vendredi 27 mars 2009

Horváth - Recto|Verso

Ödön von Horváth : le nom de ce très grand dramaturge mort en 1938 n’est certainement plus tout à fait inconnu des spectateurs français. La Comédie-Française a monté il y a peu Figaro divorce, le Théâtre de la Ville joue en ce moment sa pièce la plus connue, Casimir et Caroline, d ans une mise en scène de son nouveau directeur Emmanuel Demarcy-Motha. Cette institution essentielle des arts de la scène à Paris avait déjà joué la pièce il y a une dizaine d’années, et j’ai oublié le nom du metteur en scène de ce spectacle qui m’avait paru intéressé. La nouvelle mouture de cette triste histoire d’un couple séparé par la crise économique (on est en 1932, pas en 2009…) est un désastre : hormis Sylvie Testud, vive mais pas inoubliable, la troupe réunie ici joue faux d’un bout à l’autre de la pièce, le pire étant atteint avec Thomas Durand en Casimir, beau gosse sans une once de talent. Mais ce n’est pas là le pire, ou plutôt ce n’est qu’une manifestation collatérale de l’échec de ce spectacle : le problème est la sottise de la mise en scène.

On ne sait comment Demarcy-Mota et son traducteur en sont venus à l’idée idiote de farcir la pièce d’autres scènes de fêtes entre « jeunes » (cela les préoccupe, visiblement, les « jeunes ») tirées de diverses œuvres de Horváth, diluant ainsi sans pitié l’histoire de Casimir et Caroline quand l’auteur avait su si remarquablement l’insérer dans son écrin. D’autant que l’interprétation de cette Oktoberfest (que les Allemands n’appellent jamais Fête de la bière) se résume à la mise en scène de sa vulgarité et de ceux qui la fréquentent, évacuant aussi vite que possible le plaisir qu’on y prend : là où Horváth décrit ses personnages en anthropologue amoureux, . Le spectacle est bruyant, jamais rythmé. Mauvais présage pour un « règne » dont on espère déjà qu’il ne sera pas aussi long que celui de son prédécesseur, long de plusieurs décennies : et confirmation qu’il faut à tout prix éviter de nommer des artistes à la tête des institutions culturelles.

Figaro divorce, à l’inverse, avait su montrer toute la puissance dramatique de l’auteur. Le metteur en scène, cette fois, n’était pas un jeune loup bien en cour, plutôt un vieux maître déjà un peu oublié, Jacques Lassalle, qui signait un spectacle bien plus jeune que celui de son jeune collègue (et ce pour un public qui, malgré les préjugés, n’était pas plus vieux que celui du Théâtre de la Ville). C’est un peu le ton actuel de la Comédie-Française*, une mélancolie diffuse et ici particulièrement poignante à l’image de la décadence du Comte (merveilleux Bruno Raffaelli), qui apprend à vivre avec la misère avec l’innocence d’un enfant qui découvre le monde, mais sans les illusions. Maîtrise absolue des silences, lumière, travail d'acteurs dépouillé et intense : on a vu, ces derniers temps, plus moderne salle Richelieu, mais quand le théâtre classique ne renonce pas à l'ambition formelle et parvient à une telle maîtrise de ses moyens expressifs, toutes les objections tombent d'elles-mêmes.

On pourra me dire que mon pessimisme sur l’état actuel du théâtre en France n’est que négativisme, que tout cela ne va pas si mal,et que d'ailleurs, le public... : au XVIIIe siècle, Voltaire était regardé comme le plus grand génie du théâtre de son temps, l'égal - sinon plus - des Racine et Corneille du siècle précédent. Il n'y a pas de théâtre en France aujourd'hui, seulement quelques spectacles réchappés du marasme : ce n'est, si j'ose dire, pas un drame, parce que d'autres arts sont en pleine floraison, et parce qu'il y a suffisamment de spectacles invités en provenance d'autres pays (on peut ainsi citer, outre des théâtres parisiens comme l'Odéon, le festival Passages à Nancy, consacré aux théâtres de l'Europe de l'Est, voire plus loin encore, prochaine édition au mois de mai).

