vendredi 17 octobre 2008

À quoi sert la mise en scène (3) - Wozzeck ou l'art de l'à-propos

Souvenirs : au beau milieu de Wozzeck de Berg, Marie seule en scène, lisant dans la Bible l'histoire de la pécheresse Madeleine - "Va et ne pèche plus". C'était au Châtelet (l'ancien Châtelet, qui était un lieu de culture...), lors de l'ultime reprise de la mise en scène de ce chef-d'œuvre par Patrice Chéreau, il y a une dizaine d'années. Le spectacle, bien sûr, est historique, inoubliable, parfait de bout en bout, mais plus que tout c'est ce moment-là qui reste le plus vivant dans ma mémoire.
Waltraud Meier, donc, actrice-chanteuse comme peu, assise au centre de la scène, dans sa robe rouge qui faisait un contraste saisissant dans le noir environnant. Immobile, ou presque ; et l'émotion naissait précisément de cette immobilité, du noir environnant, de tout ce qui s'était passé pendant le début du spectacle, comme de tout ce vers quoi il tendait. Ce serait un peu, si l'on veut, l'esthétique de Robert Wilson, mais sans le système, sans l'apparat technique de ses productions (dont certaines, bien sûr, ont été de grandes réussites). Chez Wilson, la puissance du geste rare est sans cesse mise en péril par un maniérisme de l'éclairage, des accessoires design, la négation de la dimension corporelle ; chez Chéreau, l'apparent naturalisme de la direction d'acteur conduit à une économie subtile du geste. Je ne sais pas si c'est cela, le théâtre, l'idée qu'on doit pouvoir faire tenir tout un monde dans un seul geste, voire dans l'absence de geste : mais ce soir-là, pour moi, il y avait quelque chose de l'essence du théâtre révélée sous mes yeux.
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Si certains en me lisant pensaient à des applications politiques de cette idée d'économie du geste, opposée à l'activisme de l'action-image que certains gouvernants français pratiquent avec aveuglement - ma foi, c'est une interprétation défendable.
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