mardi 27 mars 2007

Des vertus de la polémique

Cela va finir par devenir une spécialité de la Comédie-Française, qu'on aurait tort de croire paisiblement endormie sous les arbres du Palais-Royal. Petit rappel des faits pour ceux qui ne suivent pas:
-Printemps 2006: l'administrateur (=directeur) de la maison, Marcel Bozonnet, déprogramme la pièce de Peter Handke que devait donner la troupe, en raison de la sympathie pour Milosevic affichée par son auteur;
-Eté 2006: le même Marcel Bozonnet se voit brutalement privé du prolongement de son mandat qui lui avait été assuré par le ministre (dont l'inélégance n'étonnera personne); il est remplacé par une actrice de la maison, Muriel Mayette, qui y avait fait aussi plusieurs mises en scènes dont certaines bonnes. (à titre personnel, je ne regretterai pas M. Bozonnet, mais là n'est pas la question). Des journaux comme Le Monde, qui n'ont rien à faire en cette période estivale, consacrent à l'affaire un certain nombre d'articles.
-Printemps 2007: la polémique fait rage entre la même Muriel Mayette et le frère-héritier de Bernard-Marie Koltès, au sujet d'une question de détail sur la distribution d'un rôle dans Le Retour au désert : un personnage arabe doit-il forcément être interprété par un acteur arabe? La pièce est donc menacée de retrait de l'affiche, la Comédie-Française ne disposant que d'un contrat pour 30 représentations.

Je ne prendrai pas plus avant position sur ces débats, en tout cas ici; mais je ne cacherai pas mon plaisir devant ces quelques soubresauts. Bien sûr, je me réjouis bien plus des succès de cette institution qui, pour moi, veut toujours dire quelque chose (comme le Cyrano de Bergerac remarquable qui continue encore et toujours à faire salle comble). La culture objet de polémique, même restreinte à quelques journaux parisiens, cela n'est pas si anodin.
La conception dominante actuelle, y compris chez de nombreux critiques, est que la culture, ce n'est au fond qu'une forme un peu plus noble du divertissement et qu'au fond l'essentiel c'est qu'on passe une bonne soirée (ce qui est aussi l'argument-roi des vendeurs de soupe à la manière TF1). Je suis sûr que j'aurai encore bien d'autres occcasions de dire que cette conception n'est pour moi pas même discutable. Si la culture n'est rien d'autre que du divertissement, si l'opéra, la musique, le théâtre ne sont que des moyens d'occuper sa soirée pour spectateurs un peu plus fortunés qu'ailleurs, à quoi bon les subventionner? S'il faut défendre la culture, ce n'est pas simplement parce qu'on aime ça (évidemment, la culture est morte sans le plaisir), mais parce qu'elle fait sens, parce qu'elle est un reflet critique de la société - qu'elle est donc, évidemment, totalement politique*. La culture endormie, non soumise au débat, ça ne sert à rien; même si les postulats des trois débats évoqués ne sont pas forcément des plus profonds, ils ont au moins le mérite de perturber les rouages bien huilés de la culture institutionnelle. Et les intellectuels, Dieu merci, c'est à ça que ça sert: perturber.

*Ce n'est pas parce que nous sommes en période électorale que vous me ferez l'injure de croire que je veux parler de jeux de partis ici. La politique, c'est l'art d'organiser la vie en commun, c'est donc une composante éternelle et consubstantielle de toute société; le jeu des institutions et des partis n'en est que la matérialisation contingente, d'ailleurs indispensable et pas si sale qu'on le croit.