* Cf. outre L’illusion comique récemment commentée ici le moins réussi Fortunio de Musset mis en scène par Denis Podalydès.

vendredi 20 mars 2009

Weiss du, wie das wird ? (2)

À l’inverse du bilan plutôt encourageant de la production à proprement parler musicale, le basculement du monde lyrique parisien, commencé avec la décadence du Châtelet dont j’ai largement parlé, vers la vulgarité et le populisme, semble désormais irréversible, et ce d’autant plus que la critique face à cette évolution semble un tabou absolu. Le Châtelet, on le sait désormais depuis plusieurs saisons, a préféré troquer Henze, Wagner ou Berg contre Bernstein, Messager ou je ne sais quelle Nouvelle star : on a, d’une certaine façon, passé ce changement par pertes et profits : j’attendais autre chose d’une municipalité de gauche qu’une telle politique culturelle d’extrême-droite, mais les dés en sont jetés depuis longtemps.

Du côté de l’Opéra-Comique, le bilan des premières saisons de Jérôme Deschamps, que j’avais accueilli avec enthousiasme, ne laissait guère d’espoir (j’y reviendrai dans un prochain message). Jérôme Deschamps se plaint d’un budget trop restreint, mais faut-il vraiment, en tant que spectateur, s’en plaindre, quand la prochaine saison, aux côtés d’un intéressant Pelléas (John Eliot Gardiner/Stéphane Braunschweig), propose d’indispensables chefs-d’œuvre comme Mignon d’Ambroise Thomas ou Fantasio de Messager ? Soyons honnête : je ne connais pas ces œuvres, et il est un peu imprudent d’en parler dans ces conditions. Mais j’ai subi, outre la Véronique de Messager au Châtelet, trop de « résurrections » de ces œuvrettes françaises polies, « raffinées », « légères », de L’Étoile de Chabrier à Fra Diavolo d’Auber, en passant par La Juive de Halévy (Bastille) pour croire encore à la prochaine fournée de chefs-d'oeuvre oubliés– tous ces immortels chefs-d’œuvre « bénéficiant » en outre de mises en scène à leur niveau, c’est-à-dire incapables de nous protéger de la médiocrité de l’objet du délit.

La nullité, dans le monde de la musique classique, n’est certes pas un phénomène inhabituel : cela fait des décennies que le public est abreuvé de sottises comme Le Trouvère ou Tosca (dont un critique parisien disait en 1903 qu’après la pièce originale de Victorien Sardou, ce n’était pas vraiment la peine de se fatiguer à aller en Italie si c’est pour en ramener une si pauvre chose). Le problème central, c’est le discours sous-jacent, à la fois populiste et terroriste, qui justifie cette évolution programmatique :l'idée centrale, c'est qu'il y aurait eu une sorte de complot d'intellos cosmopolites (tous ces metteurs en scène allemands, ou presque [par exemple le Néerlandais Johan Simons ou le Suisse Christoph Marthaler]) qui auraient pris en otage les institutions culturelles et leurs publics pour leur imposer la perte d'une identité (le remplacement du répertoire français comme fondateur d'une identité nationale par d'autres répertoires notamment étrangers et plus récents).

C'est, bien sûr, faire fi de l'adhésion d'une bonne part du public à l'évolution du monde lyrique (au nom du conservatisme des lyricomanes, qui croient avoir seuls le droit de définir ce qu'il doit être) ; c'est aussi, en bonne part, réduire le monde lyrique à la seule question de la voix, ce qui n'a guère d'intéret artistique ; c'est enfin, dans une démarche nationaliste et réactionnaire, l'idée d'un art qui serait un culte de soi, qui serait sentimentalité et émotion brute, excluant toute remise en question, tout inconfort**, et faisant de l'effort et de la réflexion une exigence condamnable. On en revient à ce qu'était l'opéra en France avant Rolf Liebermann (que les réactionnaires ne se privent pas d'encenser pourtant), aux alentours de 1970 : logique quand certains osent dire que les malheurs de la France viennent des idées de mai 1968.

L’Opéra de Paris, une fois Gerard Mortier parti, s’engouffre sur la même voie : on connaissait les conceptions réactionnaires de Nicolas Joël, autoproclamé grand connaisseur des voix et metteur en scène grand amateur de kitsch et d’illustration au premier degré, et cette première saison le montre hélas amplement. Prenons le spectacle d’ouverture de la saison : Mireille de Gounod, monté par le maître soi-même, une oeuvre que j'ai fait l'effort d'écouter pour me faire un avis : un monument de niaiserie du point de vue dramatique, une musique polie de faiseur, le tout dans une mise en scène sans aucun doute illustrative. Il en va un peu de même pour Andrea Chénier de Giordano, qui plus est dans une mise en scène d'un des meilleurs représentants du marasme culturel et intellectuel italien, Giancarlo del Monaco, tandis que d'autres opéras seront présentés dans des productions qui n'avaient plus été montrées depuis l'ère Gall, histoire de bien montrer qu'on efface les années récentes. C'est bien là, de façon purement technique, le sens du mot "réaction" : renier hier pour ressusciter avant-hier.

