NB: je sais parfaitement que les articles sur la politique culturelle intéressent beaucoup moins que les critiques de spectacles, à valeur plus immédiate. Mais ce blog n'est pas un blog de critiques de spectacles; il part du principe que la consommation culturelle peut vite n'être qu'une consommation comme une autre, et que, finalement, Art sans conscience n'est que ruine de l'âme. Que ceux qui croient que la réflexion politique est un devoir du citoyen et non quelque chose qui se passe au dessus de nous et que nous ne pouvons que subir en râlotant me suivent.
Je ne pouvais pas, vous vous en doutez, ne pas lire la lettre que M. Nicolas Sarkozy, président de la République, a adressé à Mme Christine Albanel, Ministre de la culture et de diverses autres choses. J'ai lu évidemment aussi les réactions diverses et variées de différents responsables institutions culturelles, souvent à côté du problème - quelle que soit leur bonne volonté.
Bien sûr, il y a quelques petits moments qui me font sursauter. Par exemple, l'étatisme forcené dont il est question en matière de développement des offres numériques licites (p. 3-4) : comme si Mme Albanel allait, par ses propres forces, régler un problème mondial où personne ne sait ce qu'il faut faire (on en reparlera sans doute). Le bilan de la démocratisation culturelle, caricaturalement réduit à un échec - il y a des problèmes énormes, certes, mais ce n'est pas en recourant à ce genre de simplifications qu'on comprendra les choses. Il y a aussi des choses avec lesquelles on ne peut pas être en désaccord: par exemple sur le fait que l'argent public dépensé par les acteurs culturels doit être justifié, et que la raison culturelle ne justifie pas le gaspillage (la posture d'artiste étant parfois une manière bien désinvolte de se tirer d'affaire).
Mais de toute façon le problème n'est pas dans les constats: on ne peut que se réjouir de lire une critique du "déséquilibre persistant entre Paris et la province", mais on attend surtout de savoir quelle solution on va apporter à ce déséquilibre: pour le dire brutalement, quelles institutions parisiennes vont perdre des subventions, et comment va-t-on répartir l'argent dans les institutions de province? On peut toujours faire des voeux pieux, mais on va sans doute encore devoir reprendre le mot fameux de Malraux, qui portait sur la musique mais peut s'appliquer à bien des choses: "On ne m'a pas attendu pour ne rien faire".
La lettre cède donc à une mode qui gangrène l'ensemble des institutions culturelles et toutes les administrations : les indicateurs, autrement dit les statistiques, au nom d'une foi aveugle dans la puissance des nombres. Comme si les nombres avaient un sens. Va-t-on comparer le coût par place du Centre Dramatique National de X avec celui de Y, sachant que le contexte local n'est pas le même (ville aisée d'une part, ville ouvrière de l'autre), que la jauge de la salle n'est pas la même, que le bassin de population qu'il dessert n'est pas le même, etc.? En attendant l'administration des deux CDN aura passé des heures à remplir de la paperasse, à faire des comptes dans tous les sens, au lieu de s'occuper de produire.
Je ne cite pas les CDN par hasard: d'abord parce que ce sont les grands instruments de la décentralisation culturelle, ensuite parce que les patrons de CDN ont été les premiers à réagir violemment à cette lettre, et aux critiques qu'un responsable de l'association qui les encadre a formulées*. Les CDN sont un exemple parfait des réussites et des limites de la décentralisation: avec les scènes nationales**, ils ont en effet apporté la culture à des endroits où elle n'était pas très présente, soit. Pour autant, M. Sarkozy a tort de ne pas mettre la question des structures comme les CDN au coeur du débat, de même que les artistes-directeurs de CDN ont tort de refuser toute remise en cause de leur statut.
Les CDN sont des structures de production, soit. Mais pour qui? Un CDN aujourd'hui va créer sur place, mais sa survie dépend de la manière dont il va vendre sa pièce: à d'autres CDN et scènes nationales, idéalement à un théâtre parisien, voire à Avignon. Le public local, ici, est important, mais il n'est pas fondamental. En Allemagne, le réseau très critiqué mais extraordinaire des théâtres municipaux et nationaux, lui, joue pour le public local et ne vit que par lui: ce qui veut dire, entre autres, que ville par ville le public voit une variété de spectacles qui n'a rien à voir avec ce que le public d'une ville française peut voir. En attendant, le coût des tournées, financé par les subventions, empêche de créer plus, de faire vivre aussi plus d'artistes de leur travail dans de bonnes conditions (en Allemagne, les acteurs sont engagés à la saison, ce qui coûte certainement moins cher que le système des intermittents).
J'ai dérivé très loin de la lettre de M. Sarkozy. Ou plutôt, je suis en plein dedans : voilà ce que j'aurais aimé y trouver (pas forcément les solutions auxquelles je crois, mais au moins une réflexion sur les problèmes centraux), pour que nous reconstruisions un monde culturel tourné vers le public, financé par l'argent public mais délesté de la nécessité de mendier, et qui soit capable de tenir le rôle capital qui doit être le sien dans la société. Au lieu de cela, on nous parle d'industrie, de télévision, et évidemment de mécénat : on va donc continuer, comme si de rien était, à gérer paisiblement son portefeuille, entre rockeurs sans voix et décervelés à ballon rond ou ovale. Cinq ans pour rien - mais on le savait déjà...
*Cf. Le Monde du 30 août dernier.
** Les CDN ont une mission de production plus importante que les Scènes nationales, qui sont en général implantées dans de plus petites villes et sont surtout des structures d'accueil.
samedi 15 septembre 2007
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