dimanche 23 août 2009

Journal salzbourgeois - Samedi 15 août : de Haydn à Dusapin

Retour le samedi matin dans une salle plus agréable, la belle salle du Mozarteum, pour une nouvelle Mozart-Matinee, consacrée cette fois entièrement à Haydn, avec un programme sortant de l’ordinaire : après la très courte symphonie Lamentatione (Hob. I:26), c’est le rare Stabat Mater qui occupe l’essentiel du programme, donné sous la direction du directeur musical du Mozarteumorchester, Ivor Bolton, entouré par l’excellent Arnold Schoenberg Chor et un quatuor soliste dont ressortent avec éclat la soprano Sandrine Piau et le ténor Joel Prieto. La première bénéficie d’une belle partition virtuose qu’elle met comme toujours en valeur aussi bien par la sûreté sans faille de sa technique que par un goût et un sens du style non moins infaillibles ; le second, en tout début de carrière, frappe par son aplomb, la justesse de sa déclamation et la richesse de son timbre. L’œuvre elle-même, sans avoir toujours la force innovatrice des messes tardives, justifie pleinement sa programmation, d’autant qu’Ivor Bolton maîtrise ici remarquablement les équilibres et les articulations.

Un court concert de musique de chambre, en écho à la programmation Varèse, clôt la journée, avec deux compositeurs français héritiers de l’intérêt de Varèse pour le son, interprétés par des musiciens de l’Ensemble recherche. La Musique fugitive de Dusapin paraît à vrai dire bien inoffensive face aux créations visionnaires de son aîné ; Vortex Temporum de Gérard Grisey est en revanche désormais un classique du répertoire de la musique de chambre d’aujourd’hui : poésie sonore, réduction des moyens et visions cosmiques tout à la fois. Dommage que la marginalité de ce concert ne lui ait attiré qu’un maigre public : malgré la qualité du programme et des interprètes, l’ambiance n’y était pas vraiment.

Journal salzbourgeois - Vendredi 14 août : Respect ? (Al gran sole carico d’amore)

Après quelques jours d’interruption, retour à Salzbourg pour une journée consacrée aux deux salles problématiques du festival, deux salles qui ont en commun d’être utilisables pour tout ce qu’on veut, étant donné que toutes deux ne sont propres à rien.

On peut donc faire de l’opéra à la Felsenreitschule, lieu étonnant marqué par un fond de scène constitué par des galeries en alvéoles creusées à même le rocher du Mönchsberg, à condition de tenir compte de son acoustique problématique, du manque de profondeur scénique, et de la forte pente d’une salle à la jauge finalement réduite. Et bien sûr, à condition de cacher précisément ce qui fait la beauté du lieu, à savoir le rocher et ses galeries…

Rejouer Al gran sole carico d’amore de Nono, dont l’intendant du festival Jürgen Flimm avait mis en scène la création scénique en 1978 était un véritable défi : non narrative, décrite par son auteur lui-même a posteriori comme « un grand éléphant de moyens, de tout : incroyablement limité », l’œuvre n’a que peu à voir avec la « society » que le festival aime tant mettre en avant (et ce sera pire encore avec M. Pereira) : qu’importe, on ira voir le manifeste d’extrême gauche de Nono en Audi VIP Shuttle – bien mal tourné qui y verrait une contradiction. Que quelques-unes des rares places bon marché soient qui plus est bloquées en raison de haut-parleurs trop généreux est ici d’une délicate ironie.

Disons-le sans détour : concernant le patchwork de textes utilisés comme le projet dramaturgique global de l’œuvre, on ne peut qu’être d’accord avec la critique de son auteur. Seule, ici, la musique vaut quelque chose, avec de très beaux moments surtout orchestraux : les Wiener Philharmoniker s’appliquent, sous la baguette experte et passionnée d’Ingo Metzmacher, tandis que parmi les solistes vocaux les moments de grande tension vocale ne manque malheureusement pas. Mais la faiblesse structurelle de l’œuvre n’a pas empêché Flimm de confier le bébé à une metteuse en scène, l’Anglaise Katie Mitchell, qui a effectué un travail sans doute considérable pour surcharger l’œuvre de vidéos en direct (des acteurs jouent des scènes dans de petites cases en bas à gauche, une équipe – bruyante – filme des images projetées à droite sur un vaste écran) et de bons sentiments.

