
Le concert que donnait Hélène Grimaud ce vendredi au Châtelet était de ces concerts-là, mais pas tout à fait, la salle n'étant pas pleine et les applaudissements finalement pas si frénétiques. Et puis, reconnaissons-le, Hélène Grimaud est une pianiste honorable. La déception venait finalement de l'orchestre de la SWR et de son chef Michael Gielen: leur prestation reste meilleure que celles de la plupart des orchestres parisiens, mais ce n'est pas assez pour des artistes aussi exceptionnels.
Il y a deux sortes de pianistes. Les vrais musiciens, les poètes, ceux pour qui la partition reste le guide absolu, les Brendel, les Barenboim, les Lipatti autrefois. Et ceux qui vivent une relation plus tempêtueuse avec leur clavier, ceux chez qui la virtuosité prend souvent le pas sur la musique, ceux pour qui l'oeuvre qu'ils jouent (n')est (que) matériau pour leur propre création, Pollini, Arrau, Lupu. Et, à la frontière exacte entre les deux, Kissin.
Ma préférence va nettement aux pianistes du premier genre, Hélène Grimaud, elle, appartient au second. Dans ce second genre, qui est souvent le préféré des pianolâtres, il y a de très grands artistes, qui me passionnent comme ils passionnent les foules: qu'on pense seulement à une Argerich. Evidemment, Hélène Grimaud est loin d'occuper les premières places dans cette prestigieuse troupe, comme le concert d'hier l'a bien montré. Ses qualités sont aussi ses défauts, cette crispation des bras, cette conquête périlleuse de chaque son constituent une approche extrêmement vivante de l'oeuvre qu'elle jouait - le second concerto de Brahms -, mais il faut pour cela passer par tant d'ornements à peine effleurés, tant de passages où le piano est couvert par l'orchestre, où le contraint croise le débridé. Une pianiste qui n'est pas sans intérêt donc, bien loin des fausses valeurs comme Lang Lang ou Fazil Say - mais certainement pas une artiste inoubliable.
Photo: Théâtre du Châtelet, 2e balcon.