jeudi 17 septembre 2009

Encore Mireille

J'ai développé d'une façon différente mes réflexions sur le spectacle d'ouverture du mandat de Nicolas Joel, après un premier message plus construit mais moins développé sur ce blog, sur le forum ODB auquel je reste fidèle, vu les crises à répétition dont sont victimes les forums lyriques (la déchéance d'Opera Giocoso, un moment beaucoup plus sympathique, est particulièrement triste - une relance un peu tabula rasa récemment va peut-être changer les choses). Comme je suis écologiste dans l'âme, je recycle ici (le ton est celui d'un forum de discussion...) :

1. L'œuvre
Des chefs-d'œuvre ignorés, il y en a beaucoup, dans le XIXe siècle français comme ailleurs. Tous ont vocation à être rejoués un jour, mais cela ne signifie pas qu'on va accepter comme ça, sans examen, toute résurrection.
Croire tenir avec Mireille un de ces chefs-d'œuvre ignorés me laisse pantois. Si je n'ai qu'une estime très tiède pour Gounod, je ne déteste pas Roméo et Juliette, divertissant et correctement construit - plus que Faust, qui affadit considérablement la pièce de Goethe.

Mireille, c'est tout autre chose. Adaptée d'une source littéraire de second ordre par rapport à Shakespeare ou à Goethe, elle est victime tout d'abord de son livret, qui se limite à une succession de péripéties sans nécessité : le rôle d'Ourias ne sert à rien, puisqu'il n'est même pas fichu de tuer correctement Vincent (et on a l'impression que l'irruption de ce passeur fantomatique est surtout une solution commode pour se débarrasser de lui) ; et le livret ne sait trop sur quel pied danser, entre la légèreté inoffensive du début, le fantastique de l'acte III, et les bouts de tragédie pas très crédibles; ajoutons à cela le fait que le chœur vient et s'en va juste quand on a besoin de lui : sa présence à la fin du 2e acte est visiblement uniquement destinée à faire monter la sauce du finale et n'apporte strictement rien dramatiquement.

Bien sûr, on me dira : et la musique ? Elle offre, hélas, le même caractère de patchwork bancal que le livret. On passe d'un folklorisme pas très profond (comparez à ce que fait Rameau de ces mêmes danses provençales, ou au travail de Dvorak sur les danses slaves!!!) à du pathos de roman de gare, puis à de grands ensembles dont on sent bien qu'ils s'inspirent d'un modèle mozartien, mais à qui manquent la nécessité musicale et dramatique interne : c'est l'exact inverse de son modèle le plus direct, le finale de l'acte II des Noces, avec sa spirale irrésistible. Comment peut-on étirer autant le final de l'acte II, alors que les positions des personnages changent si peu, qu'il n'y a pas de développement de l'histoire ? On tourne en rond pendant plus de dix minutes, l'acte devient complètement inconsistant entre l'interminable farandole et ce finale.
Quant au grand air de Mireille dans la Crau, il m'a fait bizarrement penser à l'air d'Ann dans The Rake's progress, autre exemple d'air "méta-mozartien": là où Stravinsky joue avec succès sur la corde raide entre parodie délicatement ironique et expressivité, il y a dans l'air de Gounod un caractère purement formel, imitatif, mécanique, et on sait où on va depuis le début de l'air. Qu'il y ait quelques moments plus réussis, soit, mais cela ne suffit pas à faire oublier la grande maladresse du reste.

Une dernière chose: le caractère provençal de la chose. Il faut beaucoup de naïveté pour prendre au premier degré cette Provence. L'œuvre, écrite à Paris par un compositeur 100 % parisien et un librettiste né à Besançon, mais parisien depuis ses 19 ans, pour un public purement parisien, représente la Provence un peu à la façon dont le bon Noir Banania représente l'Afrique : comme un cliché exotique pour public en mal de dépaysement, et dans la perspective centralisatrice qui est celle du Second Empire comme plus tard de la IIIe République. C'est un processus de digestion, certainement pas la reconnaissance d'une culture à part entière. Les Provençaux, ici, sont des Hurons qu'on observe avec attendrissement...


