jeudi 27 septembre 2007

La boîte de Pandore

Ouvrir, dit-il... L'ineffable directeur du Châtelet répète ce mot tout au long de l'interview qu'il donne au site abeilleinfo.com, interview dans laquelle il exprime au passage une haine pour les amateurs d'opéra qui doit sans doute le faire beaucoup souffrir intérieurement.

DSCF1801 C'est sous le signe de cette ouverture qu'il faut sans doute placer la nouvelle création du Théâtre du Châtelet, Monkey Journey to the West (non, il n'y a pas de titre français, ça fait plus chic. Disons-le une bonne fois pour toutes : ce spectacle n'est pas le plus mauvais des spectacles de l'ère Choplin ; pendant les deux petites heures qu'il dure, on s'ennuie évidemment un peu, mais à côté de la morne platitude du Chanteur de Mexico ou le Rossini pesant de l'an dernier, il faut reconnaître une bien meilleure gestion de tous les aspects des aspects scéniques ; on s'ennuie aussi bien moins que pour Le Temps des Gitans, spectacle aux ambitions similaires, où le grand Emir Kusturica avait échoué, faute d'une maîtrise suffisante des arts de la scène, à donner à l'adaptation de son film une forme lui permettant de dompter la scène immense de la Bastille.

Au fil du spectacle, cette grande maîtrise finit tout de même par se retourner contre le spectacle : on a là un show extrêmement bien préparé, et manquant par conséquent totalement de toute forme d'humanité. Une belle machine qui ne laisse pas de place à l'émotion. La musique n'aide pas : comme souvent quand une personnalité médiatique tente de composer une musique d'inspiration classique, on a droit à tous les poncifs d'un sous-romantisme dépassé, augmenté cette fois de poncifs tout aussi éculés en provenance de la musique chinoise.

Tout cela donne donc un bon gloubi-boulga plein de bons sentiments, de toutes les choses indigestes qu'on entend sous le terme "spectacle familial" (oui, vous pouvez emmener les enfants, mais je vous assure qu'ils ont des choses plus intéressantes à faire). La fameuse ouverture, là-dedans, se révèle surtout comme une ouverture au mercantilisme effréné: il n'est question que de produits dérivés de taux de remplissage ; la Chine, là-dedans, joue le rôle de prestataire de services et est finalement tellement bien digérée que l'étrangeté que nous devons aller chercher dans ce qui nous est étranger est annihilée avec grand soin dans un produit de consommation courante pour bourgeois incultes, qui de ce fait aura le plus grand succès (il suffit de voir la couverture médiatique dont il bénéficie auprès de médias serviles comme Les Inrocks).

Devant une telle politique culturelle qui, dans ses principes et dans le public visé, a plus à faire avec l'extrême droite qu'avec l'idée que je me fais de la gauche, il me paraît exclu que je puisse donner ma voix à M. Delanoé aux élections municipales à venir.

(évidemment, en matière de gaspillage d'argent public, ce spectacle, sans aspect artistique et parfaitement finançable par des moyens privés, est très fort...)

mercredi 19 septembre 2007

L'intelligence des sens

DSCF1684 À l'opéra, la sensualité prête plus souvent à sourire qu'à alimenter des fantasmes. Même en écartant le cas des interprètes physiquement disgracieux, les jeux de mains supposés nous évoquer les grands moments des amours lyriques sont souvent des jeux bien vilains, pour une raison simple : les metteurs en scène les moins inspirés résolvent le problème par une accumulation de gestes banals, alors qu'un seul geste non banal aurait suffi (voire pas de geste du tout : un des souvenirs les plus puissants que je conserve est le duo final du Couronnement de Poppée de Monteverdi il y a quelques années au Conservatoire de Paris, où il n'y avait pourtant, en apparence, rien à voir).

