo) et de la tolérance (vous vous rendez compte, ma chère, il y avait même des Noirs sur scène - peu importe que l'image donnée par Montalvo des Noirs en question soit plus proche du nègre Banania que d'une véritable tolérance: tant qu'ils font ce qu'ils savent faire - parce que ces gens-là, c'est bien connu, ont le rythme dans la peau - ils sont acceptables pour le public bourgeois; qu'ils dansent, soit, mais qu'ils ne prétendent pas s'intégrer au coeur de la société française; avec les intentions contraires, Montalvo livre ainsi une parfaite leçon de racisme ordinaire).
Prétendre retrouver l'essence de la musique de Rameau en vidant l'oeuvre de toute sa substance, en ne jouant que sur son côté, disons, "entraînant", en emplissant la scène jusqu'à l'apoplexie de tout ce qu'il faut pour contenter un public superficiel, Montalvo a ainsi monté un des spectacles les plus stupides des dix dernières années. Honte au Châtelet de l'avoir créé, honte à son directeur actuel de l'avoir repris.

Les présents ont parfois tort

Mais que faisaient-ils, ces quelque 1600 (à vue de nez) spectateurs qui n'avaient rien de mieux à faire que d'aller voir le concert de la Staatskapelle Berlin dirigé par Daniel Barenboïm? N'avaient-il, accessoirement, rien de mieux à faire de leur argent (25 € en dernière catégorie!)?
Evidemment, loin de moi l'idée de les stigmatiser, d'autant plus que j'en ai fait partie, pour ma plus grande douleur. Le pire était certes prévisible, s'agissant du clown Lang Lang, qui a fait semblant de jouer au piano le 5e concerto de Beethoven (et, qui pis est, un bis). Semblant, cela dit, est à prendre cum grano salis, vu le volume sonore qu'il imposait.
Quant à l'orchestre pendant ce pauvre concerto, je n'ai pas de comparaison à faire sinon les soirées de ballet à l'Opéra accompagnées par l'Orchestre Colonne. Des cordes aussi lymphatiques, on n'entend pas cela tous les jours. La Cinquième de Mahler qui a suivi était très légèrement meilleure, mais à ce niveau les nuances ne comptent plus guère. Un assoupissement propice m'a dérobé une partie du pensum, mais ce que j'en ai entendu m'aurait plutôt encouragé à dormir plus.

Le pire de tout: j'ai une place pour ce soir - Radu Lupu (concerto de Schumann) sera certainement meilleur que le singe savant d'hier, mais par quel miracle Barenboïm pourrait-il épargner la Neuvième de Mahler qu'il se propose d'attaquer?

vendredi 20 octobre 2006

Plaisir


En sortant du concert d'hier soir, à la Cité de la Musique, le mot qui me venait à l'esprit pour caractériser ce concert était "plaisir". Le programme était le suivant:

SCHÖNBERG Sérénade op. 23 (Ronan Nédélec, baryton)
KURTAG ... Quasi una fantasia... op. 27 n° 1 (Dimitri Vassilakis, piano)
FRANCESCONI Etymo (Barbara Hannigan, soprano)

