samedi 30 décembre 2006

Candide au pilori

Déjà chassé de ses pénates à cause de ses amours enfantines, le pauvre Candide se trouve chassé maintenant de la Scala de Milan, coproducteur de l'excellent spectacle donné ce mois-ci au Châtelet. Ce n'est en effet pas de Roberto Alagna, dont les déclarations imbéciles témoignent de moins de candeur que de suffisance, que je veux parler, mais bien de l'opérette de Bernstein.
Cela fait, cela dit, un deuxième scandale en moins d'un mois à la Scala: on savait bien, depuis longtemps, que la Scala n'était plus qu'un théâtre de second ordre, mais on pouvait penser que le départ de l'autocrate Muti, aussi médiocre directeur que médiocre chef, était l'occasion de changer les choses. La programmation, pour une ouverture de saison, d'une Aida mise en scène par Zeffirelli, était déjà un signe inquiétant; la déprogrammation, annoncée par la presse mais pas par le site du théâtre, est pire que cela.
On comprendrait cette déprogrammation si la mise en scène de Carsen avait été un brûlot politique: elle ne vise en fait à rien d'autre qu'au divertissement, ce qui était déjà le cas de l'oeuvre originale de Bernstein, satirique mais pas vraiment corrosive. Les édiles milanais, face auxquels le directeur Stéphane Lissner n'existe pas, se sont donc effrayés non pas d'un spectacle politique, mais d'un simple reflet de la politique, atténué et poli. Il est toujours étonnant de constater à quel point les vissicitudes de la Scala reflètent toujours le marasme politique de tout un pays...

PS (11.1.07): bien entendu, la Scala a été obligée de faire marche arrière... Candide sera donc joué, mais dans une version soigneusement expurgée... C'est beau la liberté d'expression!

mercredi 27 décembre 2006

Musique légère: il n'y a pas de quoi rire...

Une des particularités de ce début de saison pour moi aura été la multiplication des spectacles lyriques "légers", du Chanteur de Mexico (voir ci-dessous!) à Candide en passant par la Veuve joyeuse. Je ne peux pas dire que cela corresponde vraiment à un goût personnel, mais plutôt à une tendance générale que ma fréquentation boulimique des salles ne fait qu'enregistrer. Quant à ce que cela dit sur notre époque, j'en parlerai peut-être plus tard - peut-être jamais, peut-être demain, mais pas aujourd'hui, c'est certain! Peut-être avons-nous quelque chose à cacher, comme les nazis le faisaient à travers les nombreuses comédies légères et opérettes filmées qui constituaient l'essentiel de la production allemande de la première moitié des années 1940...

Ce que je voudrais surtout dire, en fait, c'est que je ne me suis pas amusé beaucoup, dans tout cela! Je ne reparlerai pas du Chanteur de Mexico, spectacle ennuyeux et poussif frisant constamment l'amateurisme; dans un cas, c'était volontaire, et plutôt réussi: je veux parler de "L'histoire vraie de la Périchole" de Julie Brochen d'après Offenbach, un spectacle d'Aix 2006 vu récemment à Lyon, avec la superbe Jeanne Balibar qui par ailleurs chante fort mal. On pourra certainement déceler une forme de snobisme postmoderne dans cette adaptation, mais j'ai été sensible à l'étonnante mélancolie qui s'en dégageait, à la théâtralité innovante de la narration, à la fragilité assumée de ce spectacle. Je n'ai donc pas beaucoup ri, parfois souri, mais j'ai néanmoins pris beaucoup de plaisir à cette évocation impressionniste.

Il n'y avait certes pas tellement de musique dans cette adaptation, mais y en a-t-il beaucoup plus dans La Veuve joyeuse, que ce soit dans la version originale (vue à Augsbourg en novembre) ou dans une pitoyable traduction française à Lyon il y a quelques jours? On se demande pourquoi, un siècle après, on se croit encore obligé de jouer cette pauvre chose, alors que mille autres oeuvres, plus drôles, plus entraînantes, plus intelligentes (contrairement à ce que pensent certains, ça ne nuit pas) attendent leur tour! Les méfaits de la notoriété, une fois de plus: quand une oeuvre est connue du grand public, on a bien du mal à s'en débarrasser - j'ai d'autres exemples en tête!