On aurait pu craindre le pire avec Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas, avec l'évocation de caresses lesbiennes bien dans le ton de cette époque (1907) où les oripeaux antiques tentaient de ranimer la vigueur des vieux abonnés. Anna Viebrock, qui signe une nouvelle production de l'oeuvre à l'Opéra Bastille, n'a pas cherché à éluder cette sensualité qui nous paraît aujourd'hui lourde et datée, pas plus qu'à la représenter. Elle l'a mis au contraire au centre de sa mise en scène : non pas seulement dans l'érotisme, qui chez elle est désir avant d'être plaisir, mais la plénitude des sens de l'être humain : dans l'ouïe, en plaçant le spectateur dans une position intense d'écoute de la musique ; dans la vue, matérialisée par des lumières primaires (comme on dit couleurs primaires) ; dans le toucher, qui n'est jamais consommé mais reste à l'état de désir - et de répulsion, c'est selon.

La richesse orchestrale de la musique de Dukas, dans ces conditions, apparaît dans toute sa splendeur - je ne cache pas avoir été séduit par cette oeuvre, malgré le livret surchargé et maladroit de Maeterlink; la grande réussite de la mise en scène de Viebrock, qui nécessite de ses spectateurs une capacité d'attention et de concentration que tous n'ont pas, c'est de réussir à ouvrir leurs sens pour recevoir cette profusion. C'est remarquable, et l'équipe musicale elle-même accompagne avec les honneurs cette grande réussite.

Que tous ceux qui ne sont pas à Paris tentent de trouver un enregistrement de cette oeuvre ou écoutent la retransmission radiophonique de ces spectacles; que les Parisiens profitent des places vides qui restent!

PS: Il se trouve que j'ai lu récemment le livre d'Alain Corbin Les Filles de noce, sur les pratiques et les représentations de la prostitution en France entre 1870 et 1914. Les années 1900 sont les années du développement du mythe de la "traite des blanches", selon lequel des jeunes filles européennes étaient enlevées par des réseaux internationaux de prostitution (souvent, dans le mythe, dirigés par de riches étrangers - xénophobie oblige). Voir Ariane, dans ce contexte, est intéressant : l'oeuvre a été créée en 1907, et son sujet doit être compris dans cette perspective ; il faut aussi penser à l'opéra de Bartok, créé quatre ans plus tard, sans compter que l'Opéra de Paris, un an avant l'opéra de Dukas, avait créé un opéra de Massenet sur le thème d'Ariane et du Minotaure, opéra totalement oublié aujourd'hui mais qui avait eu un certain succès. On peut aussi penser à la pièce de Wedekind que Berg adaptera plus tard sous le titre Lulu, et qui avait été écrite dès 1896/1904...

lundi 17 septembre 2007

Un exemple très concret de gaspillage d'argent public. Hier, Opéra Bastille, 14 h 30: Donizetti, L'Elisir d'amore, 24e représentation d'une production créée en mai 2006. Voilà un opéra qui n'est pas intello, qui est accessible pour le grand public, qui n'a pas de prétention artistique très élevée. Pourtant, depuis la création de cette production, la salle n'a jamais été pleine. Hier, plusieurs centaines de places étaient libres, notamment dans les catégories chères - et la question se pose : à quoi bon ? Il était évident que cette reprise ne remplirait pas, quand tant d'autres spectacles, dont le financement par la subvention publique ne serait ni plus ni moins élevée, rempliraient la salle et/ou apporteraient une valeur artistique bien supérieure. Lulu, de Berg, réputé bien plus difficile, remplissait au moins autant la salle lors de sa dernière reprise...

Je ne dis pas cela pour vous inciter à y aller, à moins que les voix aigres de Mlle Rancatore ou de M. Korchak vous attirent...

samedi 15 septembre 2007

Und alsobald krähete der Hahn

DSCF1756 NB: je sais parfaitement que les articles sur la politique culturelle intéressent beaucoup moins que les critiques de spectacles, à valeur plus immédiate. Mais ce blog n'est pas un blog de critiques de spectacles; il part du principe que la consommation culturelle peut vite n'être qu'une consommation comme une autre, et que, finalement, Art sans conscience n'est que ruine de l'âme. Que ceux qui croient que la réflexion politique est un devoir du citoyen et non quelque chose qui se passe au dessus de nous et que nous ne pouvons que subir en râlotant me suivent.

