jeudi 24 janvier 2013

Millepied pour ne pas avancer

Il était plus que temps que Brigitte Lefèvre, née en 1944, se décide enfin à quitter la direction du Ballet de l'Opéra de Paris, une troupe qu'elle ne laisse pas en bon état, avec un répertoire usé, des créations récentes pour beaucoup sans valeur et une perte de niveau des danseurs, pas tant du point de vue technique qu'artistique (c'est pire) - même si, Dieu merci, le public suit encore, en partie parce qu'il se détourne de l'opéra d'ailleurs.
J'étais pourtant loin d'imaginer que le choix de son successeur pourrait être aussi décevant.

dimanche 20 janvier 2013

Journal d'hiver - Berlin décembre 2012



dimanche 13 janvier 2013

Journal d'automne - décembre (2)



Jeudi 13 décembre, Paris – De temps en temps, il faut bien que j’aille voir du théâtre français, pour me convaincre que j’ai raison de privilégier les estrangers. Cette fois, Pascal Rambert met en scène Pascal Rambert, avec Pascal Rambert Stanislas Nordey et Audrey Bonnet, dans le saint des saints de la Culture Branchée Officielle : le Centre Pompidou et ses souterraines salles de spectacle où je vais d’ailleurs rarement. Deux heures pour deux monologues successifs, rupture de la relation amoureuse entre les deux personnages qui, surprise, s’appellent comme les acteurs, Stan et Audrey (l’art, la vie, vous voyez ?). Le texte porte toutes les marques officielles du Texte Littéraire Contemporain, mais ça ne suffit pas à masquer la banalité du propos, ou l’absence de propos : on est dans ce vaudeville qui est le pont aux ânes du théâtre, du cinéma, de la danse, du roman […] français, et il ne suffit pas de lui faire revêtir des habits chic pour en masquer la désuétude. Rambert metteur en scène fait cela dit des efforts visibles pour incarner ce texte dans le corps des acteurs, et on peut se laisser fasciner par la gestuelle de Nordey dans les cinq premières minutes du spectacle, presque une chorégraphie. Sauf qu’on se rend vite compte que cet investissement corporel ne fait jamais que souligner ce qui est déjà, explicite, dans le texte, et cette redondance finit par peser. Dès la première phrase de Nordey, on se dit qu’il joue faux, mais c’est pire quand arrive Bonnet, qui est toujours aussi difficilement supportable que lors de son bref passage à la Comédie Française. Bref, gargarisons-nous de notre théâtre  FFFRRRâncey et allons voir ailleurs.
Vendredi 14 décembre, Bruxelles – Ce n’est pas pour les spectacles que je suis venu à Bruxelles, et je dois donc me contenter de ce qu’il y a, puisque je tombe entre deux représentations de La Traviata mise en scène par Andrea Breth, qui semble hérisser le poil des conservateurs (c’est bon signe, pour un opéra qui périt corps et biens si on se contente d’en illustrer la surface). Me voilà donc découvrant Bozar, comme on dit dans la novlangue asexuée censée créer des ponts entre Flamands et Wallons – en français, Palais des Beaux-Arts –, pour un concert de l’Orchestre National de Belgique dont le directeur musical Andrei Boreyko recevait Gidon Kremer. Le concert portait le titre La curiosité de Gidon Kremer et constituait donc, sous la forme classique ouverture/concerto/symphonie, une sorte de carte blanche. Gidon Kremer est un excellent violoniste, sans doute, mais je ne partage pas vraiment tous ses goûts. Guillaume Lekeu, Victor Kissine, Alexander von Zemlinsky : défense et illustration de la fadeur comme qualité musicale suprême. Le sentimentalisme maniéré de l’Adagio pour cordes de Lekeu est une chose, la banalité du concerto pour violon de Kissine, donné en création mondiale, en est une autre. Les conversations entendues à l’entracte tournaient toutes autour de l’ennui qui s’en dégage ; et vraiment, on se demande à quoi ça sert de commander des partitions à des compositeurs animés par un pareil refus d’écrire une seule mesure de musique qu’on n’a pas déjà entendue mille fois.
Dimanche 16 décembre, Paris – Presque trop riche, cette journée. Deux spectacles théâtraux extrêmement forts, deux signatures éclatantes, deux manières d’aborder un répertoire classique pour lequel la banalisation est le pire des dangers.
