vendredi 12 décembre 2008

Dictionnaire de la bêtise et des idées reçues

Cela faisait longtemps que l'idée trottait : à force d'entendre tant de bêtises sur la musique, à force, aussi, d'en dire parfois moi-même, je me suis dit qu'en faire un petit dictionnaire ne pouvait pas nuire. Vous n'en trouverez ici pour l'instant que quelques exemples, le temps me manquant pour cela comme pour tant de choses. Au fur et à mesure de l'ajout de nouvelles entrées, je publierai un message spécifique avec ces nouvelles entrées (pour peu qu'il y en ait assez) et j'actualiserai ce message-ci, qui sera donc la principale page de consultation dudit dictionnaire. Commençons...

Les renvois vers d'autres articles sont indiqués par un astérisque.


ALAGNA, ROBERTO - Ténor qui, quand il est hypoglycémique, ne trouve pas la sortie de la scène.

BAROQUE - Mode des temps modernes, qui est en train de s'essouffler, mais qui témoigne bien du mauvais goût contemporain. "Aujourd'hui on ne joue plus Cavalleria Rusticana ou Aida, il n'y en a que pour le baroque".

BIOGRAPHIE - Genre littéraire indispensable à la bonne compréhension de la musique. Tout le caractère de Mozart se retrouve dans sa musique.

CLAVECIN - Instrument dépassé que quelques fétichistes ont ressorti des greniers, alors que si les compositeurs de l'époque baroque* avaient connu le piano, ils ne se seraient pas privés. "Le clavecin, j'aime bien, mais pas plus de 5 minutes". "Bach au piano, ça sonne tellement mieux !"

GRAND (LE PLUS) - Mozart. Ou Bach. Ou Verdi. Ou Wagner. Ou Karajan. Ou Pavarotti. Ou Alagna. Ou Johnny.

HUÉES - Comportement inadmissible à l'égard d'artistes qui donnent tout. Les huées sont cependant admises et même souhaitées contre les metteurs* en scène, en tout cas les modernes, qui ne sont notoirement pas aussi sensibles que les chanteurs (et puis il suffit de lire des interviews de chanteurs pour voir à quel point les chanteurs comprennent en profondeur les œuvres qu'ils chantent).

MUSIQUE FRANÇAISE - Devoir sacré des salles de concert et des opéras de France, que de cosmopolites directeurs anti-français et idéologues interdisent au bon peuple de France. "On ferait mieux de jouer Auber ou Massenet plutôt que ces créations qui coûtent cher au contribuable et n'intéresse personne". La musique française est nuancée, délicate, pleine d'un goût exquis, alors que la musique allemande est lourde, prétentieuse, intellectuelle (ce qui est mal). "Il faut faire renaître le répertoire de l'opéra-comique, Auber, Messager, Reynaldo Hahn qui était un merveilleux musicien".
NB : le terme "musique française" ne s'applique qu'à la musique postérieure à 1800. La musique écrite par des compositeurs français avant 1800 est baroque*, ce qui est moralement condamnable et ne saurait donc être français.

METTEUR EN SCÈNE - Individu au profil psychologique chargé, qui prend un plaisir sadique à torturer les chefs-d'oeuvre du passé pour faire souffrir les honnêtes gens et vendre ses fantasmes comme des idées nouvelles. Est en général accompagné d'un autre individu douteux, le "dramaturge". "Aujourd'hui, on ne dit plus le Don Giovanni de Mozart, on ne dit plus que le Don Giovanni de Hanecke".

OREILLE ABSOLUE - Faculté qu'ont certains individus d'entendre la justesse des notes non seulement dans leur contexte, mais également sans comparaison avec une référence (diapason...). "J'ai l'oreille absolue, et je peux vous dire que ce que jouent les baroqueux, c'est totalement faux". "Quand on n'a pas l'oreille absolue, on n'a pas à critiquer la justesse d'un chanteur".