Je ne pouvais pas, vous vous en doutez, ne pas lire la lettre que M. Nicolas Sarkozy, président de la République, a adressé à Mme Christine Albanel, Ministre de la culture et de diverses autres choses. J'ai lu évidemment aussi les réactions diverses et variées de différents responsables institutions culturelles, souvent à côté du problème - quelle que soit leur bonne volonté.

Bien sûr, il y a quelques petits moments qui me font sursauter. Par exemple, l'étatisme forcené dont il est question en matière de développement des offres numériques licites (p. 3-4) : comme si Mme Albanel allait, par ses propres forces, régler un problème mondial où personne ne sait ce qu'il faut faire (on en reparlera sans doute). Le bilan de la démocratisation culturelle, caricaturalement réduit à un échec - il y a des problèmes énormes, certes, mais ce n'est pas en recourant à ce genre de simplifications qu'on comprendra les choses. Il y a aussi des choses avec lesquelles on ne peut pas être en désaccord: par exemple sur le fait que l'argent public dépensé par les acteurs culturels doit être justifié, et que la raison culturelle ne justifie pas le gaspillage (la posture d'artiste étant parfois une manière bien désinvolte de se tirer d'affaire).
Mais de toute façon le problème n'est pas dans les constats: on ne peut que se réjouir de lire une critique du "déséquilibre persistant entre Paris et la province", mais on attend surtout de savoir quelle solution on va apporter à ce déséquilibre: pour le dire brutalement, quelles institutions parisiennes vont perdre des subventions, et comment va-t-on répartir l'argent dans les institutions de province? On peut toujours faire des voeux pieux, mais on va sans doute encore devoir reprendre le mot fameux de Malraux, qui portait sur la musique mais peut s'appliquer à bien des choses: "On ne m'a pas attendu pour ne rien faire".

La lettre cède donc à une mode qui gangrène l'ensemble des institutions culturelles et toutes les administrations : les indicateurs, autrement dit les statistiques, au nom d'une foi aveugle dans la puissance des nombres. Comme si les nombres avaient un sens. Va-t-on comparer le coût par place du Centre Dramatique National de X avec celui de Y, sachant que le contexte local n'est pas le même (ville aisée d'une part, ville ouvrière de l'autre), que la jauge de la salle n'est pas la même, que le bassin de population qu'il dessert n'est pas le même, etc.? En attendant l'administration des deux CDN aura passé des heures à remplir de la paperasse, à faire des comptes dans tous les sens, au lieu de s'occuper de produire.

Je ne cite pas les CDN par hasard: d'abord parce que ce sont les grands instruments de la décentralisation culturelle, ensuite parce que les patrons de CDN ont été les premiers à réagir violemment à cette lettre, et aux critiques qu'un responsable de l'association qui les encadre a formulées*. Les CDN sont un exemple parfait des réussites et des limites de la décentralisation: avec les scènes nationales**, ils ont en effet apporté la culture à des endroits où elle n'était pas très présente, soit. Pour autant, M. Sarkozy a tort de ne pas mettre la question des structures comme les CDN au coeur du débat, de même que les artistes-directeurs de CDN ont tort de refuser toute remise en cause de leur statut.
Les CDN sont des structures de production, soit. Mais pour qui? Un CDN aujourd'hui va créer sur place, mais sa survie dépend de la manière dont il va vendre sa pièce: à d'autres CDN et scènes nationales, idéalement à un théâtre parisien, voire à Avignon. Le public local, ici, est important, mais il n'est pas fondamental. En Allemagne, le réseau très critiqué mais extraordinaire des théâtres municipaux et nationaux, lui, joue pour le public local et ne vit que par lui: ce qui veut dire, entre autres, que ville par ville le public voit une variété de spectacles qui n'a rien à voir avec ce que le public d'une ville française peut voir. En attendant, le coût des tournées, financé par les subventions, empêche de créer plus, de faire vivre aussi plus d'artistes de leur travail dans de bonnes conditions (en Allemagne, les acteurs sont engagés à la saison, ce qui coûte certainement moins cher que le système des intermittents).

