jeudi 17 décembre 2009

L'héritage Noureev à l'Opéra (5) - La troupe vingt ans après [Les dames]

Il y a vingt ans, à l'automne 1989, Rudolf Noureev quittait la direction du Ballet de l'Opéra. Ce qu'il nous a laissé, c'est d'abord un répertoire qui fait depuis le fond du répertoire de la maison - j'ai déjà eu amplement l'occasion d'en parler -, mais aussi une troupe qu'il avait marqué de façon indélébile. Justement aujourd'hui, alors que la génération incroyable de danseurs masculins qu'il avait formé vient de faire ses adieux (Kader Belarbi, Manuel Legris, Wilfried Romoli, Laurent Hilaire !), je me suis dit qu'il était peut-être temps de faire un bilan de ce qu'est la troupe aujourd'hui, au moment précis où la troupe est le plus occupée avec les inévitables spectacles de Noël (un Casse-Noisette qui a fort mal commencé et un spectacle Ballets Russes nettement plus intéressant).
Je ne suis pas de ceux qui, physionomistes et heureux de l'être, mettent un nom sur chaque visage au fin fond du corps de ballet. Je me limiterai donc aux étoiles, aux premiers danseurs et peut-être à quelques sujets ; ce qui n'est pas si grave, tant le style de cette élite de la troupe semble imprégner toute la troupe elle-même, moulée selon le même moule : mine de rien, à force de lire ces mini-portraits, j'espère que le lecteur pourra lire le portrait de tout un ensemble, ses points forts mais aussi ses faiblesses. Car des faiblesses, il y en a, et je ne cache pas qu'il ne s'agit pas ici pour moi de faire l'éloge de Brigitte Lefèvre, qui dirige la troupe depuis 1995 : il y a une responsabilité claire dans les problèmes actuellement rencontrés par la troupe, et il est plus que temps de préparer la succession...
Mais trêve de préliminaires : allons-y...


(ah non, une dernière chose : de tels portraits individuels sont toujours un peu délicats, je tiens donc à préciser que : 1. Je ne connais personnellement aucun des danseurs évoqués, ni aucun danseur de la troupe quel qu'il soit. 2. La légitimité que je prétends avoir pour faire ceci n'est ni celle d'un spécialiste, ni celle d'un insider. Simplement celle d'un spectateur passionné qui a vu deux ou trois cents fois cette troupe ces quinze dernières années. 3. Je mentionne à chaque fois, si possible, un rôle particulièrement marquant de chaque interprète, celui où - me semble-t-il - il s'exprime le mieux : ça ne veut pas dire qu'il est mauvais ailleurs, ni qu'il est forcément le meilleur interprète de ce rôle à l'Opéra).

LES DAMES

Abbagnato, Eleonora
Première danseuse
Le rôle : L'Élue (Pina Bausch, Le Sacre du printemps)
Commentaire : L'ordre alphabétique fait mal les choses, commencer par ce cas très particulier ne rend pas la chose facile. Voilà une danseuse douée d'un talent débordant, qui a offert à l'Opéra des prestations bouleversantes dans le répertoire contemporain qui auraient pu lui valoir le titre d'étoile, à un moment - vers 2002 - où les postes à pourvoir ne manquaient pas. D'autres ont été nommées, pas elle. Depuis, les choses n'ont fait qu'empirer : un premier congé sabbatique en 2007/2008, un second sur toute la saison 2009/2010 ; entre temps : quelques prestations honnêtes, pas très investies, dans des rôles plutôt secondaires. Reviendra-t-elle à l'Opéra ? Pas sûr. C'est triste ; il faut se souvenir, plutôt que des dernières années, de ce qu'a été cette danseuse écorchée, d'une intensité brûlante, ce mélange détonnant de blonde fragilité et de puissance expressive. Merci à vous ; puissiez-vous désormais trouver un chemin artistique qui vous plaise et vous permettre de revenir aux racines de votre talent, que vous ne trouverez pas sur les plateaux de la RAI.

Ciaravola, Isabelle
Étoile
Le rôle : Tatiana (Onéguine)
Commentaire : Isabelle Ciaravola a été nommée tardivement étoile, à 37 ans : une fois n'est pas coutume, cette nomination tardive est compréhensible. Cette belle artiste, première danseuse incontestable depuis 2003, a connu un épanouissement tardif, si bien que c'est aujourd'hui que son talent éclate comme jamais. Intense, lyrique, intelligente, il ne lui reste plus qu'à s'approprier les grands rôles qu'on voudra bien lui laisser danser : les cinq années qui lui restent avant sa retraite vont être passionnantes.

