dimanche 26 septembre 2010

Reprenons - La rentrée à l'Opéra de Paris

Tout le monde l'a noté : la nouvelle saison de l'Opéra de Paris commence bien doucement. Renaud Machart en a profité pour écrire un article très critique, ce qui est une bonne chose, mais dont les critiques tombent à peu près totalement à plat, ce qui n'est pas bien malin. Le problème n'est pas que l'Opéra commence sa saison, comme tout le monde, par des reprises.

Mais il n'est pas admissible, pour un critique professionnel, d'accuser le metteur en scène Willy Decker de la médiocrité de deux des trois productions présentées, alors que n'importe quel amateur un peu informé sait que ces très vieilles productions (Eugène Onéguine date de 1997, Le Vaisseau fantôme, donné à l'Opéra pour la première fois en 2000, était l'achat d'une production plus ancienne encore) n'ont plus rien à voir avec Decker, qui a bien d'autres choses à faire et n'a jamais été invité à l'Opéra pour les remonter.
Il Trittico : Suor Angelica ( Photo Marco Brescia, Teatro alla Scala)

lundi 20 septembre 2010

Cecilia Bartoli à Salzbourg

Cette fois, c'est officiel : Cecilia Bartoli prend la direction du Festival de Pentecôte à Salzbourg à partir de 2012.

Ce festival, qui dépend du festival d'été, était dirigé jusque là par Riccardo Muti. On avait pu voir à l'Opéra Garnier une production qui en provenait, Demofoonte de Jommelli, un des spectacles les plus ennuyeux - scéniquement et musicalement - jamais donnés à Paris. Le festival de Pentecôte est l'ancien Festival baroque de Salzbourg ; Jürgen Flimm, directeur du festival de 2007 à 2010, a cru bon de le confier à l'ennemi juré du baroque, celui qui comme les royalistes parlant de la Révolution Française aurait pu prendre pour mot d'ordre à propos du baroque "Rien compris, rien appris", le mot d'ordre des réactionnaires qui jugent qu'essayer de comprendre, c'est déjà capituler.

Choisir Cecilia Bartoli, c'est donc d'abord revenir sinon intégralement au baroque (cf. son album récent de musique romantique), du moins revenir à une approche plus stimulante que les marbres glacés de Muti. Ce n'est en revanche pas forcément un choix très audacieux pour ce qui concerne les mises en scène : Bartoli a beaucoup chanté dans des productions propres sur elles, du type de celles de Cesare Lievi, un metteur en scène aimé aussi de Muti. Mais ce n'est en rien étonnant : le directeur du Festival qui vient de choisir Mlle Bartoli n'est autre qu'Alexander Pereira, en poste à Salzbourg à partir de septembre 2011 ; actuellement directeur de l'Opéra de Zurich, une des rares maisons où Mlle Bartoli a daigné faire de l'opéra en version scénique ces dernières années.

Il a d'ailleurs été également annoncé que la production annuelle de Pentecôte serait reprise lors du festival d'été, pour environ 5 représentations, ce qui est toujours une stratégie commerciale douteuse : qui, dans ces conditions, fera le voyage à la Pentecôte ?

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Ô surprise : de la musique !

Ce n'est pas un plaisir qu'on a tous les jours : hier, je suis entré dans une sympathique église gothique ouverte pour les Journées du Patrimoine. À l'entrée, on me tend un petit fascicule, que je prends en remerciant poliment. Qu'était-ce donc que ce petit fascicule ?
L'église Saint-Maximin de Metz (photo du blog La Lorraine se dévoile)

mardi 14 septembre 2010

Car la critique a aussi du cœur

Tout d'abord, laissez-moi vous raconter une petite histoire.
C'était à Salzbourg, il y a à peine plus d'un mois (ça faisait longtemps que je ne vous avais pas parlé de Salzbourg). Ce soir-là, l'excellent pianiste András Schiff offrait au public salzbourgeois, à la fois nombreux et enthousiaste, un copieux programme Schumann/Beethoven. Juste avant que le concert ne commence, entre un couple sur le côté du balcon du Großes Festspielhaus un très vieux couple. On est habitué, à Salzbourg comme partout dans le monde musical, à voir un public pas tout jeune, mais ceux-là dépassaient nos attentes : aucun des deux n'était particulièrement ingambe, mais Monsieur avait un déambulateur, et si Madame occupait un siège ordinaire, Monsieur avait réservé une place de fauteuil roulant, qu'il n'avait pas : je vous laisse imaginer avec combien de précautions les ouvreurs l'installèrent sur le plan médian du déambulateur.

mardi 7 septembre 2010

Le crépuscule des idoles, ou comment s'en débarrasser

Quoi de neuf à l'opéra ? Eh bien... Placido Domingo, Ruggero Raimondi, Edita Gruberova... Et c'est tout ? Ah non, j'oubliais : Alain Duault, bien sûr ! Que de fraîcheur, que d'audace, que de dynamisme !