J'ai dérivé très loin de la lettre de M. Sarkozy. Ou plutôt, je suis en plein dedans : voilà ce que j'aurais aimé y trouver (pas forcément les solutions auxquelles je crois, mais au moins une réflexion sur les problèmes centraux), pour que nous reconstruisions un monde culturel tourné vers le public, financé par l'argent public mais délesté de la nécessité de mendier, et qui soit capable de tenir le rôle capital qui doit être le sien dans la société. Au lieu de cela, on nous parle d'industrie, de télévision, et évidemment de mécénat : on va donc continuer, comme si de rien était, à gérer paisiblement son portefeuille, entre rockeurs sans voix et décervelés à ballon rond ou ovale. Cinq ans pour rien - mais on le savait déjà...

*Cf. Le Monde du 30 août dernier.

** Les CDN ont une mission de production plus importante que les Scènes nationales, qui sont en général implantées dans de plus petites villes et sont surtout des structures d'accueil.

samedi 8 septembre 2007

È morto - or gli perdono

Telle est l'oraison funèbre que Tosca lance, dédaigneusement, devant le corps du vil Scarpia à la fin du 2e acte de l'opéra de Puccini.

Vous avez déjà deviné que je vais vous parler du décès de Luciano Pavarotti, chanteur d'opéra devenu sur le tard chanteur de variété, et que je ne vais en dire exactement la même chose que ce qu'on lit à satiété dans les journaux. Je n'avais, évidemment, rien contre la personne de M. Pavarotti, et je m'associe, bien sûr, à la douleur de sa famille, de ses proches, de ses fans, de ses fournisseurs et de ses médecins (je ne m'associe pas à la douleur de ses éditeurs discographiques, car il n'y a rien de tel qu'un mort pour doper les ventes).

L'icône Pavarotti représentait tout ce qu'il peut y avoir de détestable dans l'opéra. Le répertoire, d'abord: pendant longtemps centré classiquement sur le répertoire italien du début du XIXe jusqu'à Puccini, ce qu'on ne peut lui reprocher sinon comme le signe d'un manque d'imagination et de curiosité confondant, puis progressivement réduit à une poignée d'airs inlassablement répété. Son manque absolu de talent scénique ramenait le monde de l'opéra cinquante ans en arrière, et il est trop facile d'invoquer ici son physique ou, plus tard, sa santé: il est vrai que son répertoire ne devait pas l'inciter à prendre au sérieux le caractère théâtral de l'opéra; le problème est qu'il a ainsi nourri les pires stéréotypes sur l'opéra qui, bien plus sûrement que les difficultés à acquérir des places ou le prix de ces places, empêchent bien des gens souvent plus cultivés que les amateurs d'opéra de s'y intéresser, alors que le monde de l'opéra dans son ensemble (les gesticulations frénétiques qui tiennent lieu de talent d'acteur chez M. Villazon ne me sont pas plus sympathiques, du reste). Et, évidemment, il y a le fléau des fans, que plus que tout autre il a nourri par sa médiatisation irraisonnée.
Le cross-over n'a pas été inventé par Luciano Pavarotti, mais, devant le déclin de sa voix, il a exploité ce filon jusqu'à la corde, avec la complicité des médias. Ce n'est, au fond, pas plus nuisible que Céline Dion, mais croire que cela a pu amener une seule personne à ouvrir ses oreilles, c'est une terrible naiveté.
Mais, me dira-t-on, et sa voix? Sans doute, sans doute - mais il y a des centaines de chanteurs qui ont, eux aussi, une voix, mais ont en plus l'intelligence et le goût; qui cherche trouve...

Tout cela, bien sûr, ne disparaîtra pas avec sa mort. Anna Netrebko, avec une voix plutôt moins solide, a d'une certaine facon pris le relais, et d'autres aussi. Maintenant, laissons le marketing faire ses affaires, et revenons à la musique.

lundi 3 septembre 2007

Aphorisme

Parfois, tu crois ne pas aimer une oeuvre, mais c'est elle qui ne t'aime pas.
Et il est possible qu'elle ait raison.
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