Cozette, Émilie
Etoile
Le rôle : Médée (Preljocaj)
Commentaire : Disons-le brutalement : aucune étoile ne mérite moins ce titre qu'elle. Son point fort est sans aucun doute le contemporain, ce qui a certainement justifié sa nomination et lui a valu quelques succès dont la Médée de Preljocaj ou Afternoon of a Faun de Robbins - point fort certes, mais pas au point d'en faire une grande artiste. Mais cette honnête première danseuse contemporaine est maintenant distribuée dans les grands rôles classiques, pour lesquels elle n'a ni la technique, ni l'esprit, et on ne peut s'empêcher de penser que par manque d'intérêt pour ces rôles elle n'hésite pas à combler la mesure en les bâclant avec un certain esprit de système.

Daniel, Nolwenn
Première danseuse
Le rôle : Pas de deux de Une sorte de (Ek)
Commentaire : Très belle première danseuse, mais aussi très discrète, Nolwenn Daniel n'a guère eu l'occasion de montrer ses talents sur les premiers rôles classiques, sinon dans un magnifique Casse-Noisette il y a deux ans. Les meilleurs, dans cette troupe, ne sont pas forcément les plus mis en avant, hélas. Quand elle a dansé du (bon) contemporain, elle a montré aussi une personnalité d'une grande subtilité (je l'ai découverte, pour ce qui me concerne, dans le sous-estimé ballet de Michèle Noiret Les familiers du Labyrinthe).

Dayanova, Sara Kora
Sujet
Le rôle : La Nourrice (Pétrouchka)
Commentaire : Déjà remarquée par beaucoup dans le corps de ballet, et enfin par moi depuis qu'elle danse de petits rôles solistes, voilà un des espoirs les plus sérieux de la troupe, par sa technique et par son allant très contagieux. Ce qu'il lui faut ? Avant tout, qu'on lui fasse confiance...

Dupont, Aurélie
Étoile
Le rôle : Aurore (La Belle au bois dormant)
Commentaire : Une des étoiles les plus évidentes et les plus populaires, un bel exemple de polyvalence entre classique et contemporain, une des rares à avoir quelque notoriété à l'étranger (ce qui n'est certes pas un critère). Mais aussi un exemple - point trop marqué certes - du risque d'essoufflement que comporte le fait de passer plus de dix ans avec ce titre d'étoile : c'est toujours très beau, très lyrique, très stylé ; mais on aimerait un peu plus d'enthousiasme, d'envie, de prise de risque.

Fiat, Fanny
Sujet, a démissionné de l'Opéra de Paris en 2009
Le rôle : Cupidon (Don Quichotte)
Commentaire : Elle n'est plus là, mais on ne l'a pas oubliée. Une des plus belles danseuses classiques de l'Opéra, jamais récompensée pour son grand talent, en a tiré les conséquences. Ce cas navrant est révélateur de tous les problèmes qui pèsent actuellement sur l'Opéra. Pendant des années, il a fallu garder les yeux ouverts : une Demoiselle d'Honneur, Cupidon, un pas de trois, et c'était fini, mais on en prenait à chaque fois plein la vue. Emilie Cozette, elle, est étoile, et Ludmila Pagliero première danseuse. Merci, Mlle Fiat.

Gilbert, Dorothée
Étoile
Le rôle : Lise (La fille mal gardée/Ashton)
Commentaire : On est un peu en froid aujourd'hui, avec cette danseuse évidemment brillante, la faute à ce Casse-Noisette récent, où cette étincelle qui la caractérise semblait éteinte. Dès son entrée dans le corps de ballet, son destin d'étoile semblait évident, et sa nomination n'a ni étonné ni scandalisé personne. Elle a trouvé avec La fille mal gardée un rôle à son image, brillant et espiègle. Et maintenant ? Nikiya peut-être ? Fort bien, mais il y a du travail pour pénétrer dans ce personnage !