Cela dit, il faut reconnaître que la version augsbourgeoise était regardable, grâce à l'expérience de l'ensemble des participants et grâce au charisme de l'interprète principale, la soprano Sally Du Randt, qui est employée à l'année au théâtre d'Augsbourg. A côté d'elle, la malheureuse Véronique Gens apparaît pour ce qu'elle est, une chanteuse sympathique et dotée d'une voix que nous ne contesterons pas, mais toujours aussi lymphatique et dénuée de tout rayonnement. Elle aurait pu être sauvée par la mise en scène: elle ne l'a pas été, à cause d'un travail d'une étonnante pâleur de la part de Macha Makaieff. C'était, je l'avoue, pour elle que j'y allais, espérant qu'elle mettrait un peu de folie, de singularité, d'individualité et, osons le dire, d'émotion dans cette piécette.

Las! Madame a eu l'idée de rendre sérieux et émouvants les deux marionnettes principales; on peut quand même dire qu'il eût été plus simple de prendre une oeuvre où les personnages principaux ont d'eux-mêmes de l'intérêt; surtout, cette entreprise est totalement ratée, la faute en partie à la mollesse incorrigible de Mme Gens: il en reste un spectacle propre sur soi, dans de bons gros décors "Au théâtre ce soir", avec une absence à peu près totale d'humour (sans même parler d'autodérision). On s'ennuie ferme pendant tout le spectacle, entouré qui plus est d'un public qui ne sait pas qu'on se tait à l'opéra et dans la salle d'opéra la plus mal conçue du monde.

Après tous ces malheurs censés nous mettre dans une ambiance festive, c'est avec une forte inquiétude que je me suis rendu hier soir au Châtelet pour Candide de Bernstein. Là encore, c'était le nom du metteur en scène qui m'y attirait, plus qu'une oeuvre dont les mérites musicaux restent bien modestes (à moins de comparer avec la Veuve joyeuse, bien sûr). Ouf! Robert Carsen reste Robert Carsen, et la réussite égale, au moins à proportion des mérites des oeuvres, celle de ses mémorables Alcina (Garnier 1999 et 2004, en attendant 2008?) et Rusalka (DVD TDK indispensable pour qui veut comprendre ce qu'est la mise en scène d'opéra). Je ne détaillerai pas, d'autant plus que chacun pourra s'en rendre compte dès le 20 janvier sur Arte: clarté du dessein général, perfection de la finition, profondeur du travail dramaturgique, sens du rythme et de la variété... Ecco un artista!, comme dirait un autre personnage d'opérette...

Reste à savoir pourquoi on choisit de jouer ce répertoire, a fortiori dans des théâtres subventionnés qui n'ont pas à aller ainsi pêcher le client en jouant la facilité. Mais c'est, une fois encore, une autre histoire!

