mercredi 21 mars 2012

Menu de chef - La Cité, spécial Kurtág

N'y allons pas par quatre chemins : le programme de la prochaine saison de la Cité de la Musique pour la saison prochaine est une catastrophe, tant il accumule les cycles passionnants et les concerts indispensables. Je vais faire dans un prochain message aujourd'hui ou demain un tour complet de ce qui mériterait le déplacement ; mais vous me permettrez de commencer plus personnellement par le cycle consacré à un musicien qui compte beaucoup pour moi, et depuis longtemps : György Kurtág.



Menu de chef : Pleyel

Il est de bon ton de railler la place que prennent dans les institutions culturelles ceux qui les dirigent, alors même qu'ils ne sont en général rien d'autre que des gestionnaires culturels : la musique, que diable, ce sont d'abord les musiciens ! Sans doute, Laurent Bayle ne m'en voudra pas si j'avoue que mes admirations vont en premier lieu à Mariss Jansons ou Claudio Abbado, au Philharmonique de Berlin ou au Concertgebouw. Mais quand même : que serait la vie culturelle parisienne sans les deux salles qu'il dirige ?
Il faut distinguer, d'ailleurs, entre ces deux salles : à Pleyel, il y a un aspect industriel, un aspect mondain, qui n'est pas toujours très plaisant et qui est la rançon de sa triste situation au beau milieu du 8e arrondissement ; et il faut y accommoder des producteurs privés et deux orchestres résidents : Bayle ne l'a jamais caché, la situation n'est pas idéale, la tarification lourde et pas toujours très pertinente, et la liberté artistique y a d'étroites limites.
La Cité, c'est bien différent : on y respire un autre air, avec un choix beaucoup plus varié, souvent plus exigeant, sans oublier un public sans pareil - là où le public de Pleyel m'a par exemple définitivement chassé des pourtant si intéressants programmes construits par Maurizio Pollini entre grand répertoire et contemporain.

Explorons donc d'abord les surprises et les recoins du monstre froid avant de nous offrir la cuisine de fin gourmet de la salle du Grand Nord, celle où les bonnes gens des beaux quartiers ont peur d'aller.
Edit : pour cause de profusion incontrôlable, je ne publie finalement que Pleyel tout de suite. La Cité viendra très bientôt.

Pleyel, donc

J'avoue ne pas avoir été très enthousiasmé par la saison 2011/2012 de la Salle Pleyel : beaucoup de choses intéressantes, sans doute, mais pas assez pour me faire bondir de ma province ou pour résister face aux tentations du théâtre ou de la danse.
Les choses sont différentes cette année. D'abord parce que la saison accumule les concerts de prestige, ensuite parce que les propositions les plus diverses viennent enrichir ce qui pourrait n'être qu'un défilé de mode.