Vous l'avez deviné : je vais vous parler du récent Rigoletto produit par la RAI et diffusé ce week-end en mondiovision. Et vous l'avez sans doute aussi deviné : je ne l'ai pas vu, ce qui est notoirement la meilleure qualification possible pour en parler. Le Dieu auquel on rend un culte dans ce projet, ce n'est pas un compositeur, c'est un chanteur, l'omniprésent Placido Domingo. Bien sûr, il ne faudrait pas dire que s'il se met à aborder des rôles de baryton (Boccanegra récemment, ici Rigoletto - mais sans public !), c'est parce que sa voix est à l'agonie : non, il faut conserver le mythe de l'indestructible Placido. Son statut dominant dans le monde lyrique, il le doit certainement à beaucoup de qualités réelles, mais il le doit surtout à sa participation à l'une des plus lamentables entreprises de dévoiement culturel, les fameux Trois ténors. Sans doute, ce n'était pas pire que les bêtises de Roberto Alagna (Luis Mariano ou les "créations" de ses frères), ou l'album Mexico de Rolando Villazon (qui a lui aussi de bonnes raisons de faire oublier l'état de sa voix lyrique). Mais il ne faut pas non plus se laisser aveugler : sans cette aventure commerciale, sa notoriété ne serait pas ce qu'elle est (on peut comparer avec Jonas Kaufmann, qui n'a certes pas le même répertoire, mais a un talent et une intelligence audible incomparable, avec pourtant une notoriété bien moindre).

Dans le domaine de la mode, une marque continue au-delà de la mort de son créateur ; dans le domaine de l'opéra, on ne peut pas pérenniser une marque quand la voix n'est plus là : ainsi s'explique la pathétique survie médiatique de Domingo, comme celle de Ruggero Raimondi ou, dans un tout autre style, celle d'Edita Gruberova, accueillie récemment en triomphe lors d'un invraisemblable récital parisien.

 Je l'avoue : aucun de ces trois chanteurs ne m'a jamais beaucoup intéressé, sur scène comme en conserve. Mais ce n'est rien à côté de ce qu'ils sont devenus. J'ai écouté l'un des nombreux Simon Boccanegra donnés par Domingo ces derniers mois, et j'ai écouté avec plus encore d'intérêt et de stupéfaction le concert de louanges que n'ont pas manqué d'entonner ses thuriféraires : je peux comprendre qu'on privilégie l'émotion à la justesse, mais il y a des limites, surtout quand en plus j'ai bien du mal à détecter la moindre émotion, sinon celle que donnent les ruines au touriste consciencieux. Le contraste entre ces aboiements mal maîtrisés et le chant immensément cultivé, intelligent et sensible de sa partenaire Anja Harteros n'aurait pu être plus grand.

Il en va de même pour les deux autres chanteurs cités : si la carrière de Raimondi est en dents de scie depuis un bon moment, celle d'Edita Gruberova est florissante dans les quelques villes qui veulent bien d'elles, et j'ai bien assez à mon goût été témoin du culte que lui vouent les "mélomanes" de Munich. Un journal autrichien a même parlé d'école de style à propos de sa récente Norma salzbourgeoise. Oui mais voilà, elle aussi est une grande spécialiste des compromis avec la justesse, des vocalises savonnées, des attaques basses (tiens, les attaques basses : j'aurais pu évoquer aussi un autre monument effrité, une certaine Jessye Norman...). Un tel culte n'a plus rien à voir avec l'amour de la musique, beaucoup plus avec les phénomènes qui entourent des stars aussi profondes que Claude François ou Michael Jackson : l'important, ce n'est pas (plus) ce qu'on entend.
Rigoletto a Mantova
Avec la Rai, la vulgarité est toujours gagnante : un opéra très bête, des vieilles stars, des vieilles pierres, et on croit faire de l'art...

