mardi 1 janvier 2008

L'héritage Noureev à l'Opéra (1)

Que Rudolf Noureev ait été une figure majeure de l'histoire du ballet de l'Opéra de Paris ces dernières décennies, que le répertoire qu'il y a constitué soit le coeur du répertoire classique de l'Opéra, que par ce répertoire comme par les danseurs qu'il y a formés ou influéncés il continue à influencer en profondeur l'identité même de la troupe, toutes ces évidences peuvent difficilement être niées. Ses successeurs ne sont guère parvenus à modifier le tableau, que ce soit Patrick Dupond luttant contre cet héritage sans avoir le temps d'y changer grand-chose ou Brigitte Lefèvre plus soucieuse de le faire fructifier que d'y changer grand-chose. Parmi ses prédécesseurs, il faut remonter à Serge Lifar pour trouver une figure d'égale ampleur, voire plus importante encore : mais des décennies de négligence de ce répertoire font de son sauvetage une mission presque impossible.
Noureev est mort il y a quinze ans maintenant; il est sans doute temps de réfléchir à ce que son héritage signifie pour nous aujourd'hui, et à la manière dont cet héritage peut - doit - être dépassé pour que cette compagnie, à la fois classique et contemporaine, évolue.
La place de Noureev à Paris n'est au fond pas si différente de celles qu'occupent, ou du moins occupèrent, d'autres chorégraphes dans d'autres compagnies, de Frederic Ashton à Londres à Youri Grigorovitch au Bolchoi : la particularité de Noureev est d'une part que sa carrière de chorégraphe est restée secondaire par rapport à sa carrière de danseur, d'autre part que Paris, où son empreinte est la plus forte, n'est qu'une étape dans son parcours plus qu'un port d'attache durable.
Jetons un oeil sur les ballets que Noureev a laissés à l'Opéra de Paris : ceux qu'il a créés de toute pièce, comme Manfred ou Washington Square sont tombés dans un oubli apparemment définitif, et les deux ballets de Prokofiev, en particulier Cendrillon, mériteraient bien de les y rejoindre; il continue en revanche de régner en maître sur les ballets issus de l'école russe de Marius Petipa: non seulement Lac des Cygnes, Bayadère ou Belle au bois dormant continuent à assurer des taux de remplissage plus que confortables, mais encore aucun nouveau ballet d'après Petipa n'a été remonté par la maison depuis que Noureev, au cours des années 1980, s'est mis en tête de constituer à la troupe un répertoire qu'elle ne possédait qu'en partie.
Il y a beaucoup de bonnes raisons à ce maintien des versions de Noureev au coeur du répertoire de l'Opéra. La poésie et l'intelligence du Lac est ainsi bien préférable à la routine mortifère des troupes russes (le Bolchoi ayant le front de prétendre danser la version originale de Petipa, simplement remontée par K. Sergeev en... 1950!); il n'y en a guère, à l'inverse, pour la manière dont la troupe parisienne néglige l'évolution et l'enrichissement de son répertoire classique. Quand le Français Pierre Lacotte remonte La fille du Pharaon, c'est au Bolchoi qu'il le fait; et Paris se tient fièrement à l'écart des reconstitutions de l'un des plus excitants de ces ballets romantiques remontés par Petipa pour le public russe, Le Corsaire. Que La Sylphide ou Giselle, les deux plus célèbres ballets du romantisme français, aient l'audace de plaire au public sans porter la signature de Noureev ne semble pas un argument suffisant : on préfère se laisser contaminer par d'autres influences, par exemple le vent d'Outre-Manche qui conduit Mme Lefèvre à inviter un escroc à la mode, Wayne McGregor, pour régler un show prétentieux et sans âme...
Une telle attitude n'est pas sans risque : fussent-elles l'oeuvre d'un chorégraphe génial, les versions de ballets classiques vieillissent toutes. L'Opéra se réveillera-t-il un matin tout ébaubi de ne se retrouver que face à des spectacles fatigués, sans lustre et sans charme, qui n'attireront plus personne ? Le danger, à vrai dire, paraît lointain ; mais une fois le mal fait, la pente sera longue à remonter.

À SUIVRE...
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