Ensemble Intercontemporain
Susanna Mälkki

Ce n'est pas là, j'en conviens, le genre de programme qu'une majorité du public de la musique classique associe avec "plaisir", même si une salle relativement pleine pour ce type de programme montre bien qu'il y a, fort heureusement, un public pour de tels concerts. Le terme "plaisir", on le voit employé plus volontiers pour des choses plus légères, ou au moins amplement prédigérées, pour Offenbach, pour Mozart, sans tomber jusqu'à Francis Lopez. En musique contemporaine même, l'impression qu'ont certains de l'importance historique de leur présence, de leur rôle de précurseurs, ou plus simplement le sérieux légèrement teinté de complexe d'infériorité avec lequel beaucoup abordent ce répertoire, ont bien trop tendance à faire passer ce plaisir au second plan.
Tout, bien entendu, n'est pas parfait dans le meilleur des mondes. Malgré l'engagement de la soprano Barbara Hannigan (Mademoiselle Correspondances de Dutilleux), l'oeuvre de Francesconi ne suscite, de ma part comme de celle du public, qu'un enthousiasme très modéré, tant elle est obérée par un usage massif de l'électronique et par une prolixité paradoxale pour une oeuvre parlant d'aphasie: à trop vouloir en dire, on finit par n'être plus que bavard (ce que, je le sens, je suis aussi en train de devenir).
L'électronique, censée permettre un enrichissement de la perception musicale par la modification et la spatialisation du son, se trouve écrasée par la splendeur éhontée des timbres instrumentaux de la Sérénade de Schoenberg: le plaisir dont je parlais, ce n'est pas un plaisir intellectuel (sujet de dissertation: existe-t-il un plaisir intellectuel?). C'est bien de sensualité que je parle ici, de plaisir charnel! L'oeuvre est pour moi une découverte passionnante.
Entre les deux, Kurtag: ne cachons pas que ce monsieur est un de mes compositeurs préférés, qu'il est de toute évidence un compositeur de tout premier plan et que, quand on écoute sa musique, toute idée de déclin de la musique apparaît comme des sornettes.
... Quasi una fantasia... fait partie de ses oeuvres les plus jouées; éclatant en un paroxysme expressif, l'oeuvre est encadrée par deux mouvements d'une extrême douceur qui portent en germe, en sous-texte, l'éclatement qu'ils ne laissent pas passer. En 9 minutes malheureusement gâchées en partie par un tousseur imbécile, on a là un art d'un raffinement extrême où chaque détail compte, détail de timbre, de rythme, de dynamique, mais où l'émotion et l'expression sont d'une puissance immédiate qui saisit l'auditeur sans répit.

L'oeuvre a déjà été enregistrée plusieurs fois: notamment dans l'édition d'un concert du Festival de Salzbourg (éd. Col Legno: G. K., Porträtkonzert) et dans un disque hélas introuvable de Claudio Abbado (sous le titre Wien Modern).


Photo: György Kurtag (source: http://www.grawemeyer.org/)

mercredi 18 octobre 2006

In questo popoloso deserto ch'appellano Parigi (ou Jules César de Haendel au TCE)