La valse des grands orchestres

Pleyel, comme toutes les salles équivalentes, joue une bonne partie de sa réputation dans sa capacité à faire venir les grandes écuries, avec un succès non négligeable d'ailleurs. Je suis encore et toujours très réservé sur la résidence sans fin du London Symphony Orchestra, un orchestre passe-partout qui n'est ni meilleur ni pire que des dizaines d'orchestres en Europe, y compris d'ailleurs en France ; le fait que le suractif Valery Gergiev en soit directeur musical n'arrange pas les choses, ses concerts étant trop souvent bâclés. Parmi les orchestres invités, il va de soi que l'attention est concentrée sur quelques événements incontournables :
  • Le Philharmonique de Berlin et Simon Rattle viennent pour deux concerts différents en février. On a beaucoup glosé sur les supposées insuffisances de Rattle à ce poste où il devait prendre la lourde succession d'Abbado, et certains ont posé un constat d'échec un peu rapide. Les flottements initiaux se sont envolés, et les Berlinois restent toujours, avec certain autre orchestre évoqué plus bas, un des plus passionnants du monde. Deux symphonies de Schumann, le 3e concerto de Beethoven avec Mitsuko Uchida - une pianiste qui me laisse parfois perplexe, mais peut aussi être très stimulante - et, comme souvent, de la musique du XXe siècle. Dutilleux, Lutosławski : deux compositeurs à qui je suis assez étranger, Dutilleux devenu l'apogée de la musique contemporaine officielle, Lutosławski déjà un peu oublié... Un peu de révision ne me fera pas de mal !
  • Claudio Abbado, bien sûr : nous voilà interdits de Lucerne cette année, il faudra donc se contenter de l'Orchestra Mozart, pour un programme encore largement à définir (mais un concerto de Mozart avec Radu Lupu, c'est déjà ça !).
  • Boulez, encore plus évidemment : deux concerts, l'un avec l'Orchestre de Paris pour un programme Ravel qui, comme tout programme Ravel, ne m'enchante pas, l'autre avec Lucerne pour un programme mêlant œuvres nouvelles (Harvey et Manoury, deux compositeurs que je fréquente également trop peu) et un classique de la modernité, Erwartung de Schoenberg.
  • Enfin, autre invité obligatoire, l'Orchestre royal du Concertgebouw d'Amsterdam : ouf, retour de Mariss Jansons à la tête de son orchestre après une année d'abstinence ; zut, le programme n'est pas passionnant (il y a tout de même des limites à l'emphase - c'est valable pour Strauss comme pour Tchaikovski). L'orchestre donne un second concert avec Gustavo Dudamel, un chef sur lequel je persiste à réserver mon jugement (je n'avais pas pensé du bien de sa 2e symphonie de Mahler à Salzbourg cet été, mais il est vrai que le niveau de l'orchestre Simon Bolivar n'est pas vraiment le même que celui du Concertgebouw) : espérons que les obligatoires pièces sud-américaines soient supportables ; ensuite, la Symphonie pas vraiment inédite du Nouveau Monde de Dvorák, qu'on connaît peut-être un peu trop, mais qui ne me déplaît pas, après tout.
Les autres invités, souvent eux aussi habitués, ne doivent pas être négligés : si vous ne pouvez aller voir les Berlinois (trop cher, places rares, atmosphère pesante), allez donc voir Budapest, avec un beau programme Bartók/Mahler, un chef majeur et des places qui culminent à 60 €, contre 145 pour Berlin !
Tout n'est pas parfait, bien sûr, et outre le cas Gergiev je peine en particularité à comprendre la place accordée à John Eliot Gardiner, qui est terriblement ennuyeux dès qu'il sort du baroque (pourquoi diable ne pas inviter plus souvent Philippe Herreweghe, qui avec le même parcours fait des choses cent fois plus intéressantes ?). De même, la place accordée aux frères Capuçon, peut-être justifiée par le remplissage (j'ai des doutes), est tout de même bien pénible - le sommet, c'est ce "concert en famille" où Renaud Capuchon a demandé à la grande actrice Laurence Ferrari, choisie uniquement pour ses compétences de diseuse, de dire le texte de L'histoire de Babar de Poulenc. Faute de goût !