Gillot, Marie-Agnès
Étoile
Le rôle : Giselle (Mats Ek)
Commentaire : On l'a attendue, cette étoile ! Peut-être en raison de son physique hors normes : grande, solidement bâtie, loin de l'insupportable cliché de la ballerine classique. Nommée en 2004, Marie-Agnès Gillot illuminait alors tout ce qu'elle dansait depuis plusieurs années, que ce soit dans le classique (ébouriffante Kitri de Don Quichotte) où dans le contemporain où elle était le premier choix de la grande majorité des chorégraphes (de Mats Ek à Preljocaj, sans oublier son extraordinaire Catherine dans un des rares grands succès de l'Opéra en la matière, Hurlevent de Kader Berlarbi). Depuis, le répertoire contemporain de la maison s'est dégradé à grande vitesse, ce qui lui a donné moins d'opportunités de s'illustrer, mais elle reste une danseuse magnifique, dont on oublie vite les qualités techniques tant l'évidence d'une personnalité artistique majeure est aveuglante. Récemment, on a pu notamment l'admirer en servante fougueuse et libre dans La maison de Bernarda de Mats Ek.

Hurel, Mélanie
Première danseuse
Le rôle : ?????
Commentaire : Le plus grand mystère de cette troupe pour moi. Souvent programmée dans des grands rôles (Clara, Aurore, Paquita), elle n'a ni la technique, ni le poids artistique nécessaire pour eux. Je me souviens avec effroi de fouettés dans Paquita, qu'on pourrait appeler des "fouettés-arrêtés" : je me donne de l'élan avec le pied, je tourne, je m'arrête. Je me redonne de l'élan, je tourne, je m'arrête. Etc. Dans le contemporain, elle peut parfois faire illusion avec son physique gracile et fluide. Mais pas de là à marquer un rôle.

Kudo, Miteki
Sujet
Le rôle : L'Élue (Le Sacre du Printemps/Bausch)
Commentaire : Une artiste inoubliable, depuis quelque temps confinée à des positions secondaires, mais qui a apporté aux amateurs de contemporain des moments extraordinaires (sans démériter, disons-le au passage, dans le classique). Les chorégraphes la choisissaient pour son intensité minérale, cette expressivité dense et délicate, qui fascinait tout autant le public. Sa carrière, aujourd'hui, touche à sa fin ; j'utilise ce blog pour lui adresser tous mes remerciements et toute mon admiration.

Letestu, Agnès
Étoile
Le rôle : Odette/Odile (Le Lac des Cygnes)
Commentaire : La plus ancienne des étoiles féminines (nommée en 1997) n'a visiblement pas l'intention de laisser la place aux jeunes. Pas de trace de lassitude, chez elle, face aux grands rôles du répertoire classique. Ses interprétations ne sont pas les plus spectaculaires - amis de Sylvie Guillem, passez votre chemin -, son élégance semble volontiers un peu froide (je fais partie, je l'avoue, des nombreux amateurs de danse à l'avoir d'abord dédaignée pour cela). Mais voilà : il y a le style. Le style, c'est l'intelligence du geste, une forme de séduction plus lente peut-être, plus discrète, mais plus pénétrante ; c'est aussi le respect de l'esprit d'une chorégraphie, plutôt que la mise en valeur exclusive de celui qui l'interprète. Tous les rôles ne lui vont pas également, la majesté n'étant guère compatible avec l'espièglerie. Mais quand elle est chez elle, Agnès Letestu est une souveraine.

Moussin, Delphine
Étoile
Le rôle : ?????
Commentaire : Il n'y a pas qu'aujourd'hui que la politique de l'Opéra a connu des ratés. On me dit que Delphine Moussin a été une très grande danseuse à un moment de sa carrière, dans les années 90, sans pour autant obtenir le titre d'étoile qu'elle méritait. Du moins jusqu'en 2005 : plus personne ne s'attendait à cette nomination, moi moins que quiconque. Attirer l'attention sur cette danseuse en fin de carrière n'était sans doute pas le meilleur service à lui rendre : depuis, elle aligne des représentations honnêtes, mais sans panache, ni indignes d'une étoile, ni vraiment remarquables. On se réjouit pour elle, mais après ?

Osta, Clairemarie
Étoile
Le rôle : Marie (Clavigo)
Commentaire :Voilà une danseuse qui sait ce qu'elle veut, et qui y parvient. L'épouse de Nicolas Le Riche est moins populaire et moins brillante que son mari, mais elle a une personnalité artistique unique. C'est une forme de fierté qu'on peut lui pardonner facilement : si vous n'allez pas vers elle, elle ne viendra pas vers vous. C'est une interprète qu'il faut découvrir pas à pas, pour laquelle vous devez modifier votre regard pour apprendre à voir. Mais ce qu'on voit au bout du parcours est éblouissant. Récemment encore, j'ai été ébloui par son interprétation de Rubis (le segment médian de Joyaux de Balanchine) : un naturel épatant, une légèreté très incarnée, une appropriation respectueuse et créatrice de l'œuvre de Balanchine.