Informations

Quelques informations diverses sur ce blog:
-Vous remarquerez que j'ai commencé à répondre aux commentaires, ce que je vais continuer à faire; ce qui me gêne est que les commentaires sont presque invisibles; cela n'empêche pas que je les lis, et que cela m'intéresse beaucoup et que je suis tout prêt à ouvrir tous les débats! Je préfère néanmoins quand les commentaires sont plus ou moins signés (par exemple d'un pseudo)...
-Ce blog est destiné à s'enrichir de photos, principalement des salles où se déroulent les manifestations que je commente; il s'agira de photos prises par moi, et illustrant souvent des aspects moins connus des salles en question (pas le spectacle lui-même: prendre des photos dérange les spectateurs et éventuellement aussi les artistes). Cela risque fort de commencer avec le spectacle de Kabuki actuellement à l'affiche à Garnier.

jeudi 22 mars 2007

... et un théâtre renaît

Foin du pessimisme: tandis que le Châtelet coule, l'Opéra-Comique, après avoir touché le fond sous la direction d'un vendeur de soupe autosatisfait, vient de présenter une nouvelle saison qui répond largement à ce qu'on était en droit d'espérer de Jérôme Deschamps, homme de théâtre inventif et minutieux (c'est un compliment - les Deschiens auxquels on le réduit souvent en étaient le signe, avec un travail sur la langue, sur les modes de communication, sur les relations entre individus d'une qualité et d'une profondeur qu'on aimerait bien voir de temps en temps dans les théâtres "d'art").

Commençons pourtant par deux inquiétudes:
-la saison ne commence qu'en décembre; espérons que seuls les réglages de cette première saison soient la cause de ce retard, et que les pouvoirs publics ne se soient pas rendus coupables une fois de plus d'avarice;
-les tarifs: il est très bien de limiter le prix des premières catégories à moins de 100 euros; mais il est regrettable que cette modération entraîne un tarif peu dégressif pour les catégories suivantes, ce qui est d'autant plus gênant que la visibilité dans cette salle n'est pas excellente.

Pour le reste, la programmation est structurée autour de 5 spectacles lyriques allant du XVIIe siècle à la fin du XXe, ce qui nous assure après de longues années de disette pas moins de 2 Lully à Paris en une seule saison: Thésée au Théâtre des Champs-Elysées et le merveilleux Cadmus et Hermione à l'Opéra Comique. Le XIXe siècle est représenté par deux raretés françaises, L'étoile de Chabrier et Zampa de Hérold, le XXe par Porgy and Bess de Gershwin (certainement pas le plus indispensable de cette saison) et Roméo et Juliette de Dusapin. Chacune de ces productions est accompagnée d'une série de concerts, voire de spectacles scéniques de dimension réduite.

Mais le plus important est sans doute ici que les structures de production apparaissent particulièrement raisonnables et, à ce titre, durables: presque tous les spectacles sont coproduits, et l'Opéra-Comique accueille la production annuelle de l'Académie Baroque d'Ambroay, Le Carnaval et la Folie de Destouches: pendant plusieurs années, Paris n'avait pas été capable d'attirer ces productions en version scénique, ce qui leur retirait beaucoup d'intérêt. On ne peut qu'engager Jérôme Deschamps à continuer une telle politique, à fonctionner le plus possible en réseau avec des opéras de toute la France, à ouvrir sa maison aux productions légères qu'on voit tourner un peu partout en France... Une sorte de développement durable adapté au monde lyrique!

Amis lecteurs, donnez une chance à cette nouvelle structure: à quoi bon retourner voir une Xième fois la médiocre Tosca de Bastille? A quoi bon s'énerver devant la Traviata misérabiliste de Christoph Marthaler qui va être créée bientôt à Garnier? Ouvrez les yeux, ouvrez les oreilles: vous ne perdrez rien, dans le monde lyrique, à sortir des sentiers battus, y compris (voire surtout) si vous êtes débutants ou si vous ne voyez qu'un ou deux spectacles par an!

lundi 19 mars 2007

Le Châtelet aux mains d'un amateur

Jusqu'alors, les directeurs du Châtelet avaient toujours été nommés par des maires de droite; Stéphane Lissner n'en avait pas moins pu mener une politique innovante et intelligente. Jean-Pierre Brossmann avait poursuivi cette politique, non sans l'infléchir en direction d'un public plus branché que cultivé, plus bourgeois qu'intello, et avec quelques ratages mémorables (le plus inoubliable étant sans doute le naufrage du Ring). Pour la première fois, le directeur actuel du Châtelet, Jean-Luc Choplin, a été nommé par un maire de gauche; on pouvait donc espérer une politique à la fois exigeante et tournée vers un public plus large.