Et c’est pour laisser la place à ces splendeurs que M. Joël chasse du répertoire des productions comme le Parsifal de Krzysztof Warlikowski – gaspillant ainsi le formidable travail effectué par l’orchestre sur cette production –, acte qui est pire qu’une simple négligence : du pur vandalisme, comparable à celui des bourgeois imbéciles qui, vers 1800, ont détruit sans scrupule l’abbatiale de Cluny, chef-d’œuvre de l’architecture gothique.

Pendant ce temps, Mme Albanel se bat pour imposer un texte de loi que chacun sait inefficace et inutile*, et un sbire mal famé croit défendre l’Identité nationale en raflant sans discernement les Jean Valjean du monde moderne : tout cela est logique.

Heureusement qu’il reste Pierre Boulez pour me faire encore un peu croire que la France peut être encore aujourd’hui un pays de culture.

*Ce qui ne veut pas dire que je défende le téléchargement sans limites, mais qu'une pratique ne soit pas licite ne justifie pas le fait qu'on lutte contre elle avec des armes inadaptées.

**Je parle d'inconfort intellectuel ici; l'inconfort physique, à l'Opéra-Comique, nous est donné sans compter !

lundi 16 mars 2009

Weiss du, wie das wird ? (1)

Ce message sera actualisé au fil de la publication effective des saisons.

Le printemps, en musique classique, c’est la saison... des saisons : déjà la salle Pleyel a publié la sienne, la Cité de la Musique s’apprête à faire de même, et on sait déjà l’essentiel de celles du Théâtre des Champs-Élysées, de l’Opéra-Comique et l’Opéra de Paris, entre indiscrétions des parties prenantes, savoirs d’insiders – qui ne manquent pas de proclamer haut et fort leurs mérites – et fuites volontaires de la part des directions. Le panorama qui s’offre ainsi au spectateur parisien – puisque, il faut bien le dire, le tintamarre autour des saisons ne concerne guère que Paris – se révèle cette année, comme on s’en serait douté, parfaitement schizophrène.

Du bon côté de la balance, le maintien d’une programmation de qualité ne concerne que la musique symphonique et instrumentale : on aimerait bien pouvoir voir les grands pianistes du moment sans passer sous les fourches malhonnêtes et coûteuses de Piano****, mais le résultat est là : pianistes, chefs d’orchestres, solistes divers, le nombre de grands artistes qui foulera la saison prochaine les scènes des salles de concert parisiennes est vertigineux, et atteint une densité qu’on ne se souvient pas avoir connue – et je ne peux que rendre hommage, une fois de plus, à la Salle Pleyel, première concernée (beaucoup plus que le TCE, certes riche mais souvent trop routinier) : ce qui est admirable, c’est non seulement les noms qui y sont – Claudio Abbado, Mariss Jansons, Bernard Haitink, Simon Rattle, Maurizio Pollini, Philippe Herreweghe, John Eliot Gardiner, Martha Argerich, et j'en passe beaucoup –, mais encore ceux qui n’y sont pas : pas de Riccardo Muti, ni de Georges Prêtre, ni de Lorin Maazel, les médiocres qui, la notoriété acquise, se sont réfugiés dans la facilité et les effets faciles ; pas non plus de Christian Thielemann (qui viendra au TCE), dont les conceptions musicales provoquent en moi un profond malaise (c'est un autre sujet).


Que l'opéra marche bien, imperturbablement, du point de vue commercial, c'est une bonne chose, même si (on va le voir) il n'est pas sûr que ses succès relèvent toujours d'une démarche artistique. Que la musique de chambre soit devenue toujours plus confidentielle, c'est à l'inverse bien triste (tristesse au reste relative, puisqu'on devrait pouvoir assister à une nouvelle édition de la Biennale du quatuor, indispensable, à la Cité). Mais du moins, du point de vue des programmateurs, il reste l'orchestre, source de fascination jamais démentie pour moi.