Ould-Braham, Myriam
Première danseuse
Le rôle : Clara (Casse-Noisette)
Commentaire : D'une certaine façon, Mlle Ould-Braham est un bon exemple du fonctionnement Opéra de Paris à son meilleur : une danseuse qui est loin d'avoir le caractère explosif des petits prodiges russes, mais qui parvient tranquillement, saison après saison, à une maturité artistique qui en fait une des plus belles danseuses classiques de la troupe. Il va lui falloir conquérir la première place en s'imposant dans des rôles où on ne pense pas forcément à elle en premier lieu, ne serait-ce qu'à cause de la mode pseudo-balanchinienne des danseuses immenses.

Pagliero, Ludmila
Première danseuse
Le rôle : ?????
Commentaire : Encore une fois, le concours 2009 a livré un résultat plus que surprenant : on avait remarqué que la direction de l'Opéra l'appréciait, sans vraiment comprendre pourquoi. Cette promotion imméritée a fait des vagues, mais le mal est fait. Une technicienne moyenne doublée d'une personnalité artistique pour l'instant indiscernable se retrouve première danseuse, avec des premiers rôles à la clef. On n'a même pas l'impression que cela correspond à un choix esthétique de la direction : simple arbitraire ?

Pujol, Laetitia
Étoile
Le rôle : Giselle
Commentaire : Avouons-le, voilà une étoile qui n'a pas suscité immédiatement mon affection, et qui restera sans doute une étoile de second plan jusqu'à la fin de sa carrière. Mais au moins a-t-on là une vraie, bonne danseuse, et si le Don Quichotte "sur" lequel elle a été nommée ne méritait vraiment pas un tel honneur, elle a trouvé en Giselle un rôle idéal pour elle : je n'ai jamais vu de folie plus émouvante que la sienne, ce qui justifie sans doute amplement qu'elle n'ait pas été distribuée dans ce rôle lors de la dernière reprise.

Renavand, Alice
Sujet
Le rôle : La servante (La Maison de Bernarda/Ek)
Commentaire : Danseuse au talent évident, Mlle Renavand n'a pas encore eu l'occasion de danser des premiers rôles classiques, mais tout ce qu'on a vu donne envie d'en voir plus : Gamzatti (La Bayadère) bientôt ? Dans le domaine contemporain, la preuve est faite, sans aucun doute. On attend de la direction des preuves de confiance pour cette belle danseuse.


Romberg, Stéphanie
Première danseuse
Le rôle : Soliste du Boléro (Béjart)
Commentaire : Voilà sans doute une des danseuses les moins classiques de la maison, un concentré d'énergie sombre peu capable de s'adapter à ce qu'on lui demande : diamant noir ici, pensum là. N'importe, il vaut mieux payer par des prestations brouillonnes des moments de grâce chorégraphique que subir des danseuses toujours au point mais ennuyeuses. Pour les ambitions classiques de la compagnie, d'autres sont là ; ce qu'elle apporte, si personnel, est indispensable aussi.

Zusperreguy, Muriel
Première danseuse
Le rôle : Le fil conducteur de Bella Figura (Kylian)
Commentaire : Depuis Bella Figura, je n'ai cessé de suivre cette danseuse fondante, si on me passe l'expression (quel dommage qu'aucune vidéo de ce ballet par l'Opéra de Paris n'existe !) : qu'on pense par exemple à l'innocente Cathy de l'un des plus beaux ballets créés par l'Opéra, Hurlevent de Kader Belarbi ! Espérons qu'elle aura son mot à dire, dans les prochaines années, dans le répertoire classique.

