dimanche 13 juillet 2014

Journal anglais (1) - Mattila en Ariane

Comme c'est très long, je vous publie ça en deux fois, sinon vous n'irez pas jusqu'au bout !

7 juillet, Liverpool, Everyman
Dead Dog in a Suitcase (and other love songs)
Compagnie Kneehigh

La quasi-disparition en Angleterre du théâtre parlé est un phénomène qui mériterait certainement notre attention, ne serait-ce que pour éviter que ce fléau n'arrive un jour chez nous (déjà, la vogue récente à Paris des musicals est un mauvais signe). Le "nouvel" Everyman est visiblement le théâtre intello de Liverpool, fréquenté comme partout ailleurs par le troisième âge et les scolaires, dans un cadre très agréable, mais sa programmation n'a tout de même pas grand-chose à voir avec la Colline ou Bobigny. Dead Dog (etc.) est donc une sorte de musical sans le nom, avec trois phrases de dialogue parlé séparées par des songs, semble-t-il tirés de mélodies en vogue comme l'était il y a 250 ans ceux de la pièce dont le spectacle s'inspire, l'indémodable Beggar's opera. On retrouve toute la narration dudit, avec simplement un angle narratif supplémentaire qui semble pour le coup venir directement de Macbeth : Peachum n'est plus entrepreneur en mendicité ; son créneau, ce serait plutôt d'assassiner le maire pour prendre sa place (le chien dans une valise qui donne le titre du spectacle, c'est celui du maire, assassiné avec son maître).
Le résultat est diablement efficace, il faut bien le dire. Le professionnalisme du théâtre anglais n'est pas un vain mot, et s'il y a parfois un certain manque d'âme dans cette machinerie bien huilée, on ne peut s'empêcher de penser qu'un peu de ce professionnalisme ferait du bien au théâtre français, qui croit trop souvent "faire artistique" en se montrant le moins professionnel possible. On rit, on est ému, on a peur, sur commande, à volonté. Le public trépigne, et on ne peut pas totalement lui donner tort. La limite, c'est cette volonté d'en mettre plein les yeux, avec des effets de concert pop dans les éclairages ; c'est cette crainte mortelle du temps mort, qui impose que le moindre effet soit calculé : c'est un peu ce que j'avais ressenti aussi avec Le Maître et Marguerite de Simon McBurney (moins intéressant que celui-ci), sans parler de Katie Mitchell dont l'aspect violemment réactionnaire me rebute forcément. Dead Dog en France, ce serait le succès assuré, mais on me permettra de préférer toujours les grands artistes du théâtre continental, de Warlikowski à Ostermeier, de Perceval à Marthaler.

9 juillet, Liverpool, St George's Hall
Mozart, Così fan tutte
Nazan Fikret, Hamida Kristoffersen, Héloïse Mas, Alexander Sprague, Biagio Pizzuti, Francesco Paolo Vultaggio ; Liverpool Philharmonic Orchestra/Laurent Pillot ; mise en scène Bernard Rozet

Oui, bon, quand on est à Liverpool en juillet le choix de spectacles est forcément limité ; j'évite en général de voir les opéras de Mozart trop souvent pour éviter l'accoutumance, mais après tout le cadre inhabituel de cette production pour jeunes chanteurs (hélas avec coupures, et sans chœur) méritait peut-être une exception. Cette production avait lieu dans un lieu assez inhabituel, le Concert Hall néoclassique construit dans les années 1850 au sein de cet étrange complexe qu'est le St George's Hall. L'espace scénique est limité, mais il est assez habilement utilisé pour une mise en place qui ne laissera pas nécessairement un grand souvenir, mais qui est beaucoup mieux que ce à quoi je m'attendais, ce qui est déjà un bon point (l'idée de modifier la donnée de départ en faisant que Fiordiligi aime déjà Ferrando et Dorabella Guglielmo est un moins bon point, mais on n'y fait à vrai dire moins attention). Mais l'essentiel, c'étaient les chanteurs, donc : je ne suis pas un grand découvreur de jeunes chanteurs et je ne sais pas trop prévoir les futures grandes carrières (je n'ai jamais compris comment certains mélomanes s'enthousiasment pour les concours et leurs lauréats, d'ailleurs), mais du moins j'ai trouvé l'ensemble très digne, avec un peu moins d'enthousiasme pour les hommes comme souvent un peu raides, et un peu plus pour Dorabella (Hamida Kristoffersen, donc) et Despina (Héloïse Mas).