mardi 5 décembre 2006

Ouvrez les yeux

Samedi 2, dimanche 3 décembre: deux représentations à l'Opéra, une à Bastille, une à Garnier, et finalement, un constat commun. C'est rare de pouvoir assister ainsi en moins de 24 heures à deux productions d'un tel niveau. Les deux mises en scènes, pourtant, sont on ne peut plus dissemblables: miroirs et grands espaces dans le Chevalier à la Rose mis en scène en 1995 par Herbert Wernicke; éclairages très sombres, plateau limité pour l'Idomeneo de Mozart, importé de la Scala, signé par Luc Bondy. Le décor joue un grand rôle chez Wernicke, grâce à ces miroirs mouvants qui reflètent tantôt les spectateurs, tantôt divers décors d'intérieurs XVIIIe, dont on ne voit jamais rien d'autre que le reflet; il est marginal, bien que très beau, chez Bondy.
Des deux, c'est le spectacle de Bondy qui me paraît le plus extraordinaire, peut-être d'ailleurs aussi parce que l'oeuvre est plus intéressante. Rien que le dénouement, d'un pessimisme total qui n'étonnera pas chez Bondy*, est une leçon de théâtre.
Je parlais de constat commun: c'était malheureusement aussi vrai du point de vue musical. Thomas Hengelbrock (Idomeneo) est un très bon chef, et Philippe Jordan (Chevalier) ne se débrouille pas mal non plus; le problème, dans les deux cas, était du côté des chanteurs. A Bastille, on ne sauvera que le classique Ochs de Franz Hawlata et l'excellent Olaf Bär en Faninal; les dames, elles, sont presque inaudibles et surtout d'une placidité qui contamine leur jeu scénique; l'absence de style, chez Heidi Grant Murphy, n'étonnera personne.
A Garnier, pas de chanteurs inaudibles, mais une même placidité: Camilla Tilling est d'une grande banalité, ce qui ne surprend guère; mais Joyce diDonato ne justifie en rien les louanges qui lui sont faites. Je suis un peu las de ces mezzos sans couleur et sans saveur, qui ont certes une belle voix mais n'en font pas grand-chose. En faire une tragédienne, c'est vraiment ne pas avoir beaucoup de notions de ce qu'est le théâtre... Autre problème, le rôle-titre: Ramon Vargas était annoncé souffrant, et l'était sans doute en effet. Mais que diable n'a-t-il pas annulé! Remplacer un Idoménée n'est pas bien difficile, et cela aurait permis d'entendre un peu de Mozart, plutôt que ce qui nous a été infligé. Même le vieux Thomas Moser, qui chante avec difficulté mais beaucoup de présence le rôle d'Arbace, aurait mieux tenu la route que Vargas. Je veux bien admettre qu'il est extraordinaire quand il est en forme, mais il ne l'était pas. En revanche, je doute que sa maladresse scénique et le mauvais goût de son ornementation soient dus à son état... Heureusement Mireille Delunsch, en Elettra, est là pour chanter Mozart et surtout l'interpréter: un peu de fatigue vocale peut-être, mais la tragédienne du spectacle, la voilà.
Il est désormais bien connu que, depuis les années 1970, c'est grâce à la mise en scène que l'opéra a été sauvé: cela n'a jamais été autant vrai que ce week-end!


*Au fait, il paraît que l'admirable Julie de Philippe Boesmans, créé à Aix-en-Provence il y a un ou deux ans, et mis en scène par Luc Bondy (comme toujours pour Boesmans...), va paraître prochainement en DVD. Quel bonheur!

dimanche 3 décembre 2006

Médiocre et fier de l'être

Le ministre de l'Inculture a nommé Nicolas Joël directeur délégué de l'Opéra de Paris, c'est-à-dire, concrètement, futur directeur de la maison à partir de 2009. C'est là la marque d'un grand professionnel de la politique dans un domaine où son ignorance est notoire: ah, l'actuel est trop moderne*? Bon, on va vous nommer un ringard.
Nicolas Joël est aussi metteur en scène, et la seule bonne nouvelle est que ses nouvelles fonctions vont sans doute l'écarter de la mise en scène (le contraire serait inadmissible). Ennemi juré du baroque qu'il a programmé le moins possible, se présentant volontiers en sauveur du vrai bon opéra, qui a de l'expérience (lui), qui connaît les chanteurs (lui), qui défend le bon répertoire français (lui), il était depuis plusieurs années le porte drapeaux de tout ce que le monde lyrique comporte de rance en France. Heureusement, comme toujours, ceux qui le portent aux nues aujourd'hui viendront lui cracher au visage deux ans après sa nomination et pleureront le bon temps de Monsieur Mortier. Ainsi va le monde...