Certains lecteurs au cœur large se demanderont peut-être pourquoi je prends tant de peine à dire du mal de ces braves gens : en soi, c'est vrai, ils ne me gênent pas plus que je ne sais quelle starlette d'aujourd'hui, ou que l'élection à l'Académie Française de grands intellectuels comme Jean-Loup Dabadie ou Valéry Giscard d'Estaing. Ce qui me gêne en revanche beaucoup, c'est d'abord l'image lamentable et fausse que de tels spectacles, que la télévision française devrait mépriser, donnent de l'opéra, en reproduisant les clichés les plus datés. Qui n'aurait vu en matière d'opéra que la Mireille de Nicolas Joel, les retransmissions régulières du Festival d'Orange et ce Rigoletto aurait bien des raisons de penser que ce n'est qu'une histoire de vieilles barbes dans des décors et costumes poussiéreux, qu'à l'opéra les histoires sont de toute façon idiotes et que le chant lyrique a quelque chose du beuglement d'un quelconque bétail enroué.

Et puis, quelle tristesse de voir de tels monuments décatis cacher les cohortes innombrables d'interprètes ô combien plus passionnants qu'ils ne l'ont jamais été. Ce n'est pas du jeunisme : quand Franz Mazura, à 80 ans, chantait encore Schigolch (dans Lulu de Berg), c'était bouleversant, superbe, étincelant d'intelligence. La question n'est pas l'âge, mais l'intelligence, la musicalité, l'intelligibilité, et quand même un petit peu l'état de la voix. De tous ces points de vue, et pour qu'on ne m'accuse pas de ne rien aimer parce que je dis du mal de 4 (quatre !) chanteurs, voici quelques noms de chanteurs en activité très supérieurs à tous les Norman, Gruberova, Domingo ou Raimondi du monde :

Sandrine Piau, Juliane Banse, Ian Bostridge, Elina Garanca, Jonas Kaufmann, Waltraud Meier, Angela Denoke, Dorothea Röschmann, Christoph Prégardien, Magdalena Kozena, Anja Harteros, Lawrence Zazzo, Anne-Sofie von Otter, Stéphane Degout, Charlotte Hellekant, Luca Pisaroni, Christine Schäfer, Mireille Delunsch, John Tomlinson, Rosemary Joshua, Christian Gerhaher, Gérard Lesne, Silvia Tro Santafé, Toby Spence, Topy Lehtipuu, Nikolai Schukoff, Mariusz Kwiecien, Diana Damrau, Michael Volle, Evgeny Nikitin, Malena Ernman, René Pape, Anatoli Kotscherga, Genia Kühmeier, Nina Stemme, Piotr Beczala, et caetera, et caetera,et caetera,et caetera,et caetera...

J'espère que ça vous suffira...

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vendredi 3 septembre 2010

L'opéra est-il une république bananière ?

95 % ? 96 % 97, 98, 99, 100 %, bientôt 101, 102, 103 % : jusqu'où ira-t-on ?

Vous l'avez remarqué, j'imagine : chaque fois qu'une maison d'opéra ou un festival de premier plan font le bilan de leurs saisons, les taux de remplissage des salles qu'ils affichent fièrement ont toujours, ces dernières années, des allures de résultats électoraux façon bloc soviétique. On se bat aujourd'hui pour afficher un pour cent de plus que l'an passé, bientôt, à moins de franchir la barre des 100 %, on se battra pour des dixièmes.

Bien sûr, il y a un côté positif là-dedans : mieux vaut, c'est évident, que les salles soient pleines ; mieux vaut que les subventions publiques, là où elles existent, soient utilisées pour des spectateurs que pour des salles vides. Après tout, le temps où l'opéra était le comble du ringard, le divertissement des bourgeois les plus flétris, le refuge des bien-pensants n'est pas si loin, et il ne faut pas oublier que si l'Opéra de Paris, au début des années 70, ou le festival de Salzbourg vingt ans plus tard sont tombés dans les mains de ces dangereux révolutionnaires qu'étaient Rolf Liebermann et Gerard Mortier, c'est qu'ils étaient à l'article de la mort et que leurs tutelles ne savaient plus à quels saints se vouer : les crises du passé pourraient revenir. Que les salles d'opéra soient aujourd'hui pleines, c'est une bonne chose, bien sûr. Mais ce n'est pas qu'une bonne chose. Le patient a les joues bien pleines et bien roses, mais des examens complémentaires s'imposent.

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