mercredi 9 mai 2007

Dix-septième


La musique du XVIIe siècle - qui, si on s'en tient à une définition un peu sensée du mot "baroque", est la seule à pouvoir être qualifiée de baroque* - plaît au public, qui ne rêve pas, quoi qu'on en dise, que de Tosca ou de grosses machines romantiques. Deux petits spectacles l'ont amplement prouvé ces derniers jours à Paris.

Le Théâtre Sylvia-Montfort (qui n'est pas le plus agréable de Paris) a présenté L'Ormindo de Cavalli, dans une production de l'Arcal, remarquable structure de décentralisation lyrique comme il devrait y en avoir beaucoup plus en France. Ce répertoire, qui ne demande qu'un orchestre réduit, pas de choeurs et peu de solistes, est en soi peu coûteux, mais comme les participants de ce genre de spectacles sont en général moins subventionnés que les grosses cylindrées culturelles, il est moins coûteux bien souvent de monter un Verdi qu'un Cavalli, ce qui est évidemment délirant...
Le spectacle en question, à vrai dire, ne rend pas tout-à-fait justice à cette partition, en raison de solistes souvent insuffisants, mais aussi d'un chef (Jérôme Corréas, ex-chanteur) qui ne trouve pas encore le flux narratif de cette musique. C'est au moins l'occasion de découvrir une oeuvre de plus d'un compositeur dont on ne dira jamais assez que c'est un compositeur majeur!
Mais d'un certain côté, le plus important n'est pas dans ces limites qualitatives: grâce à une agréable mise en scène (Dan Jemmett), grâce surtout à la grande qualité de la musique et du livret, un public visiblement peu au fait des subtilités de l'art de Cavalli a fait un triomphe à cette soirée, public scolaire comme vieux habitués des théâtres parisiens, entre rire et émotion. Oui, parce qu'au fait: c'est de l'opéra, donc c'est du théâtre...

Le lendemain, fin des sentiers battus du point de vue géographique, mais pas du point de vue du répertoire: Era la notte, chante Anna Caterina Antonacci - c'est le titre de son spectacle, "solo" lyrique mis en scène de façon agréable par Juliette Deschamps (on peut rêver un art théâtral plus profond, mais son travail sert la musique et se regarde avec plaisir...). On peut avoir quelques réserves sur le travail de la chanteuse (un Lamento della pazza de Giramo trop peu engagé, quelques difficultés dans les passages les plus guerriers du Combattimento de Monteverdi), mais elles sont de faible poids face à de nombreux très beaux moments, notamment le madrigal de Barbara Strozzi, ou un Lamento d'Arianna magique. Surtout, c'est la musique qui triomphe: bien connu par le disque, ce répertoire est scandaleusement absent des salles de concert, alors qu'on préfère financer des orchestres symphoniques en surnombre pour rabâcher toujours le même répertoire (combien d'intégrales des Symphonies de Brahms en 10 ans à Paris?).

J'aime ce répertoire. Nous aimons ce répertoire. Le grand public, si on le lui présente, peut aimer ce répertoire. Mais cela exigerait, de la part des décideurs culturels, un courage, une curiosité, une vision ouverte de la culture...
Ce qui, bien sûr, ne diminue aucunement mon plaisir à l'écoute de cette musique...

Suite des événements:
-La tournée de
L'Ormindo n'est pas finie: voir le site de l'Arcal pour les autres dates; en outre un enregistrement CD, avec une distribution de meilleur niveau que celle de la tournée (Piau, Visse, Crook...), a été enregistré et sortira en juin;
-Pour
Era la notte, il faudra patienter plus longtemps pour avoir droit à un DVD, mais cela vaut la peine d'attendre. Pour ceux qui n'en peuvent mais, il y a un CD où A.-C. Antonacci a enregistré, en studio et dans un ordre différent, les 4 oeuvres du programme (Naïve); je préfère pour ma part attendre.



* Il y a des exceptions ; on ne voit pas comment les musiciens de Louis XIV, à commencer par Lully, pourraient être qualifiés de baroque, alors qu'on sait bien que l'esthétique prônée par Louis XIV dans le domaine de la littérature ou des arts plastiques est à l'opposé de la littérature et des arts baroques. Cela dit:
-Dire qu'une oeuvre est baroque ou ne l'est pas n'est pas un jugement de qualité;
-ça ne me dérange pas qu'on continue à employer le mot comme il l'est maintenant, c'est-à-dire essentiellement comme "la musique que jouent les baroqueux" (en gros du début XVIIe à 1760), à condition qu'on comprenne bien que c'est un mot pratique mais sans contenu intellectuel.
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