*Ce qui reste à démontrer, du reste, mais on fera le bilan de Mortier (qui est à mon avis plus moderne en parole qu'en réalité) une autre fois merci.

vendredi 1 décembre 2006

Retour au Ring (1)

L'épisode précédent avait eu lieu à Paris, au théâtre du Châtelet. Les deux maîtres d'oeuvre en avaient été le directeur musical de l'Orchestre de Paris, Christoph Eschenbach, et l'Artiste Universel Autoproclamé* Robert Wilson. Comme chacun sait ou presque, l'aventure s'était terminée par une triple catastrophe scénique, vocale et orchestrale, sans compter celles racontées par Wagner dans l'oeuvre elle-même. De ce monument d'ennui pour les yeux et de laideur pour les oreilles, je n'ai pas gardé beaucoup d'impressions positives: les excellents Stephen Milling (Hunding) et Peter Seiffert (Sigmund) ne pèsent guère face à l'indigne Wotan de Jukka Rasilainen, qui à lui seul aurait suffi à ce qu'on puisse qualifier l'entreprise d'échec, le piteux Alberich de Sergei Leiferkus, la pataude Erda d'une Chinoise dont j'ai oublié le nom et la stridente Brünnhilde de Linda Watson. Sans parler de la direction incohérente d'Eschenbach.

Le mot plaisir a été quasiment absent de ces quatre interminables soirées: même des scènes que j'adore (Wotan/Erda dans Siegfried...) m'ont totalement laissé froid...

Le paradoxe de cette apocalypse, c'est qu'elle n'a fait que renforcer mon amour pour ce cycle, que je crois comprendre mieux qu'il y a un an: comme si mon esprit s'était révolté devant ce qu'on lui faisait subir et avait voulu justifier cet amour en en interrogeant les racines...

C'est donc frémissant d'espoir et d'impatience que je me suis rendu au cycle donné à Munich en novembre dernier, dans ce haut lieu wagnérien qu'est l'Opéra de Bavière. Créé en 2002, l'Or du Rhin mis en scène par Herbert Wernicke aurait dû se prolonger par un cycle complet - mais Wernicke, hélas, est mort, et c'est David Alden, après quelques péripéties, qui a signé la suite. Cette production bicéphale, dont c'était la dernière représentation, a suscité dans le public bavarois des haines tenaces de pseudo-wagnériens qui croient détenir la vérité mais en restent aux aspects les plus superficiels de l'oeuvre, et heureusement aussi quelques soutiens tenaces.

Ayant eu la chance de voir les 3 premiers volets du cycle en 2003-2004, c'est avec un grand plaisir que je retrouvais pour ma part ces productions stimulantes, souvent drôles (oui, parce que Siegfried, en particulier, EST drôle - ce que Wilson, évidemment, n'a pas plus compris que les psedu-wagnériens rancis), toujours riches en idées. Mais avant d'aller plus loin, débarrassons-nous d'un pensum: voici donc quelles étaient les distributions... (chaque rôle n'étant pas répété quand il réapparaît ultérieurement, à une exception près...)


[Photo: décor de l'Or du Rhin]

DAS RHEINGOLD
Wotan John Tomlinson
Donner Hans-Joachim Ketelsen
Froh Nikolai Schukoff
Loge Philip Langridge
Alberich Franz-Josef Kapellmann
Mime Ulrich Reß
Fasolt Jan-Hendrik Rootering
Fafner Kurt Rydl
Fricka Mihoko Fujimura
Freia Camilla Nylund
Erda Anna Larsson
Woglinde Ileana Tonca
Wellgunde Daniela Sindram
Floßhilde Sarah Castle

DIE WALKÜRE
Siegmund
Christopher Ventris
Hunding Matti Salminen
Sieglinde Waltraud Meier
Brünnhilde Linda Watson

SIEGFRIED
Siegfried Stig Andersen
Brünnhilde Nadine Secunde
Waldvogel Ileana Tonca

GÖTTERDÄMMERUNG
Gunther Juha Uusitalo
Hagen Matti Salminen
Brünnhilde Gabriele Schnaut
Gutrune Emily Magee
Waltraute Mihoko Fujimura
1. Norn Catherine Wyn-Rogers
2. Norn Heike Grötzinger
3. Norn Irmgard Vilsmaier

La suite est à venir...