Cela fait trois fois que j'assiste à une première cette saison. Dans les trois cas, l'équipe de mise en scène a été huée, de façon à chaque fois imméritée à mon sens. Mais autant je comprends, sans les approuver, les huées qui ont accueilli la Lucia di Lammermoor mise en scène par Andrei Serban, qui défiait ouvertement les habitudes du public parisien et n'a pas hésité à le provoquer lors de ladite première (cf. un message ci-dessous), autant la réaction du public d'hier soir reste à mes yeux totalement incompréhensible et absurde.
Donc, Haendel, Jules César, une partition qu'on commence à bien connaître (encore que le jour où les opéras de Haendel connaîtront autant de représentations qu'un vulgaire Puccini n'est pas encore venu - j'ai beau avoir le temps devant moi, je crains de mourir sans le connaître, ce jour), dans un lieu où Haendel a connu pas mal de triomphes (le plus beau étant pour moi comme pour beaucoup l'inoubliable Agrippina mise en scène par David McVicar) et où, en général, on ne s'occupe pas trop de la mise en scène pourvu qu'elle ne fasse pas de vague. Dominique Meyer, avisé patron du TCE, n'avait pas pris beaucoup de risque en recourant à Irina Brook, experte en produits bien finis, chics et élégants, qui avait déjà signé une jolie Cenerentola au TCE. Le produit livré correspond bien à ces attentes, avec à la fois un sens certain de l'émotion et un humour discret, parfois un peu simpliste: sa lecture de l'oeuvre est précise et on est bien loin du "tout grotesque" qui a beaucoup desservi Haendel sur les scènes européennes depuis une quinzaine d'années (le sommet étant un stupide Rinaldo monté à Montpellier, Innsbruck et Berlin). Il ne faut pas oublier que l'humour est bien présent dans l'oeuvre, autour des relations entre Cléopâtre et Ptolémée notamment, et ce serait un contresens total que de penser que l'opera seria appelle forcément un traitement marmoréen: si les différentes mises en musique de L'Olimpiade, par exemple, ne laissent pas de place pour l'humour, d'autres serias sont au contraire de véritables comédies parfois féroces, comme l'Agrippina de Haendel ou le délicieux Ottone in villa de Vivaldi (très bon enregistement dirigé par Richard Hickox chez Chandos), ou la chute d'un bon à rien...
Irina Brook sait ainsi laisser à certains airs, comme les lamentos de Cléopâtre, le temps de laisser l'émotion se développer, par une direction d'acteurs qui peut paraître statique mais est beaucoup plus précise et travaillée qu'il n'y paraît. Le tout, dans un décor discret de désert et avec des costumes qui mélangent costumes modernes et orientalisme délicat, est donc bien loin d'appartenir à la mouvance la plus provocatrice de la scène lyrique parisienne et avait de quoi contenter une bonne partie du public. J'ai l'impression que la violence de ces huées a paru incompréhensible à une bonne partie du public...
Musicalement, le spectacle était en de bonnes mains, avec un Christophe Rousset parfait à son habitude, sans grands effets mais plein de délicatesse et de générosité. Il a réalisé une partition d'un peu moins de 3 heures, ce qui laisse de côté une partie non négligeable de la partition mais n'est finalement pas si mal. Le César d'Andreas Scholl est certainement l'aspect le moins satisfaisant de la distribution: sa voix toujours plus nasillarde, sa diction impossible et ses vocalises hasardeuses sont à mille lieues des grandes réussites d'une Larmore ou d'une Mijanovic; même du côté masculin (qui n'est pas celui que je préfère), un Lawrence Zazzo aurait certainement été bien préférable. L'autre point faible de la distribution est l'interprète de Sesto (comme souvent, Dieu sait pourquoi): Alice Coote a une voix banale et une interprétation qui ne l'est pas moins. Mais ces limites sont largement compensées par la belle Cornelia de l'impeccable Sonia Prina, qui aura intérêt à aborder le rôle titre dès que possible, et surtout par Rosemary Joshua en Cleopatra. Cette chanteuse, que j'avais entendue pour la dernière fois cet été dans Orlando à Munich, est certainement aujourd'hui, avec Sandrine Piau, la meilleure soprano haendelienne sur les scènes: sa voix extrêmement mobile, d'une sensibilité extrême, sans afféteries et sans grands effets, va particulièrement bien à ce rôle qui parcourt toute la gamme expressive du rire au lamento. Je n'hésite pas à dire que c'est sans doute la meilleure Cléopâtre que j'ai entendu, malgré toute mon admiration pour Magdalena Kozena...

Pour la magnifique Joshua, pour la beauté d'un grand orchestre haendelien, et surtout, ce qu'on oublie trop souvent de dire, pour une musique magnifique où (presque) pas un air n'est un chef-d'oeuvre, une soirée à conseiller!

jeudi 12 octobre 2006

Le triomphe des Troyens

Depuis le temps que je veux faire un article synthétique sur les atouts et les difficultés des reprises... La reprise des Troyens mis en scène par Herbert Wernicke à Salzbourg en 2000, dont la première à l'Opéra Bastille a eu lieu hier soir à Bastille, aurait pu être une occasion, mais il va falloir patienter; je ne parlerai donc que de cette reprise-là.

Cette reprise était d'autant plus périlleuse que la production n'avait pas été reprise, à Salzbourg ou ailleurs, depuis 2000, et qu'entre temps Wernicke, terrassé par une crise cardiaque en 2002, n'était plus là pour défendre lui-même son travail. Disons-le clairement: ses assistants s'en sont tirés avec les honneurs, bien loin de tant de reprises molles qu'on a connues ces dernières années.

De quoi s'agit-il ici? Tout simplement d'un des grands chefs-d'oeuvre de la mise en scène d'opéra de ces dix dernières années, d'une cohérence et d'une efficacité théâtrale qui ne surprennent pas chez Wernicke, mais n'en sont pas moins admirables. Wernicke a choisi la monumentalité, avec un décor d'une grande simplicité mais également d'une grande beauté, et un statisme assumé qui vise à mettre en évidence les grandes lignes de la partition et du drame. Ne nous y trompons pas: chez Wernicke, ce statisme est bien un choix, pas un signe d'impuissance. Quiconque connaît sa prodigieuse Calisto de Cavalli (bientôt disponible en DVD) , nourrie à la commedia dell'arte, sait qu'il était tout aussi capable de l'inverse. Dans ce statisme, la violence apparaît à nu; une des scènes les plus admirables de ce spectacle est celle où les Troyens viennent entourer Cassandre, pétrifiée dans sa douleur, de leurs armes qu'ils croient désormais inutiles, avant que les Troyennes ne jettent dédaigneusement des fleurs sur le cercle formé par ces armes: rarement on aura vu sur une scène d'opéra pareille incarnation visuelle de la solitude et de la douleur.