STAR - Aujourd'hui, le monde de la musique classique ne saurait se passer du recours à des stars. Les stars apportent un peu de prestige et de joie dans un monde qui en manque tellement. "Placido Domingo n'a plus de voix, mais c'est une star, quel bonheur de le voir encore chanter à son âge". "Les stars font venir de nouveaux publics à l'opéra, on a tort de les critiquer". "Renée Fleming est une grande star, alors qui êtes-vous pour oser la critiquer".

jeudi 4 décembre 2008

À quoi sert la mise en scène ? (4) - L'extase et la lucidité

Parmi les qualités qu'on ne manquera pas de reconnaître à Gerard Mortier, le directeur de l'Opéra de Paris, figure certainement la capacité à stimuler la réflexion, que ce soit à travers des productions fortes comme ce fameux Parsifal mis en scène par Krzysztof Warlikowski ou à travers quelques échecs parfois désolants. L'affiche de la maison, en cette fin d'automne, était dans ce domaine particulièrement significative.
D'un côté l'ultime reprise de la très coûteuse production de Tristan und Isolde de Wagner vu par Bill Viola et secondairement Peter Sellars, constituée en une vidéo continuelle sur un écran disposé au tiers de la profondeur de la scène, un peu surélevé, avec les chanteurs agissant donc uniquement sur le tiers libre de la scène, dans une quasi-pénombre.
De l'autre, le Fidelio mis en scène par Johan Simons : une production aux lignes claires, qui ne démontre rien, ne cherche pas à faire le spectacle, et exige donc toute l'attention du spectateur, mais livre un spectacle d'une grande lucidité, dur et âpre malgré la lumière constante qui baigne la scène.

Ces deux productions ont été voulues, et soutenues, par Gerard Mortier, dont le sens acéré du marketing a su faire qu'elles fassent l'événement. Deux productions en apparence également modernes, peu faites pour plaire aux traditionalistes adeptes de la reconstitution fétichiste, a fortiori pour Fidelio, Johan Simons ayant commis le crime (imaginaire) de remplacer les dialogues par des textes de liaison (excellents) et de mêler différentes versions de cette partition multiforme à laquelle Beethoven n'a jamais su donner une forme dramatique satisfaisante. Mais laissons ces ayatollahs à leurs certitudes.

Ce qui est intéressant là-dedans, c'est que malgré tout cela ces productions partent d'un esprit totalement différent. Bill Viola s'est en quelque sorte laissé envahir par la musique, beaucoup plus que par la dramaturgie de l'œuvre, qu'il ne connaissait pas même de loin avant de s'y attaquer. Il en a tiré une sorte d'impression générale qui lui inspire des images planantes ignorant totalement le rythme propre de l'œuvre, et plonge le spectateur que la niaiserie de cette spiritualité zen bas de gamme ne révulse pas dans une sorte d'état de transe.
La mise en scène de Simons, c'est tout l'inverse : d'abord parce qu'au contraire de la fuite du monde, dans les délices fallacieuses d'une spiritualité galvaudée, qui caractérise le spectacle de Viola, c'est à l'intelligence du spectateur, au spectateur comme conscience éveillée, qu'il s'adresse.

Entre cette lucidité presque douloureuse et cette extase sans contenu, j'ai depuis toujours choisi mon camp. Le spectacle de Simons ne donne pas ses clefs gratuitement, et certains passent à côté de ce travail qu'ils voient comme un minimalisme un peu vain : c'est au quotidien que s'intéresse son travail, en parfaite conformité avec la trivialité étrange du début de l'oeuvre. Dans ce quotidien, si on veut bien faire quelque effort, on sent vite poindre l'horreur, cette horreur du monde carcéral - que la France, autoproclamée pays des droits de l'homme mais championne des prisons insalubres et traitements dégradants, ne connaît que trop bien, surtout ces dernières années. Ce spectacle nous concerne tous.

Pour parler de la musique de Puccini, Mortier n'hésite pas à dire qu'elle est d'essence fasciste : je réprouve sans restriction ce recours malvenu au vocabulaire politique, mais je comprends ce qu'il veut dire : cette idée d'une communication émotionnelle, qui s'enorgueillit de court-circuiter l'intelligence et la conscience individuelle de ceux à qui elle s'adresse; l'idée d'un entraînement collectif où le plaisir est de perdre toute volonté, toute conscience individuelle. C'est cette même idée que je retrouve dans le spectacle de Viola.

Un autre spectacle remarquable de l'ère Mortier passe à la télévision (française) le 29 décembre, cette Traviata mise en scène par Christoph Marthaler, glacée et tragique, qui dans cette volonté assez nouvelle à l'opéra de prendre au sérieux des oeuvres souvent trop bien connues, de s'intéresser aussi en profondeur à leur livret, n'est pas sans similitudes avec le travail de Simons...
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