La programmation parisienne, dans ce domaine, est d'une richesse assez époustouflante, a fortiori quand on songe au coût des tournées orchestrales, ce qui console en partie de la médiocrité des formations locales. Le plus intéressant, c'est que ces formations viennent pour beaucoup avec des programmes qui ne manquent pas d'intérêt : le plus extraordinaire est certainement le Concertgebouw, que Mariss Jansons dirigera dans la 2e symphonie de Mahler ; mais on pourra aussi (pour ceux qui auront la chance de conquérir une place) voir les Berlinois jouer, outre Brahms ou Sibelius, la San Francisco Polyphony de Ligeti, tandis que Boston vient avec Dialogues de Carter (en partie, je suppose, par nationalisme étatsuniens, à vrai dire).


Schönberg, déjà amplement à l'honneur cette saison*, confirme l'évolution très intéressante qu'on avait déjà pu constater : Schönberg, apparemment, a fini de faire peur, et on pourra ainsi entendre un cycle Beethoven/Schönberg par la Staatskapelle de Berlin et Daniel Barenboim en plus de la Symphonie de chambre n° 1 par d'autres Berlinois. Et on suivra bien entendu avec grand intérêt la suite du cycle Pollini Perspectives, qui mélange de façon passionnante musique contemporaine et classique... Et Paris devient plus que jamais le fief de Pierre Boulez : non seulement pour les concerts prochains à la Cité de la Musique et à Pleyel (respectivement le 24 mars pour Carter/Boulez et le 31 pour Webern/Berg/Schönberg), mais également pour des horizons plus lointains: on entendra ainsi le plus grand musicien français dans Bartok, Stockhausen et Ligeti : enthousiasmantes perspectives...


Le message suivant, qui arrivera dès le courant de cette semaine, sera moins enthousiaste ; il concernera l'opéra : même si l'aventure scénique est pour moi indispensable, qu'on ne pleure pas trop sur mon sort, puisque la musique seule est tellement pleine de promesses.


*Je ne lui ai pas consacré de message, mais il faut absolument mentionner le récent concert Schönberg de Pierre Boulez avec l'Orchestre Philharmonique de Radio-France, faisant suite à un très beau programme dirigé quelques semaines plus tôt par Peter Eötvös. Le plus intéressant à préciser est certainement que ces concerts étaient très bien remplis et ont suscité un enthousiasme inhabituel dans le public...

vendredi 13 mars 2009

Dictionnaire de la bêtise et des idées reçues (2)

Le début de ce dictionnaire, qui a au moins ceci de commun avec celui de l'Académie Française qu'il fait de la lenteur de son avancement sa principale qualité se trouve ici, ainsi que le récapitulatif des articles.
Les renvois vers d'autres articles sont indiqués par un astérisque.


ALAGNA, ROBERTO - Ténor qui, quand il est hypoglycémique, ne trouve pas la sortie de la scène.

CLAVECIN - Instrument dépassé que quelques fétichistes ont ressorti des greniers, alors que si les compositeurs de l'époque baroque* avaient connu le piano, ils ne se seraient pas privés. "Le clavecin, j'aime bien, mais pas plus de 5 minutes". "Bach au piano, ça sonne tellement mieux !"

HUÉES - Comportement inadmissible à l'égard d'artistes qui donnent tout. Les huées sont cependant admises et même souhaitées contre les metteurs* en scène, en tout cas les modernes, qui ne sont notoirement pas aussi sensibles que les chanteurs (et puis il suffit de lire des interviews de chanteurs pour voir à quel point les chanteurs comprennent en profondeur les œuvres qu'ils chantent).

MUSIQUE FRANÇAISE - Devoir sacré des salles de concert et des opéras de France, que de cosmopolites directeurs anti-français et idéologues interdisent au bon peuple de France. "On ferait mieux de jouer Auber ou Massenet plutôt que ces créations qui coûtent cher au contribuable et n'intéresse personne". La musique française est nuancée, délicate, pleine d'un goût exquis, alors que la musique allemande est lourde, prétentieuse, intellectuelle (ce qui est mal). "Il faut faire renaître le répertoire de l'opéra-comique, Auber, Messager, Reynaldo Hahn qui était un merveilleux musicien".
NB : le terme "musique française" ne s'applique qu'à la musique postérieure à 1800. La musique écrite par des compositeurs français avant 1800 est baroque*, ce qui est moralement condamnable et ne saurait donc être français.

OREILLE ABSOLUE - Faculté qu'ont certains individus d'entendre la justesse des notes non seulement dans leur contexte, mais également sans comparaison avec une référence (diapason...). "J'ai l'oreille absolue, et je peux vous dire que ce que jouent les baroqueux, c'est totalement faux". "Quand on n'a pas l'oreille absolue, on n'a pas à critiquer la justesse d'un chanteur".