*Je tiens à signaler que, malgré cette formulation peu aimable, je dois à Wilson quelques-uns de mes plus beaux spectacles d'opéra, notamment Orphée et Eurydice de Gluck (Châtelet/DVD) et Pelléas et Mélisande (Garnier puis Bastille, hélas sans DVD). Mais sa prétention sans limites et quelques ratages complets me rendent le personnage peu sympathique...

jeudi 30 novembre 2006

Le Lac des oies

Pardon pour ce titre, pardon pour ce message qui intéressera sans doute très peu de lecteurs. Mais, ayant parlé de ce Lac dans l'épisode précédent, je me dois d'en parler un peu, ne serait-ce que pour faire passer l'agacement que ce spectacle a provoqué en moi (plusieurs jours, il est vrai, ont fortement atténué cet agacement...).

Ma frustration vient de deux éléments principaux. Le premier est la version du Lac des cygnes qui est au répertoire du Bayerisches Staatsballett: signée par Ray Barra, elle multiplie les mauvaises idées et les incohérences et, sous prétexte de revivifier l'histoire, s'encombre d'un appareil narratif totalement inutile (alors que, la pantomime ayant presque totalement disparu, le récit principal est quant à lui noyé). L'omniprésence de Rotbart (le sorcier qui a changé les princesses en cygnes) est, je trouve, la marque de fabrique de toutes les mauvaises versions du Lac: elle est particulièrement nette ici. J'avoue avoir été "élevé" au Lac monté à Paris par Rudolf Noureev, et qui a trouvé un écrin idéal à Bastille: voir une version comme celle-là ne fait que renforcer ma conviction que le Lac de Noureev est, jusqu'à nouvel ordre, insurpassable.

En outre, le Ballet de Munich a montré dans cette soirée des limites plus qu'inquiétantes, d'autant qu'elles ne font que confirmer l'impression que d'autres ballets classiques m'avaient donnée: il faut oser monter une saison autour de Petipa quand on est dépassé comme ça par les événements!
Et puis il y avait eu un changement de distribution. Je vais bientôt parler d'autres changements de distribution, mais celui-là était peut-être le pire: la sympathique Natalia Kalinitchenko devait danser Odile/Odette, et c'est pour elle que j'avais choisi cette date. Las, ce fut Lisa Maree Cullum, qui en plus de ne pas être très impressionnante techniquement est l'incarnation de l'inexpressivité (on a ça aussi à l'Opéra cela dit, elle s'appelle Mélanie Hurel). Autour d'elle, rien ne relevait vraiment le niveau, surtout des Petits cygnes visiblement tétanisés par la difficulté de leur pas et par conséquent incapables de dépasser le stade de l'exécution robotique.
Triste soirée, vraiment... Pour se consoler, il faudra attendre la parution du DVD du Lac de Noureev, enregistré lors des formidables représentations de décembre 2005...
[à ne pas confondre avec la version Bourmester déjà disponible, avec Pietra et Patrick Dupond!!! - mieux que Ray Barra de toute façon!)

dimanche 26 novembre 2006

La suite au prochain numéro

Non, ce blog n'est pas mort, pas plus que moi d'ailleurs. Mais, étant actuellement en Allemagne (sur le point d'aller voir un Lac des Cygnes à l'Opéra de Munich) et fort occupé par diverses choses dont de très nombreux spectacles, je n'ai pas eu le temps de faire quoi que ce soit. Même mon idée de préparer des messages pour les poster à mon retour (très prochain) est tombée à l'eau. Les idées d'articles ne manquent pas, et j'ai bien l'intention de m'y mettre enfin sérieusement!