Cela fait déjà longtemps qu'on a déchanté. D'abord parce que la Mairie de Paris n'a pas mis les moyens nécessaires, jugeant que l'Etat en faisait assez: M. Choplin a beau jeu d'accuser Brossmann d'avoir laissé un déficit important, le problème n'est en réalité pas là. Ensuite parce que M. Choplin a été nommé avec un mandat clair: remplir les salles. De ce point de vue comme du point de vue strictement artistique, la réussite n'est pas là, c'est une évidence: un spectacle racoleur et terne (Le Chanteur de Mexico), un Rossini triste comme la pluie, une belle production d'une opérette un peu superficielle (Candide), jointe à deux projets de son prédécesseur (Les Paladins dont j'ai déjà dit ce que je pense et le nouvel opéra, toujours aussi prétentieux, de Pascal Dusapin); très peu de concerts, et encore moins de concerts de qualité; et en danse une tournée d'une troupe de second ordre qui n'a pas convaincu grand-monde (pas moi en tout cas). A part l'application du programme électoral de Jean-Marie Le Pen en 2002* (défendant le retour de l'opérette), on ne voit pas la ligne directrice là-dedans...

Et voilà maintenant qu'il apparaît qu'en plus d'avoir des idées douteuses, M. Choplin est un amateur incapable de mettre en oeuvre les saisons qu'il programme. Les deux spectacles phares de la fin de saison sont en effet gravement modifiés: Sandrine Anglade éjectée de la production de Carmen pour des raisons douteuses (et avec la manière: licenciement pour "faute grave", rien de moins - artiste, vos papiers!); Monkey Journey to the West, opéra-world-music-bonne-conscience repoussé à la saison prochaine, "en raison de difficultés techniques"... Bien sûr, il n'y a pas que le Châtelet dans la vie, mais quel dommage!

Il est logique, dans ces conditions, que M. Choplin tarde à annoncer sa nouvelle saison, et qu'il semble qu'aucune conférence ouverte au public ne soit prévue à cette occasion; celle de l'an passé s'était semble-t-il déjà mal passée, on ne sait comment pourrait se passer celle-ci...

*On peut aller lire celui de 2007: magnifique exercice de langue de bois, consensuel (sauf l'inévitable "préférence nationale"...) et complètement creux... On ne sait pas si la culture est de gauche ou de droite (encore que...), mais on est sûr qu'elle n'est pas d'extrême-droite!

samedi 17 mars 2007

Haendel s'ennuie

On m'assure que la première du nouvel Ariodante de Haendel au Théâtre des Champs-Elysées a été moins huée que celle du Jules César du début de saison. On croit rêver: là où Irina Brook avait livré un travail certes discret mais fin et intelligent, on se retrouve avec Lukas Hemleb avec une production certes peut-être précédée d'un long et profond travail dramaturgique, mais qui n'en laisse pas moins une impression de paresse et d'uniformité totale.
Lukas Hemleb, certes, avait fait tout ce qu'il pouvait pour, surtout, ne pas choquer le public; en dehors d'une chorégraphie ridicule*, tout cela est bien blanc, bien propre, bien sage (du moins quand le décor ne se grippe pas lors de l'une de ses inutiles métamorphoses), et sans doute il y a en partie réussi, dès lors qu'on ressort surtout avec l'impression d'avoir entendu une version de concert; dommage qu'Ariodante ne soit certainement pas le meilleur opéra du Saxon. Sous la direction intelligente de Rousset, on a tout de même eu le plaisir de revoir Vivica Genaux parfaitement à l'aise dans son rôle de méchant, la toujours étrange et intéressante Danielle De Niese et une agréable Dalinda (Jaël Azzaretti); quel dommage que le rôle-titre ne soit qu'un prétexte pour Angelika Kirchschlager, en pleine tournée promotionnelle, qui vient se faire applaudir mais ne s'abaisserait pas à s'investir un peu dans son rôle!

