mardi 13 avril 2010

Opéra de Munich : Poulenc et Rossini ou les charmes de la simplicité

Et voilà, il a suffit que je dise du mal de la direction de l'Opéra de Munich en place depuis 2008 pour que celle-ci se venge en m'envoyant au visage deux magnifiques productions d'opéra, toutes d'une exemplaire simplicité, dues à Dmitri Tcherniakov et Árpád Schilling.
Deux premières lyriques deux jours de suite, ça n'arrive pas tous les jours : le 28 mars, c'étaient Dialogues des Carmélites de Poulenc qui étrennait la scène du Nationaltheater où l'œuvre n'avait jamais été jouée ; le lendemain, les jeunes solistes du Studio de l'Opéra envahissaient la scène et la salle du très kitsch Cuvilliés-Theater (les ornements de la salle datent du XVIIIe siècle, mais on n'a pas attendu Garnier pour donner dans un tel mélange de platitude et de surcharge) pour une Cenerentola de Rossini en version quasi-intégrale et quasi-originale.

Dialogues des Carmélites à l'Opéra de Munich, mars-avril 2010
Hélas, on ne peut pas dire que l'opéra de Poulenc, qui pour être fort peu en avance sur son temps n'en est pas moins un chef-d'œuvre, ait beaucoup touché le cœur des Munichois. Une salle pas pleine au début, moins encore après l'entracte, et trois minutes d'applaudissements d'une rare froideur pour la représentation du 8 avril à laquelle j'ai assisté. Il est vrai que, musicalement, le public n'est pas à la fête : Kent Nagano, que j'estime par ailleurs énormément, ne parvient pas à initier son orchestre peu francophile à cette musique, contrairement à son magnifique enregistrement chez Virgin, et le son reste étriqué, plat, terne. Surtout, les chanteurs ne sont pas tous à la hauteur, loin de là : Soile Isokoski, certes, est en seconde prieure inoubliable malgré son français limité, et les petits rôles s'en sortent parfois remarquablement (Kevin Conners en Aumônier) ; mais Hélène Guilmette (Sœur Constance), qui n'est pas sans charmes, criotte plus souvent que de raison, et Sylvie Brunet (Première prieure) est comme toujours mi-chair, mi-poisson. Surtout, Susan Gritton est un choix inacceptable pour le rôle de Blanche, tant elle est limitée techniquement, expressivement, tant sa diction est fautive, tant la conduite de la phrase lui échappe. C'était du reste parfaitement prévisible, ce qui rend ce choix d'autant plus coupable.

C'est fort désagréable, mais il faut parfois s'en accommoder : on est souvent obligé, pour pouvoir suivre le spectacle, de reconstituer de mémoire la partition de Poulenc pour pouvoir suivre la mise en scène de Dmitri Tcherniakov. Le jeu en vaut la chandelle, car le travail du metteur en scène russe est d'un très haut niveau.

Révélé en France par Gerard Mortier qui lui avait demandé un Macbeth inabouti mais passionnant, puis avait fait venir son Eugène Onéguine (hélas plat) du Bolchoi, Tcherniakov avait déjà livré à Munich une remarquable Khovanchtchina de Moussorgsky (qui existe en DVD). La différence entre les deux productions saute aux yeux : dans un cas (chez les tsars) un décor (admirablement) construit, une lecture complexe de l'œuvre, et à la fin une scène vide pour le sacrifice des vieux-croyants. Ici, la scène est vide depuis le début de l'opéra, et seule une petite maison où la communauté se retrouve vient l'occuper. Mais les points communs abondent eux aussi :  passons sur la fin bruyante et peu pertinente de l'opéra de Poulenc, où Tcherniakov a voulu contourner (à juste titre) le final pompier de Poulenc sans y réussir, d'une manière qui fait penser à la seule scène ratée de sa Khovanchtchina. Mais la manière dont, à travers une conception unificatrice simple, il parvient à donner à voir l'intimité de ses personnages est là dans les deux cas, et c'est la marque d'un grand metteur en scène.

