dimanche 14 mars 2010

Émilie de Kaija Saariaho ou le triomphe de la voix

Petite pause dans les annonces de saison pour un retour sur la création lyrique contemporaine : après la défaite en rase campagne de la très ambitieuse Tragédie du diable de Peter Eötvös (même pas un scandale, même pas de huées : un simple flop), c'était au tour d'Émilie de Kaija Saariaho d'étrenner ses atours XVIIIe sur la scène de l'Opéra de Lyon.
Kaija Saariaho à l'opéra, on connaît, depuis le premier succès (L'amour de loin), avec son immobilité et son livret d'une lourde poésie aux ambitions mal taillées ; ensuite, ce fut Adriana Mater, sur un livret plus pesant encore, plein de bons sentiments stéréotypés comme une caricature de livret d'opéra. Dans les deux cas, ce qui faisait le prix de l'entreprise était la musique de Saariaho, qui faisait oublier le texte par la délicatesse de ses textures, à défaut de théâtralité.
Cette fois, la forme et le livret de l'opéra sont d'une simplicité absolue : en une heure vingt de monologue, la compositrice finlandaise et son librettiste libanais Amin Maalouf racontent les derniers jours de la Marquise du Châtelet, femme de science et de cœur, à quelques jours d'un accouchement dont elle ne se relèvera pas. Pour une fois, le livret d'Amin Maalouf - largement puisé aux textes d'Émilie et de ses contemporains - ne verse pas dans la platitude poétique qui avait plombé (en tout cas scéniquement) d'autres opéras de Saariaho : sans qu'il y ait forcément une logique très contraignante dans la succession des moments, on s'intéresse du moins au parcours de cette femme entre bonheur et tristesse, chez qui la correspondance devient une sorte de Voix humaine façon Poulenc. Le tout dans une mise en scène qui, à défaut d'offrir une perspective quelconque sur le personnage, est correctement décorative.
La partition de Kaija Saariaho a été écrite pour son interprète, l'immense Karita Mattila. Qu'on ne compte pas sur moi pour distinguer, surtout à la suite d'une unique écoute, ce qui relève du talent de l'interprète des qualités propres à la partition. On entend une heure vingt de Karita Mattila en qualité maximale, grâce à une écriture vocale qui saisit à merveille ce qui fait tout le prix de cette interprète unique : pas tant la sûreté de la technique ou la beauté de la voix que ses déchirures, ses caprices, ces moments entre ciel et terre où la chair de la voix dit ce qu'aucune volonté expressive de la chanteuse ne saurait atteindre.

Kaija Saariaho
Émilie

Direction musicale Kazushi Ono
Mise en scène François Girard

Karita Mattila (Émilie)

Orchestre de l’Opéra national de Lyon
 In memoriam
Il y a quelques jours est décédé le ténor Philip Langridge, un des chanteurs les plus exceptionnels qu'il m'ait été donné de voir. La poésie et l'intelligence faite chanteur.
Sa carrière était évidemment largement derrière lui, mais je n'avais pas encore tout à fait renoncé à le revoir un jour. Espoir perdu.
http://www.bayerische.staatsoper.de/upload/media/200609/16/15/rsys_20617_450bf5ef0f6ea.jpg
Ci-dessus : Philip Langridge dans le rôle de Loge de l'Or du Rhin à l'Opéra de Munich, un des rôles où j'ai eu le grand plaisir de pouvoir l'admirer, dans une mise en scène qui lui convenait à merveille (Herbert Wernicke).
Pour l'écouter au disque : très vaste discographie, évidemment. Un disque que j'aime particulièrement :
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