Mais au fond tout ceci est mieux que ce qu'il m'a fallu subir au Conservatoire (CNSMDP) avec Alcina mis en scène par Emmanuelle Cordoliani, qui enseigne l'"art lyrique" aux étudiants et s'attribue qui plus est les mises en scène du spectacle lyrique annuel (l'an prochain Don Giovanni...). Dans un lieu où j'ai vu un des plus beaux spectacles d'opéra de ma vie (Le Couronnement de Poppée mis en scène par Jean-Claude Berrutti) [mais aussi une atroce Flûte mise en scène par... Lukas Hemleb], j'ai donc dû subir un premier acte hystérique, entraînant aussi bien chanteurs que (pléthoriques) danseurs dans une espèce de danse de Saint-Guy qui ne laisse aucune chance à la musique; par la suite heureusement les choses se calment, mais l'ensemble donne une impression d'amateurisme qui inquiète pour la formation scénique de nos jeunes chanteurs (dont on retiendra notamment Clémentine Margaine, Bradamante, et Isabelle Druet, Ruggiero).

*J'ai souvent l'impression que les metteurs en scène donnent trop de libertés à leurs chorégraphes en oubliant de leur donner les moyens d'intégrer leur travail dans la production d'ensemble...

mardi 13 mars 2007

Voleurs !

Lors des deux concerts du Philharmonique de Berlin à la salle Pleyel au début de ce mois, les spectateurs n'ont pas pu échapper aux grandes tables sur lesquelles était disposé un océan de billets. Ces tables étaient siglées Deutsche Bank, mécène de la tournée, qui avait sans doute payé fort cher pour ces places.

Mais l'argent est-il suffisant pour assurer la légitimité des spectateurs invités par cette entreprise? Pour moi, la réponse est non, et ces spectateurs sont des voleurs (sans parler de ceux qui ne se sont pas même déplacés, laissant ainsi quelques places vides dans un concert par ailleurs à guichets fermés). Sans doute, dans cette plèbe, y a-t-il quelques mélomanes sincères, ou quelques novices animés d'une vraie curiosité. Ceux-là, bien sûr, sont les bienvenus, et je souhaite chaleureusement aux seconds la meilleure découverte possible.

Le problème, c'est les autres, ces éternels invités, venus plus pour le cocktail que pour la musique, les mêmes que ceux qu'on retrouve à l'AROP*, et qui semblent, invariablement, s'ennuyer à toutes les manifestations auxquelles ils daignent accorder leur bienveillante présence. On aura d'autres choses à leur reprocher, notamment leur incapacité à se tenir tranquilles, à ne pas tousser, renifler, agiter des bracelets aussi brillants que bruyants ou fouiller inlassablement dans leur sac à main.

Mais le crime initial de ces gens-là, dans un concert à guichets fermés, c'est bien le vol de places. Le mécénat, qu'on loue tellement dans le monde de la culture aujourd'hui, n'est pas un bienfaiteur mais une sangsue de la culture, qui aspire sa légitimité et son prestige pour faire sa propre publicité, et qui plus est donne aux pouvoirs publics un prétexte pour se désengager.

*Association pour le Rayonnement de l'Opéra de Paris, qui est principalement organisateur de cocktails et accessoirement un mécène particulièrement obtus et envahissant dudit Opéra, qui n'a vraiment pas besoin de lui pour rayonner. Il faut toujours éviter les soirées AROP (galas+soirées d'abonnement), à cause du brouhaha qui les caractérise.

jeudi 8 mars 2007

Salles (2): Munich, Nationaltheater

Institution
Munich, Bayerische Staatsoper (Opéra National de Bavière)
Utilise aussi le Prinzregentheater loué quelques semaines par an.

