vendredi 29 août 2008

Das seltne Vöglein hier,/ horch, was singt es nur?

Juin 2006, Paris, Théâtre du Châtelet. Appareils photos en surchauffe, ovations, fleurs. Objet de cette émotion populaire, dans un théâtre surchauffé et bondé : une chanteuse sur la scène, Jessye Norman.

Elle vient de chanter, non sans un vrai caprice de diva (la climatisation du théâtre nuisant à sa voix, le spectateur se voit offrir une séance de sauna en plus du concert), Le Château de Barbe-Bleue de Bartók, mais c'est là négligeable anecdote.

Élément plus négligeable encore : de bout en bout, elle a chanté faux. Qui s'en est aperçu? Non qu'on soupçonne le public du Châtelet de ne pas connaître cette partition fondamentale : point du tout ; si l'on peut mettre ici le public - ou du moins la grande majorité des spectateurs qui m'entouraient - en accusation, c'est plutôt pour avoir fait passer le charisme de l'interprète au-delà de l'attention due à la partition.

J'ai cité ce concert comme j'aurais pu citer bien d'autres exemples, et les amoureux de Mme Norman sont priés de ne pas en prendre ombrage. Mais quand l'œuvre cesse d'être le centre du spectacle lyrique, et c'est très souvent le cas, pour n'être plus qu'un écrin pour les chanteurs, quand le spectateur perd tout esprit critique pour venir au spectacle manger ce qu'il connaît déjà, où est l'intérêt artistique du spectacle ? La première exigence du spectateur, sa première responsabilité aussi - car nous, spectateurs, sommes responsables de la qualité de notre réception autant que les artistes sur la scène sont responsables de leur prestation - doit être là : l'œuvre, avant toute chose, sans cesse questionnée, jamais acceptée comme une évidence. Peut-être certaines oeuvres du grand répertoire ne survivront pas à cette exigence, et tant mieux - il y en a tant qui non seulement y survivront, mais n'en sortent que grandies, plus fortes, plus complexes.


Titre : "Cet oiseau rare là-haut, écoute, que chante-t-il donc?" (Siegfried, acte II)

vendredi 22 août 2008

Il n'est pas sûr que la sagesse/ Suive toujours les cheveux gris

Eh oui. Qu'y peut-on ? C'est comme ça... On le sait, on le dit, on le répète ad nauseam, sans toujours le dire aussi brutalement : le public de la musique classique est vieux. On dit aussi qu'il vieillit (ce qui reste à prouver), et qu'il faut le rajeunir. Mais on dit tant de choses...
Bien que n'appartenant pas moi-même à la catégorie ainsi mise en avant des jeunes, vieux et quasi-retraités, je dois avouer que ce discours convenu m'agace au plus au point.
L'industrie musicale d'aujourd'hui s'adresse à un public unique : les jeunes. Emissions de télévision, grands concerts, presse y compris celle qui ne traîne pas dans le caniveau : tout tourne autour de ce public. Ensuite, quand le temps a passé, la plupart se détournent doucement de la musique, soit en continuant mollement à cultiver les émotions de leur jeunesse (il est encore, lyophilisés, des fans de Claude François...), soit en se dirigeant vers l'une ou l'autre des niches que, généreuse, la civilisation de la longue traîne réserve aux égarés - la musique classique en est une.
Quel public est le plus divers, celui de Tokio Hotel ou celui d'un concert de musique de chambre à la Cité de la Musique à Paris ? La réponse est évidente : il n'y aura certes pas beaucoup de très jeunes spectateurs au second, mais il n'y aura qu'eux au premier. La moyenne d'âge, logiquement, s'en trouvera bien inférieure, mais la diversité y est inexistante. Supposer que la jeunesse des uns leur donne une légitimité supérieure, d'une façon ou d'une autre, à l'âge plus avancé des autres, c'est là une conception un peu effrayante de la société.
Le problème des concerts et des opéras, en matière d'âge, ce n'est finalement pas les jeunes (dont on exalte, d'ailleurs, les goûts et les couleurs, tout en les croyant trop débiles, impatients, incultes pour suivre un opéra) : les efforts faits depuis deux ou trois décennies pour les amener vers la musique ont payé. Le problème, c'est la génération supérieure, celle des 30 à 45 ans : entre construction de la carrière professionnelle et enfants, la place pour une soirée à l'opéra est bien mince, et on ne comprend pas que les salles de spectacle ne s'organisent pas plus pour leurs besoins spécifiques - je connais un théâtre allemand qui propose une garderie pendant ses représentations du dimanche après-midi. À cela s'ajoute le caractère démagogique des réductions pour les jeunes: à 25 ans, on vous offre la 1ère catégorie à 10 ou 20 €; à 30, vous payez comme un cadre en fin de carrière, et comme on vous a habitué à des places de luxe, le décrochage peut être facile. Il y a là une catégorie à séduire pour la musique classique - mais cette catégorie est également celle qui décroche des autres types de musique...
Le public de la musique classique n'est pas jeune, et ne l'a jamais été. Quant à dire qu'il le sera un jour, on peut toujours rêver. Mais finalement, quand je vois qu'on parvient encore à faire venir mille ou mille cinq cents personnes pour écouter un pianiste ou un orchestre, dans un monde dont les valeurs sont à l'opposé des valeurs d'exigence et de recul critique qui sont celles de la musique et des arts, je me dis que ce n'est pas si mal, et quand je vois qu'il se trouve, dans ce public, pas si peu de gens plus jeunes que moi, je n'ai aucune inquiétude quant à la pérennité du monde musical tel que je l'aime. Tant pis pour les Drillon, les Lebrecht et autres pessimistes.

La citation en titre est issue de Cadmus et Hermione de Quinault et Lully.
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