Opéra et récitals vocaux

Comme tout le monde, je ne bondis pas d'enthousiasme à l'idée d'aller entendre de l'opéra à Pleyel, tant l'acoustique de la salle est réfractaire à la voix. C'est la mode des grands Wagner en concert : on aura donc l'an prochain un Tristan marqué par la présence de Nina Stemme, qui a enfin découvert ces derniers temps le chemin de Paris ; le reste de la distribution est moins brillant, mais je crains surtout l'art du chaos propre à la direction de Myung-Whun Chung. Fronts inversés pour des Contes d'Hoffmann dirigés par Marc Minkowski, un des meilleurs chefs français d'aujourd'hui et un des plus grands spécialistes d'Offenbach : rien que pour ça, et pour la version musicologiquement correcte qu'il présentera, il faut aller voir ces concerts - et il faut aussi espérer que Natalie Dessay annulera pour laisser la place à des chanteuses à la voix moins ravagée. J'ai longtemps défendu Dessay, mais aujourd'hui, s'il vous plaît, rideau. Et puis, pensez à Mireille Delunsch : elle aussi a une voix parfois meurtrie, mais quelle intelligence musicale, quel sens du théâtre ! Cela dit, Minkowski ne sera pas le seul à compenser : Naouri chez les méchants, Jean-Paul Fouchécourt pour la valetaille, ça ouvre des perspectives. Pour le reste, rien n'est véritablement à fuir, sinon Les pêcheurs de perles montées autour de Roberto Alagna (allez donc plutôt vous-mêmes à la pêche), mais je me passerai volontiers de l'ensemble : je n'aime guère les petits opéras vieillots de Ravel, pas plus que les courbes d’oscilloscope de John Adams, et j'ai trop souvent entendu Le château de Barbe-Bleue pour accepter d'y écouter les aboiements de Matthias Goerne.
Musicalement, c'est plutôt une bonne idée de monter Iolantha de Tchaikovski, mais ceux qui voudront s'y lancer devront avoir un bon porte-monnaie, une forte capacité à supporter le star-system (eh oui, Netrebko...) et une bonne tolérance pour ce qui entoure la star.
La vraie faute de goût de la saison est pourtant ailleurs : c'est le misérable concert du 29 septembre, avec une œuvre rare de Massenet (oui, il y a des gens que ça passionne, paraît-il) et surtout une œuvre alagno-alagnesque, avec le bon vieux Roberto chantant une musiquette de son frérot, avec un grand thème universel (la peine de mort) pour se donner bonne conscience. Il faut bien remplir les caisses, mais enfin...

Le baroque

Le baroque à Pleyel, c'est pire encore que l'opéra. Surtout quand on pousse le vice jusqu'à y faire de l'opéra baroque. La programmation est très intéressante - Agrippina de Haendel par René Jacobs, Phaéton de Lully par Christophe Rousset, vraiment, ça ne se refuse pas... mais cette acoustique ! Hors opéra, Savall autour du "goût français" entre Louis XIV et les Lumières, par exemple, c'est séduisant, mais quel dommage que ce ne soit pas à la Cité de la Musique ! Je signale également au passage le gala donné par Marc Minkowski pour les trente ans des Musiciens du Louvre - nostalgie, le magnifique gala des vingt ans, fête ramiste sans pareille, ce n'est pourtant pas si loin !

Musique de chambre

J'aime les programmations réactives. J'imagine que le grand succès d'un week-end consacré aux grands quintettes du répertoire il y a un an n'est pas étranger à l'invitation faite aux solistes de l'Orchestre Philharmonique de Berlin pour cette saison, avec 6 concerts 100 % Brahms (auxquels s'ajoutent deux concerts du Quatuor de Jérusalem). Il s'agit, bien sûr, de solistes d'orchestre, mais n'ayez pas peur : ces gens-là n'ont rien à envier à ceux qui se consacrent à une carrière soliste et c'est enivrant. Sans esbroufe, mais avec une écoute et un allant irrésistible. Et puis, charme de la musique de chambre : c'est aussi bien que quand c'est tout l'orchestre, mais c'est trois fois moins cher...
L'autre grand cycle de la saison est consacré à Beethoven : certes, ce n'est pas très original, mais après tout les tubes de musique de chambre sont par manque de programmation présentés deux ou trois fois moins souvent que les tubes symphoniques. Ce sera donc le quatuor Hagen qui, le temps d'un week-end d'avril, proposera la première moitié d'une intégrale de ses quatuors.
Le reste est évidemment plus varié ; passons sur les nombreux récitals de piano, où chacun piochera à sa guise (le provincial que je suis râle contre le fait que la plupart sont en pleine semaine) ; Maurizio Pollini continue ses passionnantes confrontations avec le répertoire contemporain, hélas sans moi en raison du comportement du public lors de ces concerts, et on remarque Vadim Repin, Hilary Hahn ou Denis Matsuev.

Et la musique contemporaine ?

Un regret pour finir. C'est la fatalité de cette situation en plein quartier à ISF, de ses structures de financement qui ne laissent pas beaucoup de marges, mais c'est dommage quand même : on aimerait quand même avoir un peu plus de musique contemporaine dans la programmation. Il y a bien une série de ce nom, mais elle est remplie à grand-peine par de la musique des années 60 ou des créations très en marge de la musique contemporaine vivante et innovante. Bien sûr, la Cité est là pour ça, mais quand même, c'est un peu triste.
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