Description matérielle
Théâtre à l'italienne de 2101 places, avec un parterre et 5 étages de balcon. Il existe une Mittelloge, ex-loge royale, et quelques loges d'avant-scène; le reste est donc construit sans loges, et le Nationaltheater est ainsi le plus ancien théâtre d'opéra construit de cette façon.
Depuis sa construction vers 1820, la salle a été reconstruite deux fois, une première fois après un incendie, la seconde après les bombardements de 1943. Cette dernière reconstruction n'a été entreprise qu'après une décennie d'hésitations, si bien que le bâtiment n'a rouvert qu'en 1963.
A cette occasion, le théâtre a été pourvu d'une machinerie ultramoderne, qui comme il se doit ne marchait pas (ah bon, ça vous fait penser à Bastille ?); après plusieurs années de travaux, les choses sont rentrées dans l'ordre. Pour un Parisien, une chose marquante est l'escamotage total des projecteurs, habilement dissimulés.

Programmation
Opéra, danse (Ballet National de Bavière, classique et contemporain), concerts symphoniques
Environ une quarantaine de spectacles différents chaque année, dont 5 ou 6 nouvelles productions; mélange de productions très contemporaines et de vieux classiques parfois à bout de souffle (moins d'1/4 des productions), avec en tout environ 350 représentations par an (dont 1/5 de ballets).
Constitue donc l'exemple idéal d'une maison de répertoire, qui montre qu'un système de production industriel n'est pas contradictoire avec une haute qualité.

Placement
Théâtre à l'italienne, donc évidemment visibilité moyenne à basse sur les côtés; les balcons sont suffisamment peu profonds pour qu'il n'y ait pas de problèmes acoustiques en fond de balcon.
Places debout: les meilleures sont au 2. Rang centre, et sont vraiment très bonnes; ensuite on finit évidemment avec des choses où on ne voit vraiment rien!
Enfin, attention aux places latérales au parterre: devant, on perd une partie de la scène; derrière, on perd les sous-titres!

Laissez les morts dormir en paix

Gerard Mortier, en montant La Juive de Halévy à l'Opéra Bastille, voulait sans doute entamer la résurrection d'un répertoire oublié. Hélas, dans le cas présent, c'est plutôt d'une violation de sépulture qu'il s'agit.
Non que l'équipe artistique se soit montrée indigne: on regrettera la direction d'acteurs inexistante et le manque de point de vue de Pierre Audi, mais on saluera la beauté du décor qui doit certainement renvoyer aussi à l'époque de la création de l'oeuvre; la distribution, si l'on oublie le cas problématique du rôle d'Eléazar (un Chris Merritt malade valant bien cent Neil Shicoff en bonne santé), tient bien son rang, de la froide virtuosité d'Annick Massis à l'efficacité discrète d'Anna Caterina Antonacci.
Le problème, évidemment, c'est l'oeuvre: gros succès au XIXe siècle, elle a fini par tomber dans un oubli que quelques tentatives discographiques inabouties n'ont guère atténuées. Créée en 1835, elle n'aura eu besoin que d'une cinquantaine d'années pour atteindre sa 500e représentation à l'Opéra; mais dès ce 1er décembre 1886, son déclin est largement amorcé, puisqu'il faudra attendre encore près de 50 ans pour atteindre sa 562e et dernière représentation, en 1934.
On se demande bien pourquoi une oeuvre si médiocre a pu ainsi tenir longtemps le haut de l'affiche - d'un certain côté, c'est là le seul intérêt de cette reprise.
Fondé sur un argument historique assez fortement fantaisiste, le livret est d'une pauvreté littéraire et dramatique confondante et exhale une forte odeur d'antisémitisme, bien loin de l'hymne à la tolérance que Mortier veut y voir à toute force*. Musicalement, c'est le degré zéro de la réflexion sur les structures du spectacle dramatique, et l'invention mélodique se limite à quelques ritournelles faciles qu'on peut continuer à chantonner longtemps après.
La question qui se pose ici est de savoir pourquoi ce spectacle, avec sa médiocrité scénique et musicale, a eu encore cette fois un certain succès (malgré les nombreuses places vides dans la dernière partie...) auprès du public. Quelques pistes:
-l'inculture d'une bonne partie des lyricomanes, qui connaissent tout sur l'opéra ou plus précisément sur les chanteurs mais ignorent tout des autres arts (à commencer par le théâtre) et peuvent donc facilement prendre des vessies pour des lanternes (je pourrais citer d'autres compositeurs);
-L'attitude consumériste du public, qui mange ce qu'on lui apporte sans se poser de questions, l'Opéra devenant une sorte de TF1 pour riches (pourquoi aller voir sur les autres chaînes?); les abonnements tradition, qui se renouvellent tout seuls, n'étant pas là pour améliorer la situation);
-L'efficacité du marketing à la Mortier: bien sûr, 95% du public n'avait jamais entendu une seule note de cet opéra (non, pas même Rachel quand du seigneur) et n'avait aucune raison de se précipiter au seul nom de cet opéra; ce qui est frappant, c'est que ce marketing marche aussi très bien sur les lyricomanes qui n'ont de cesse de honnir ledit Mortier: l'arroseur arrosé en quelque sorte!