En ces années 70 où l’œuvre a été créée, le vocabulaire politique était volontiers aussi bien poétique que vigoureux : on n’aurait alors pas hésité à qualifier de fasciste le travail de Mme Mitchell. Aujourd’hui que les idéologies sont, paraît-il, mortes, on est plus policé : on ne sait même plus si on a encore le droit de qualifier ce spectacle prétentieux d’insupportablement sentimental, naïvement technophile, d’un kitsch achevé, où l’héroïsation de l’individu animant les masses prend la place de toute vie collective. De l’élan généreux d’un Nono, et en même temps de l’échec tragique de ces idées généreuses (qui restent toujours plus sympathiques que celles de leurs adversaires d’hier et d’aujourd’hui), on ne sentira rien ici : ce qui reste, c’est une série d’images pieuses, d’une bêtise parfois affolante (les airs inspirés de « Louise Michel » !) et projetées artificiellement vieillies, comme un film muet d’autrefois dont tout doit souligner qu’il n’est pas actuel : images d’albums pour jeunes (ou vieilles) filles romantiques, quand il aurait fallu un coup de poing.

En ces temps où on parle à tort et à travers de respect des œuvres à l’opéra et au théâtre, il serait bon de souligner à quel point, ici, on a affaire à la plus ignoble des trahisons de l’œuvre, de son esprit, de son auteur, devant un public que Nono aurait sans doute à juste titre abhorré. La presse, rassurée de voir l’œuvre réduite à l’insignifiance, a adoré, et le public offre au spectacle un enthousiasme de commande (suivi aussitôt par un oubli profond) : c’est la règle du jeu pour toutes les œuvres rares, et c’est la force des puissants d’aujourd’hui que de pouvoir tout digérer, indifféremment.

Par contraste, le spectacle du soir est bien inoffensif, un sage Liederabend dans la mal nommée Haus für Mozart : réincarnation du triste Kleines Festspielhaus née en 2006, cette salle mal finie semble avoir toujours cherché le moindre effort pour donner l’impression du luxe, mais surtout rien d’autre que l’impression – et j’invite ceux qui aiment s’épancher sur les défauts de Pleyel ou de Bastille à venir se confronter à cette pauvre chose coûteuse : il va sans dire que ni la disposition des places, ni l’acoustique, ne sont le moins du monde réussies…

Les songs de Purcell adaptés par Britten que Magdalena Kozena et Mitsuko Uchida ont choisi de donner en ouverture de leur concert se perdent ainsi sans espoir de salut dans les recoins de la salle : étrange choix que ces harmonisations douteuses qu’on aurait préféré ne pas connaître. Le reste du récital est moins victime de la salle : mais Frauenliebe und -leben (Schumann) est un cycle qu’on entend beaucoup trop pour ses minces mérites (quel texte !) et partage une certaine insignifiance avec les Chansons de Bilitis de Debussy qui suivent après l’entracte. Le plus intéressant vient donc à la fin, avec un autre cycle très souvent joué, les Sieben frühe Lieder de Berg : les qualités de Mitsuko Uchida font alors merveille, et Magdalena Kozena a des affinités évidentes avec l’univers somnambulique de ces Lieder. Il faut pourtant attendre le premier bis (on oubliera le second) pour retrouver la chanteuse morave au sommet de son art de récitaliste : Der Nußbaum (Schumann) n’est là encore pas un choix très original, mais l’intensité magnétique qu’elle y met justifie enfin pleinement ce récital.
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