lundi 11 juin 2007

La révolte des tutus


J'aime passionnément la danse contemporaine. Si je jette un regard rétrospectif sur la saison en cours du Théâtre de la Ville - institution de référence dans ce domaine à Paris -, j'y vois une liste de bonheurs : Michèle Anne de Mey, Win Vandekeybus, Anne Teresa de Keersmaeker, le duo Montllo Guberna/Seth, Joëlle Bouvier. La France, en ce domaine, est très riche, avec le réseau des CCN (Centres Chorégraphiques Nationaux) et des scènes nationales : souvent centrés autour d'un seul chorégraphe, ils sont en réalité financés essentiellement par les collectivités locales et ont pour défaut principal qu'ils n'apportent pas beaucoup de variété aux spectateurs locaux, qui peuvent avoir l'impression qu'ils essuient les plâtres avant l'apothéose qu'est la venue à Paris; mais foin du mauvais esprit, ces lieux de création sont une richesse exceptionnelle.

La situation, hélas, n'est pas la même en danse classique. Bien sûr, il y a l'institution de référence qu'est le ballet de l'Opéra, ses cent cinquante formidables danseurs, son Lac des Cygnes merveilleux (cf. la couverture du DVD récent tout aussi formidable et merveilleux), son ouverture au contemporain, etc., etc. En tant que Parisien, je ne devrais donc pas me plaindre.
Mais on entend déjà les ballettomanes se plaindre: oui, mais le ballet de l'Opéra ne danse plus assez son répertoire, on emploie les danseurs dans des choses où leur formation et leur niveau n'est pas employé, etc.
Tout cela n'est pas faux, et même assez vrai. Mais il s'agit là d'une mauvaise stratégie. Ce qui est affolant aujourd'hui, c'est qu'au delà de ses défauts le Ballet de l'Opéra est le seul en France à conserver le répertoire classique et à le porter au public. Cela va bien à la centralisation française: si vous voulez voir le Lac, "montez" à Paris. En 2007/8, Toulouse programme un Don Quichotte et beaucoup de Balanchine mais avec en tout et pour tout trois programmes sur une saison, Bordeaux propose en tout trois programmes également dont deux classiques revus par l'étoile Charles Jude. Et ailleurs ? Rien. On a vu le virage contemporain de Nancy ou de Marseille.
On nous parle beaucoup de démocratisation de la culture: c'est là qu'elle devrait débuter, cette démocratisation, par amener les oeuvres aux citoyens là où ils se trouvent. Bien sûr, il est toujours possible au provincial de venir à Paris, mais à quel prix? Là où il doit prendre le train, réserver un hôtel, se battre avec l'administration de l'Opéra pour conquérir une place, je n'ai qu'à passer au guichet le bon jour et, le soir du spectacle, à partir de chez moi une demi-heure avant l'heure, tout juste si je n'y vais pas en pantoufles. Où est la justice?
Il faut donc créer, et soutenir, des troupes de danse classique, ouvertes sur le monde et la création contemporaine mais attachées à ce patrimoine classique. Peut-être en faudrait-il six ou sept, qui seraient chargées de tourner dans toutes les villes disposant d'un théâtre ad hoc (il n'y en a pas tant que cela!); dans leur financement, les collectivités locales auraient une large part, mais il faudrait que l'Etat s'investisse fortement - quitte à demander, légitimement, à la Ville de Paris de participer à celui de l'Opéra.

Il le faut, mais cela sera-t-il ? Avec la ministre actuelle, Ministre des situations acquises, Ministre de l'air du temps, Ministre du Mécénat content de lui, on peut en douter.
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