Bien sûr, Paris avait déjà vu plusieurs productions récentes des Troyens, notamment celle donnée pour l'ouverture de l'Opéra Bastille en 1990 (production de Pierluigi Pizzi que je n'ai pas vue, mais qui ne semble pas avoir laissé un souvenir impérissable) et la récente production du Châtelet pour l'année Berlioz: loin de moi l'idée de contester la réussite musicale de ce dernier spectacle, encore que je ne partage pas le délire autour de Susan Graham et Anna Caterina Antonacci, plus bonnes filles que tragédiennes (ce qu'est, incontestablement, Deborah Polaski qui chante Cassandre ET Didon à Bastille). Scéniquement, le spectacle invertébré et souvent amateuriste de Yannis Kokkos était cependant indéfendable, sauf à ne jurer que par un académisme rance qui satisfait il est vrai beaucoup de monde dans le public lyrique.

Il est donc bien dommage qu'une partie du public parisien ait prouvé son incompétence théâtrale en huant le travail tellement supérieur de Wernicke (huer un mort, quel bon goût). Gerard Mortier m'a souvent déçu dans les productions qu'il a importées de ses postes antérieurs comme dans celles qu'il a créées pour Paris: je ne puis que le remercier chaleureusement pour cette magnifique réussite qui fait honneur à l'Opéra de Paris.

mardi 3 octobre 2006

Actualités diverses

Quand on voit beaucoup de choses, on n'a pas forcément le temps d'écrire beaucoup... Donc, quelques notes en vrac:

-D'abord: Vive le clavecin! Magnifique concert à la Cité de la Musique, dans un amphithéâtre malheureusement pas plein en raison d'un tarif prohibitif, autour du virginal anglais au XVIe et XVIIe siècles. Musique d'une richesse étonnante, tissée en un programme alternant lamentos et danses bondissantes, par 3 interprètes, pas moins: Olivier Fortin, Skip Sempé et Pierre Hantaï, sur trois beaux instruments que la note de programme n'a hélas pas pris la peine de mentionner.
Je plains les pauvres pianistes, avec leurs Steinway/Bösendorfer tous semblables. Quand se rendra-t-on compte que cette monomanie instrumentale est un appauvrissement considérable de la richesse de tout un répertoire?

-Ensuite, des reprises très agréables à l'Opéra, avec une Clémence de Titus (Mozart) éclairée par la magnifique Elina Garanca mais endormie par un chef indigne [je reparlerai de ce spectacle ultérieurement...], et une Salomé qui tient la route, grâce à une interprète d'exception, Catherine Naglestad. J'ai vu deux représentations de ce spectacle, très différentes: le 27 septembre, il a fallu une demi-heure pour que les choses démarrent; le 1er octobre, tout était bien dès le début. Mystère...

-Lors de la dernière Technoparade, un des slogans était "Monter le son pour lutter contre la faim". Magnifique bonne conscience occidentale qui orne ses petits plaisirs égoïstes de belles intentions (je ne prétends pas sauver le monde en allant à l'Opéra, pour ma part)...
Mais aussi atterrante conception de la musique, où seul le volume sonore compte. Pour moi la musique doit être une émanation du silence, pas une manière d'occuper un espace. C'est bien la différence entre la musique classique et un certain nombre d'autres musiques dont la techno: dans un cas, il faut aller vers elle, qui ne se donne qu'à ceux qui veulent bien parcourir le chemin; dans l'autre, elle vient vers toi sans te demander ton avis, s'empare de toi et tue toute pensée. Sans doute peut-elle ainsi combler des vides - ça ou les psychotropes...
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...