2. La mise en scène
Halte aux procès d'intention : ce qui se joue ici, ce n'est pas une lutte du Regietheater (qui n'existe de toute façon pas) et de la mise en scène traditionnelle à la Zeffirelli. Des mises en scène classiques et réussies, cela existe: on peut penser récemment aux Noces de Figaro époustouflantes de David McVicar au Royal Opéra (DVD Opus Arte), où chaque détail est pensé tout autant que la longue distance, avec humour et fantaisie.
On ne demande ici ni Marthaler, ni Warlikowski (dont on est fort capable de reconnaître aussi les échecs, et qui ont mieux à faire que de mettre en scène Mireille) : mais on demande ici le bagage minimal du metteur en scène classique, un savoir-faire technique, un travail en profondeur sur la direction d'acteurs, un sens du rythme, toutes choses qui manquent ici cruellement. Le savoir-faire, oui: peut-on imaginer manière plus sotte de mettre en scène la mort de Mireille qu'en lui faisant grimper un escalier absurde vers une croix étique placée sur une colonne fort ventrue ? On espère que Nicolas Joel corrigera cette erreur manifeste lors des représentations suivantes, mais elle est représentative des maladresses insignes du spectacle. Autre incapacité purement technique : l'utilisation du plateau, laissé nu par la relégation du décor en fond de scène (on aurait pu se dispenser de le construire, de simples diapos auraient fait à peu près le même effet) : dès lors que deux personnages sont seuls en scène, ils se retrouvent perdus sans autre ressource que les mouvements stéréotypés du chanteur d'opéra abandonné à lui-même. Quant au "truc" (certainement très coûteux) qui représente l'engloutissement d'Ourias, ce toboggan menant vers les dessous, c'est un gag qu'on espère volontaire...
Les décors, ici, sont en effet un lourd handicap. Ils ne délimitent pas un espace de jeu, ils se contentent d'indiquer les lieux de l'action tout en l'emprisonnant dans l'anecdotique. Le décor du fleuve est d'une laideur absolue : comment ce plastique bleu incliné et mal éclairé peut-il prétendre faire penser à de l'eau ? Une telle maladresse laisse pantois de la part d'une personne aussi expérimentée qu'Ezio Frigerio. De même, la longueur indue des changements de décor est un handicap majeur pour le spectacle, qui a besoin de deux entractes et d'un bon nombre de précipités pour arriver à terme : ceux qui n'ont vu le spectacle qu'à la télévision (je doute que beaucoup aient tenu jusqu'au bout) n'ont sans doute pas conscience que ces 140 minutes de musique ont duré en tout 210 minutes !


3. L'interprétation musicale
Je ne développerai que brièvement : il faut souligner les grandes qualités de Charles Castronovo, à la fois très délicat et doté d'une projection très claire et très efficace. J'aime bien aussi, cette fois, Amel Brahim-Djelloul, avec sa voix très présente et convaincante; moins Anne-Catherine Gillet, qui m'avait fortement déplu en Micaëla et m'indiffère ici. Sur l'Ourias de Frank Ferrari, tout a été dit : son personnage n'est déjà pas bien subtil, mais ce n'est pas une raison... Quant à Inva Mula, comme dit Machard, elle "joue vieux", mais elle "chante vieux" aussi : la voix trahit souvent l'effort sans qu'elle parvienne à tirer parti de cet effort à des fins expressives; il y a certes une certaine fraîcheur dans cette voix, mais, si j'ose dire, une fraîcheur défraîchie : un bouquet séché là où on attend des fleurs des champs (je suis en veine de métaphores à deux sous, ce matin! Je devrais me faire librettiste d'opéra). Tous les passages techniques sont traités avec le plus grand sérieux, mais avec aussi une grande prudence qui donne à tout cela un air très mécanique. La voix est (en bonne partie) là, mais la musicalité n'est pas loin de manquer autant que le sens du théâtre... et que la diction!
Quant à Minkowski, j'ai du mal à me prononcer. Je serai en tout cas moins sévère que certains; je ressens un certain malaise à l'écouter, mais je trouve aussi certaines sonorités intéressantes. Ce qui pose problème, entre autres, c'est la brutalité de certains passages qui en soulignent le caractère franchement pompier...


PS: J'ai oublié de dire que j'avais eu une bonne idée pour faire des économies à l'Opéra: tant qu'à faire qu'à monter des immenses chefs-d'œuvre du répertoire français Rolling Eyes , on n'a qu'à monter Thaïs : on peut réutiliser les décors tels quels, il n'y a qu'à en ajouter un ou deux pour compléter. C'est censé être la Provence, mais ça peut aussi bien être l'Egypte (ou si besoin ma Lorraine, on a aussi des champs de blé, des vieux murs et plusieurs cours d'eau)...   
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