Les hommes viendront dans un message ultérieur, le plus vite possible...

mercredi 9 décembre 2009

Admirations (5) - Krzysztof Warlikowski

Il n'est pas sur le devant de la scène en ce moment en France, même s'il l'a été il y a peu (avec (A)pollonia à Avignon puis Chaillot, où le nombre de "cherche-place" devant le théâtre était significatif de l'intérêt que suscite désormais son travail), et le sera prochainement à nouveau (Un tramway nommé désir à l'Odéon au printemps) : le metteur en scène polonais, que le coup de projecteur donné par Gerard Mortier à l'Opéra de Paris sur son travail a fait connaître en France au-delà des spécialistes de théâtre, n'en est pas moins un artiste fondamental de notre temps, et cela seul justifie que j'en parle (ce qui se passe actuellement à l'Opéra de Paris, ce mélange de revendications réactionnaires et de conformisme mou, laisse du temps pour parler de choses plus intéressantes).

http://wajdimouawad.nac-cna.ca/local/cache-vignettes/L600xH400/Parsifal_01_2008-0fb8d.jpg
Voilà bien un artiste qui ne cherche pas à se faire aimer, et qui ne correspond guère a priori à mes attentes d'un théâtre des hommes, que j'aime volontiers narratif (à condition de donner de la narration la définition la plus vague possible, très éloignée de l'action chère au théâtre de boulevard), qu'incarnent pour moi idéalement Jossi Wieler, Johan Simons (il faudrait que je parle de Johan Simons, le grand incompris de l'ère Mortier), ou en France Stéphane Braunschweig. Je ne suis pas chez moi dans les spectacles de Warlikowski, on me pousse quand je voudrais m'arrêter, on me laisse mariner quand je voudrais aller voir plus loin, on y est mal assis, il fait trop chaud, il fait trop froid, bref on n'a pas son confort, et il y a de quoi râler.

Simplement, à force d'avancer cahin-caha en mettant en évidence mes talents de râleur, je me suis rendu compte que je n'avais jamais été là où il m'emmenait, que ces territoires inédits étaient fascinants, bref qu'un peu d'inconfort était le prix d'une extension vertigineuse du monde connu.

Chez Warlikowski, pas de narration, ou en tout cas pas de structuration par la narration : des histoires, il y en a, et même plus qu'une dans chaque spectacle, des histoires connues, qui sont en nous, et qui surgissent  comme autant de fragments connus nous servant à appréhender le chaos d'un monde jamais vraiment familier.
Il y a trente ou quarante ans, on aimait le théâtre psychologique, primairement freudien, où le méchant finissait par trouver le traumatisme d'enfance qui expliquait tout, ce qui le guérissait dans l'instant. Warlikowski traque l'âme humaine d'une toute autre façon : loin d'y rechercher une rationalité, loin d'y définir la frontière entre le pathologique et la normalité, il plonge le spectateur dans une réalité brisée, multiple, qui dépasse l'entendement. Son art fait de la profusion, du kaléidoscope, de la superposition les chemins d'une appréhension du monde qui ne vise pas à l'expliquer. Il n'y a pas de solutions dans les spectacles de Warlikowski, pas d'objectivité ; le spectateur n'est pas pris par la main pour un parcours rassurant et sans risque. Ce théâtre du monde, où le chaos des fantasmes vient heurter parfois violemment nos certitudes et nos habitudes de spectateurs de théâtre, retrouve par là l'humanité que la profusion des images et de la technique pourrait masquer : c'est en nous que le regard pénètre.


.....................

On peut lire une interview croisée très intéressante de Warlikowski et d'Olivier Py sur le site de Télérama (pour une fois qu'il y a quelque chose d'intéressant là-dedans...) : on se rend vite compte des limites du discours très convenu du metteur en scène français face à la force de l'imaginaire de son collègue polonais...

Je signale au passage que deux spectacles de Warlikowski sont disponibles en DVD, tous deux avec des sous-titres français, Krum de Hanok Levin et La Tempête de Shakespeare, édités par le valeureux Institut National de l'Audiovisuel polonais. Je les ai commandés pour ma part sur le site polonais merlin.pl, qui m'a livré de façon très satisfaisante (et pour un prix de vente assez dérisoire). L'usage d'un traducteur automatique est à vrai dire indispensable pour ceux qui, comme moi, ne comprennent pas un mot de polonais.
Je dois avouer malheureusement que je n'ai eu le temps de regarder que La Tempête (Burza) : un spectacle formidable que j'aurais rêvé de voir sur scène. On remarquera notamment le traitement, d'une subtilité et d'une intelligence, du personnage de Caliban.






Photos: Parsifal à l'Opéra de Paris (décors de Malgorzata Szczesniak), photo Ruth Walz.
Et, en guise de post-scriptum, le minaret de la grande mosquée de la ville irakienne de Samarra (IXe siècle).
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