10 juillet, Londres, Royal Opera
Strauss, Ariadne auf Naxos
Ruxandra Donose, Thomas Allen, Ed Lyon ; Karita Mattila, Roberto Saccà, Jane Archibald ; Antonio Pappano ; mise en scène Christoph Loy

Ariane à Naxos, c'est un peu la même chose : j'ai tellement vu cet opéra que je n'y vais qu'à condition que je puisse raisonnablement penser que ça en vaut la peine. Ce soir, c'était naturellement Karita Mattila qui suscitait mon attention, dans la production de Christoph Loy qui avait défrayé la chronique avec une affaire de "little black dress" qui avait occasionné (?) le renvoi de Deborah Voigt, décidément incapable de rentrer dans le costume prévu pour le rôle-titre (ladite "little black dress" n'a semble-t-il pas survécu, d'ailleurs, puisque Mattila est vêtue de manière beaucoup plus couvrante que ce qu'avait souhaité Loy).
Lorsque je vais voir un opéra sur une petite scène, mes attentes ne sont pas les mêmes que pour une grande scène, et il ne me paraît pas illégitime d'avoir à l'égard d'une maison comme le Royal Opera de hautes exigences. Disons-le tout de suite, Roberto Saccà reste en Bacchus nettement en-deçà de mes attentes, comme il l'était déjà dans les Maîtres-Chanteurs salzbourgeois (où il s'est d'ailleurs fait huer, je crois, à toutes les représentations) ; quand on a eu la chance d'entendre Kaufmann dans ce rôle, on a du mal à retomber sur terre avec ce chant prosaïque, sans élan et sans style. Autre performance qu'on ne devrait pas entendre dans une pareille maison : Ruxandra Donose (Compositeur), qui patauge dans son texte et dans ses notes avec un certain allant, mais le personnage en perd tout son charme juvénile ; c'est vraiment le Compositeur le plus moche que j'ai jamais entendu sur scène.
Heureusement, le reste est mieux. Comme souvent, les petits rôles s'en sortent plutôt bien, notamment l'inusable Thomas Allen en Maître de Musique, ou Markus Werba qui est abonné à Harlekin. Plus intéressante encore, la Zerbinetta de Jane Archibald est vraiment la meilleure de la soirée. Bizarrement, comme je l'avais vue à Munich dans une production créée par Diana Damrau, je m'attendais à entendre la voix de cette dernière, qui aura été en début de carrière une des plus belles promesses qui soient avant de devenir, pour moi, une des plus grandes déceptions (avec Petra Lang, peut-être). Heureusement, j'ai vite été détrompé : Archibald a une voix infiniment plus libre, plus expressive que Damrau ; et si on n'en est pas au degré absolu de maestria de la Dessay des grandes années, c'est vraiment très séduisant.
Mais l'élément-clef de la soirée, naturellement, c'était Karita Mattila pour ses débuts tardifs en Ariane. J'avais été déçu par sa Jenufa à Munich (on parle d'une des plus grandes chanteuses du monde, là, on peut avoir des attentes stratosphériques), son Ariane me convainc beaucoup plus. Le passage du temps est encore et toujours là, qui se voit par un manque de précision qui nuit notamment à la diction et oblige parfois à des détimbrages peu agréables, mais il y a vraiment une force expressive exceptionnelle dans cette voix si lumineuse et si chaleureuse en même temps. Quel dommage que cette Ariane ne soit pas venue un peu plus tôt, à la place de cette grosse erreur qu'aura été sa Tosca ! Mais quelle chance d'avoir pu l'entendre à Londres plutôt que de l'entendre se perdre la saison prochaine sur la scène de Bastille !
Reste à parler de la production et du chef. J'aurais un peu le même constat : joliment fait, globalement efficace, mais finalement superficiel et pas très personnel. Je n'ai jamais eu beaucoup d'estime pour Christoph Loy, mais c'est à peu près tenu à défaut d'être stimulant (et quelle sottise que cet entracte de 40 minutes qui casse tout !!!) ; à l'inverse, Pappano dont on fait un peu vite un immense chef d'opéra ne m'a pas paru très à l'aise dans cette partition : c'est professionnel et bien meilleur que le naufrage de Philippe Jordan à Bastille, mais il y a un côté très littéral et scolaire qui ne parvient pas vraiment à rendre compte de la singularité hybride de cette œuvre où le sublime n'a de place qu'à proximité immédiate du comique.
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