14 h, Théâtre éphémère de la Comédie Française, cette belle salle provisoire érigée dans les jardins du Palais Royal. Marivaux, Le jeu de l’amour et du hasard. Le spectacle est assez classique d’apparence, réactualisant discrètement les formes, sans choquer le bourgeois à aucun moment. Mais Galin Stoev, qui avait déjà admirablement mis en scène L’Illusion comique (en provoquant une crise de stupidité particulièrement profonde chez les critiques français façon Masque et la plume), livre pourtant une production lumineuse qui va jusqu’au fond des choses. Si en parlant de Marivaux on pense marivaudage, on est perdu : tout ce qui renvoie à une galanterie élégante qui finit par voisiner avec le vaudeville est hors sujet ici. Ce qui intéresse Stoev ici, c’est le dispositif expérimental de la pièce, et on voit bien que les scènes où le père et le frère de Silvia discutent de l’expérience en cours l’intéressent autant que celles où Silvia et Dorante luttent avec leurs sentiments. Tout cela ne va pas sans douleur, et si on rit beaucoup, l’émotion est toujours présente : la pièce est une comédie, mais Stoev souligne aussi que c’est un passage initiatique. Comment le fait-il ? On ne peut plus simplement, par le jeu des silences, par le sens du rythme, par une direction d’acteurs incroyable(men simple), où même Gérard Giroudon paraît un excellent acteur. La pièce, n’en doutons pas, sera reprise l’an prochain !
17 h, Théâtre des Champs-Élysées, le sommet attendu de la saison lyrique parisienne : après la désastreuse Médée de Charpentier massacrée par Emmanuelle Haïm et Pierre Audi, voici celle de Cherubini, dans la production déjà célèbre montée par Krzysztof Warlikowski à La Monnaie (c’est ainsi : Paris, scène provinciale, peut s’enorgueillir de récupérer quelques bons morceaux de ce qui se fait ailleurs, à défaut d’avoir les moyens de rivaliser avec des capitales mondiales comme Bruxelles ou Bâle). Dans le contexte parisien, cette production fait un peu figure de pierre de touche et de manifeste : ayant vu la dernière représentation, je n’ai pas vu les affrontements qu’ont déclenché pendant le spectacle lui-même quelques réactionnaires patentés (je propose pour les désigner le terme « fachoploucs », qui souligne à la fois leur idéologie réactionnaire et le fait qu’ils sont tout simplement déplacés dans un monde qu’ils ne comprennent pas). Dimanche, donc, pas de cris pendant le spectacle, mais qui plus est une ovation à peine mêlée de huées pour les parties prenantes – les huées ayant aussi touché l’orchestre, ce qui est pousser un peu loin l’antibaroquisme). 10 minutes d’ovation. À Paris. Parfaitement.
Bien sûr, les faiblesses vocales et surtout linguistiques de la distribution ne peuvent être masquées. Nadja Michael, c’est une nature, une actrice parfaitement en phase avec le travail de Warlikowski, mais il faut s’habituer à ne plus chercher la note juste – encore que, à tout prendre, ce n’est pas plus faux que la Judith de Jessye Norman (Le château de Barbe-Bleue au Châtelet avec Boulez, 2006). J’ai également peu apprécié Élodie Kimmel qui peine à venir à bout de ses vocalises, mais le reste est très correct, y compris le Jason de John Tessier.
On peut refuser la violence de Médée, du mythe, du personnage, de l’opéra de Cherubini. Dans ce cas, on va ailleurs, l’offre en spectacles feel good n’est quand même pas particulièrement pauvre ces temps-ci. Mais si on accepte l’idée d’aller voir Médée, il me semble qu’on peut laisser sa bienséance bourgeoise au vestiaire. Connerie, sperme, casse-toi, tout cela est dans les dialogues écrits par Warlikowski, visiblement en relation directe avec les acteurs, pour exprimer le plus simplement possible ce qui se passe entre les personnages. Une critique particulièrement mal embouchée (celle du vétéran Michel Parouty pour Diapason, qui retire toute envie de défendre la presse imprimée) joue le jeu du blasé à qui on ne la fait pas : quoi, c'est ce spectacle qu'on nous présente comme le sommet de la modernité ? C'est la méthode de tous les réacs : juger les spectacles contemporains selon un paradigme qu'ils inventent de toutes pièces pour en établir l'échec. Warlikowski ne cherche pas à faire le spectacle le plus moderne de tout le XXIe siècle : il met en scène cette âpre tragédie, sans concession. Et il retrouve là l'essence sanglante et amère de la tragédie grecque qu'un Pierre Audi avait si misérablement laissé s'éventer dans sa Médée de Charpentier.
19 décembre – Dernière représentation pour moi de cette série de Don Quichotte. J’y consacrerai un message complet – Numéros de série – prochainement : pour résumer, on ne peut pas dire que le ballet de l’Opéra soit sur le point de sortir de la crise profonde que provoque l’interminable fin de règne de Brigitte Lefèvre, mais Alice Renavand et François Alu. Un point c’est tout. Alice Renavand, François Alu. Tout à coup, on se réconcilie avec le monde entier.

La prochaine fois, je vous parlerai de Berlin. Et je pourrai un jour affronter le mois de janvier, quelque part au printemps prochain...
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