STAR - Aujourd'hui, le monde de la musique classique ne saurait se passer du recours à des stars. Les stars apportent un peu de prestige et de joie dans un monde qui en manque tellement. "Placido Domingo n'a plus de voix, mais c'est une star, quel bonheur de le voir encore chanter à son âge". "Les stars font venir de nouveaux publics à l'opéra, on a tort de les critiquer". "Renée Fleming est une grande star, alors qui êtes-vous pour oser la critiquer".

vendredi 6 mars 2009

Das wahre Tier, das wilde, schöne Tier

On ne le dit pas trop, parce que ça ne se fait pas : mais tout de même, la Comédie-Française va bien. Il en reste toujours, des branchés incompétents pour railler la vieille maison confite dans des traditions surannées : les meilleurs préjugés sont ceux qu'on ne soumet pas au risque de les voir contredits. Elle va bien, du point de vue commercial : les salles sont toujours au moins honnêtement remplies, les pièces rares ne les vident qu'à peine et les pièces plus habituelles les remplissent sans difficulté. Mais surtout, et c'est là, peut-être, le plus étonnant : elle ne va pas moins bien du point de vue artistique.
Les années Bozonnet (2001-2006) avaient profondément déprimé la troupe et les spectateurs ; Muriel Mayette, en peu de temps, a réussi à redonner de la vie, de l'audace, de l'envie à l'une comme aux autres. Ce qu'on y voit peut parfois surprendre les spectateurs habitués à la torpeur complaisante du théâtre français, ce qui - plus que la médiocrité autosatisfaite des années précédentes - assure à ses spectacles de mauvaises critiques : des spectacles comme La Mégère apprivoisée, mise en scène par Oskaras Korsunovas, ou plus récemment L'Illusion comique mis en scène par Galin Stoev ont suscité l'ire de la presse, mais ont largement mérité l'intérêt marqué par les spectateurs. Deux metteurs en scène étrangers, d'ailleurs : cette ouverture à l'extérieur, qui montre par contraste à quel point le théâtre français actuel est anémié, apporte bien plus qu'une modernité superficielle qui est le seul niveau de lecture que semblent comprendre les critiques institutionnels.
J'ai déjà parlé ici récemment de Fiona Shaw et de Dörte Lyssewski, qui ont montré récemment sur la scène de maisons d'opéra parisiennes ce qu'est le corps d'un acteur de théâtre : il est frappant de constater à quel point les deux metteurs en scène ont su, chacun à sa façon, transformer les acteurs de la troupe pour faire ressortir la réalité de leur talent parfois considérable. Julie Sicard, Loïc Corbery, et bien sûr l'étoile Podalydès en sont sortis transformés dans cette merveilleuse Illusion comique : les stances tragicomiques de Lyse (III, 6), dépouillées de tout ton de soubrette, en devenaient mélancoliques, burlesques, enivrantes, par le travail du texte, par le travail du corps.
Il faudrait citer d'autres spectacles pour obtenir un panorama complet de tout ce qui se passe d'intéressant dans la maison de Molière : le Cyrano désormais classique de Denis Podalydès y fait salle comble à chaque représentation, on a pu déguster la mélancolie du Figaro divorce de Horvath, texte indispensable (Jacques Lassalle), et si cela ne vous suffit pas, on pourra s'intéresser à L'ordinaire de et par Michel Vinaver (moins passionnant, mais digne d'un coup d'oeil) ou à un Mariage de Figaro (le type même des pièces classiques qu'on avait fini par oublier à force de vouloir faire place nette pour d'autres répertoires) bien fait à défaut de mieux par Christophe Rauck.

DSCF1852
La salle principale de la Comédie-Française (Salle Richelieu)

Le corollaire de cette réussite, directement liée à la politique intelligente de l'administratrice en matière de répertoire et de mises en scène, c'est la qualité accrue de la troupe, avec des recrutements beaucoup plus heureux, moins opportunistes, qu'à l'époque précédente. Paris n'a qu'une troupe permanente salariée : quelle tristesse, quand on compare avec Munich ou Berlin ! Mais quelle bonne raison de tenir, envers et contre tout, à cette vieille maison à l'esprit si éveillé !

Titre: un vers du prologue d'Erdgeist de Frank Wedekind et donc de Lulu de Berg : par oppositions aux monstres bien élevés de la tragédie classique et du vieux théâtre, le fauve vrai, le fauve sauvage, beau.
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