* Eléazar dit ainsi (acte II): Je tremblais que cette femme/ ne surprit tous mes secrets/ et je maudissais dans l'âme/ tous ces chrétiens que je hais/ Mais pour moi plaisir extrême/ Et quel heureux avenir,/ Ces bons écus d'or que j'aime/ Chez moi vont donc revenir!
On remarquera la richesse de la versification, mais surtout les stéréotypes typiques de l'époque. Quant à la noble et douce Rachel, tout son personnage s'explique par le fait qu'elle est en réalité chrétienne de naissance: c'est pour cela que contrairement à Eléazar elle se laisse émouvoir par Brogni (son vrai père) dans l'acte I, c'est pour cela qu'elle court ainsi au sacrifice à la fin...


Pour finir, quelques mots sur le DVD de La Juive sorti il y a quelques années chez Deutsche Grammophon:
La production montée par Günter Krämer à l'Opéra de Vienne avait été un moment important de la timide carrière moderne de cet opéra, dont on espère une fin rapide. Un enregistrement sonore avait été publié (chez Sony, je crois); en voici maintenant une trace vidéographique.
Hélas, cette captation a été réalisée en une seule prise lors d'une reprise, avec des interprètes en partie différents. Cela nous vaut un nombre de maladresses de réalisation étonnant, les plus belles étant la quinte de toux d'une choriste asiatique et une image montrant un des retours vidéo... Plus gênant, la reprise a visiblement été précédée d'un nombre de répétitions insuffisant (cf. ce que je disais sur la reprise du Don Giovanni de l'ONP...), si bien que certains interprètes semblent mal à l'aise: c'est le cas du caverneux Walter Fink (Brogni), qui ne sait pas son texte, ou de Krassimira Stoyanova (Rachel), qui chante convenablement mais n'a qu'une idée assez vague de ce qu'on attend d'elle du point de vue scénique. Ce ne serait pas si grave si ce n'était le cas général des reprises à Vienne!
L'autre problème, d'une toute autre nature, est celui de Neil Shicoff, qui a fait du rôle d'Eléazar une sorte de cause sacrée qu'il défend dans le monde entier. Il le défend, certes, mais le chante-t-il? Est-ce encore chanter un rôle que de renier ainsi la prosodie, le rythme, la justesse, la diction? On ne comprend rien, et la musique elle-même n'est pas respectée.
C'est cette faiblesse-là, jointe à une direction anonyme, qui disqualifie ce DVD dont le seul intérêt est de donner une connaissance de base de l'oeuvre. Et, sans doute, de s'épargner ainsi les 4 trop longues heures du spectacle de Bastille.
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