vendredi 20 octobre 2006

Plaisir


En sortant du concert d'hier soir, à la Cité de la Musique, le mot qui me venait à l'esprit pour caractériser ce concert était "plaisir". Le programme était le suivant:

SCHÖNBERG Sérénade op. 23 (Ronan Nédélec, baryton)
KURTAG ... Quasi una fantasia... op. 27 n° 1 (Dimitri Vassilakis, piano)
FRANCESCONI Etymo (Barbara Hannigan, soprano)

Ensemble Intercontemporain
Susanna Mälkki

Ce n'est pas là, j'en conviens, le genre de programme qu'une majorité du public de la musique classique associe avec "plaisir", même si une salle relativement pleine pour ce type de programme montre bien qu'il y a, fort heureusement, un public pour de tels concerts. Le terme "plaisir", on le voit employé plus volontiers pour des choses plus légères, ou au moins amplement prédigérées, pour Offenbach, pour Mozart, sans tomber jusqu'à Francis Lopez. En musique contemporaine même, l'impression qu'ont certains de l'importance historique de leur présence, de leur rôle de précurseurs, ou plus simplement le sérieux légèrement teinté de complexe d'infériorité avec lequel beaucoup abordent ce répertoire, ont bien trop tendance à faire passer ce plaisir au second plan.
Tout, bien entendu, n'est pas parfait dans le meilleur des mondes. Malgré l'engagement de la soprano Barbara Hannigan (Mademoiselle Correspondances de Dutilleux), l'oeuvre de Francesconi ne suscite, de ma part comme de celle du public, qu'un enthousiasme très modéré, tant elle est obérée par un usage massif de l'électronique et par une prolixité paradoxale pour une oeuvre parlant d'aphasie: à trop vouloir en dire, on finit par n'être plus que bavard (ce que, je le sens, je suis aussi en train de devenir).
L'électronique, censée permettre un enrichissement de la perception musicale par la modification et la spatialisation du son, se trouve écrasée par la splendeur éhontée des timbres instrumentaux de la Sérénade de Schoenberg: le plaisir dont je parlais, ce n'est pas un plaisir intellectuel (sujet de dissertation: existe-t-il un plaisir intellectuel?). C'est bien de sensualité que je parle ici, de plaisir charnel! L'oeuvre est pour moi une découverte passionnante.
Entre les deux, Kurtag: ne cachons pas que ce monsieur est un de mes compositeurs préférés, qu'il est de toute évidence un compositeur de tout premier plan et que, quand on écoute sa musique, toute idée de déclin de la musique apparaît comme des sornettes.
... Quasi una fantasia... fait partie de ses oeuvres les plus jouées; éclatant en un paroxysme expressif, l'oeuvre est encadrée par deux mouvements d'une extrême douceur qui portent en germe, en sous-texte, l'éclatement qu'ils ne laissent pas passer. En 9 minutes malheureusement gâchées en partie par un tousseur imbécile, on a là un art d'un raffinement extrême où chaque détail compte, détail de timbre, de rythme, de dynamique, mais où l'émotion et l'expression sont d'une puissance immédiate qui saisit l'auditeur sans répit.

L'oeuvre a déjà été enregistrée plusieurs fois: notamment dans l'édition d'un concert du Festival de Salzbourg (éd. Col Legno: G. K., Porträtkonzert) et dans un disque hélas introuvable de Claudio Abbado (sous le titre Wien Modern).


Photo: György Kurtag (source: http://www.grawemeyer.org/)
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