Ces dames sont en costumes simples, de gens du peuple ou de gens qui ont renoncé au monde. Une hutte de bois qui laisse passer tous les regards des spectateurs est le seul élément de décor, qui va abriter les actions des Carmélites, les actions les plus quotidiennes comme les moments les plus intenses. Dans une communauté religieuse, on n'est pas toutes les cinq secondes en train d'invoquer le Seigneur ou de faire des gesticulations : c'est cela que montre Tcherniakov, cette manière de vivre dans les actions les plus quotidiennes la plénitude de la foi. Vous n'avez jamais vu épluchage de pommes plus émouvant.


La Cenerentola  (ici Tara Erraught, qui chantait le rôle à la première)
Quelques centaines de mètres plus loin, la scène est vide également quand le rideau se lève. Une jolie fille mal vêtue lave le sol, avec fort peu d'entrain : c'est évidemment Cendrillon, adolescente étonnamment triste et rayonnante tout à la fois, dans le vaste espace de ces coulisse dénuées qui contrastent tant avec la pompe du décor de la salle, et qui, en une fraction de seconde, font tout comprendre de ce que vit cette jeune fille. Munich n'avait pu voir cet opéra depuis 2007, dans l'antiquissime production de Jean-Pierre Ponnelle, qui doit bien exister en DVD (on nous épargne rarement ce genre de choses). Ici, Árpád Schilling m'a bien consolé du ratage lamentable des récentes représentations parisiennes : on a ici la comédie, le plaisir du théâtre, avec un usage de l'espace théâtral ludique et toujours inventif, toujours en même temps pertinent par rapport à l'oeuvre. Mais on a aussi une vaste palette d'émotions, une attention constante à tous les personnages, y compris cet éternel duo des soeurs de Cendrillon. C'est extrêmement touchant de voir comment, à la fin du spectacle, toutes leurs espérances détruites, elles redeviennent des adolescentes en peine, quittant leurs clinquants atours de chair à vendre pour les vêtements de sport informes qui avaient été ceux de leur demi-soeur : tout à coup, l'enfance ressort en elle, à la fois parce qu'elles ne sont rien d'autre et parce que c'est un refuge pratique quand rien ne marche. Simple, profond, touchant : tout l'art du metteur en scène.


Ce qui est étonnant dans cette double réussite munichoise, c'est qu'au fond, pour deux oeuvres aussi différentes, une même poésie du quotidien, un même travail sur l'émotion intérieure des personnages. Quel dommage que l'opéra ne soit pas toujours cela. Il y aurait beaucoup à dire encore de ces deux spectacles : mais je suis bien sûr que j'aurai encore l'occasion de vous en reparler.

La Cenerentola risque fort de ne pas être reprise, mais vous pourrez voir les Carmélites en juillet 2010, puis en avril 2011, et peut-être prochainement en DVD, puisque la première avait été filmée...
En outre, l'Orchestre Philharmonique de Munich a publié sa prochaine saison (brochure PDF), et celle de l'Opéra, que j'avais déjà rapidement commentée, sera certainement en ligne au moment où vous lirez ces lignes (en tout cas dans la journée du 14). On attend en revanche toujours celle du meilleur orchestre munichois, l'Orchestre symphonique de la Radio Bavaroise...

 Rossini, La Cenerentola

Don Ramiro Nam Won Huh
Dandini John Chest
Don Magnifi co Il Hong
Clorinda Laura Nicorescu
Tisbe Evgeniya Sotnikova
Angelina (Cenerentola) Angela Brower
Alidoro Tareq Nazmi

Bayerisches Staatsorchester
Direction musicale Christopher Ward
Mise en scène Árpád SchillingDécors et costumes Márton Ágh

Poulenc, Dialogues des Carmélites

Marquis de la Force Alain Vernhes
Blanche de la Force Susan Gritton
Chevalier de la Force Bernard Richter
Madame de Croissy Sylvie Brunet
Madame Lidoine Soile Isokoski
Mère Marie Susanne Resmark
Soeur Constance Hélène Guilmette
Mère Jeanne Heike Grötzinger
Soeur Mathilde Anaïk Morel
L’aumônier Kevin Conners
1er commissaire Ulrich Reß
2ème commissaire John Chest
L’officier Christian Rieger
Le geôlier Levente Molnár
Thierry Rüdiger Trebes
Monsieur Javelinot Oscar Quezada

Bayerisches Staatsorchester
Direction musicale Kent Nagano
Mise en scène et décors Dmitri Tcherniakov
Costumes Elena Zaytseva
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...