dimanche 29 octobre 2006

Vos commentaires

C'est avec plaisir que j'ai lu les premiers commentaires qui ont été postés, certains très argumentés juste comme j'aime; je répondrai plus tard sur le Jules César d'Irina Brook, et je voudrais simplement dire deux ou trois choses rapidement:
- Merci de toujours vous "identifier" lorsque vous écrivez un commentaire; c'est plus agréable pour tout le monde. Pour ceux qui écrivent sur des forums, le pseudo que vous y utilisez est le plus simple, pour les autres un pseudo inventé pour l'occasion ira très bien!
- Jérémie n'aime pas la présentation du blog, trouvant le blanc sur noir trop peu lisible. Moi j'aime bien cette présentation, mais si ça ne plaît à personne je changerai, il suffit de râler un peu (à vos commentaires!).
- En ce qui concerne les Paladins, j'ai dit ce que j'en pensais; je persiste à penser qu'il s'agit d'une production vile, lénifiante, qui ne respecte pas l'oeuvre qu'elle prétend présenter (beaucoup moins, par exemple, que la production boulevardière des Noces de Figaro par Christoph Marthaler). Je ne crois pas que chaque spectateur doive se sentir offensé si je dis quelque chose sur le public en général. La question de la réception est une des questions qui m'intéressent le plus; je continuerai donc à parler de cette façon du public; ce n'est pas très habituel dans le monde de l'opéra et du spectacle, où le public est censé toujours être roi, mais ce sera un sujet central de ce blog.

mercredi 25 octobre 2006

A stupide, stupide et demi

Il paraît que le livret des Paladins est stupide. A force de lire ce genre de propos (avec variantes: plat, fade, inepte, et j'en passe) à longueur d'articles de presse ou de contributions de forum, on finirait presque par y croire. Cependant, on se demande pourquoi tant d'insistance sur le livret de cette oeuvre - que, d'ailleurs, la plupart de ceux qui en proclament la nullité ne semblent pas avoir lu -, alors que tant d'autres sottises passent comme une lettre à la poste dans le monde des amateurs d'opéra:

-Ma mère, je la vois, oui je revois mon village,
O souvenirs d'autrefois, doux souvenirs du pays.
-Sa mère, il la revoit, oui il revoit son village,
O souvenirs d'autrefois, doux souvenirs du pays...

Mais le plus grave problème concernant cette redite pavlovienne, c'est que ce n'est pas vrai! Présentons d'abord la victime, via un lien au texte intégral: http://jp.rameau.free.fr/les_paladins.htm.
Bien sûr, comme tout livret d'opéra à quelques exceptions près, la lecture seule peut paraître déroutante, mais c'est d'efficacité dramatique, et plus précisément de théâtre en musique qu'il est question ici. Les Paladins sont une comédie, qui n'a ni souci de vraisemblance ni prétention à une intrigue extrêmement construite. Cette comédie ne constitue donc en aucune façon une comédie de moeurs, "grand genre" du théâtre comique français depuis Molière; elle en est encore plus loin que Platée, dont l'héroïne éponyme a quelque chose d'une bourgeoise gentilhomme.
Pourtant il y a bien du théâtre ici, et même du fort bon théâtre. Le genre auquel appartient cette pièce n'est pas véritablement un genre établi, encore moins dans le théâtre parlé: il s'agit d'un type de comédie burlesque fondée sur le merveilleux, donnant lieu à une profusion de décors (le château de la fée Manto, la fête des Paladins...). Les éléments textuels sont relativement minces, pour permettre à la danse et sans doute à une forme de mime de la part des personnages de prendre toute leur place, avec un effort très intéressant de la part des auteurs d'intégrer les divertissements dansés, qui sont inhérents à l'esthétique de l'opéra baroque français, à l'action.
Les personnages sont dessinés de façon très nette : le plus intéressant est certainement Orcan, dont les rodomontades pleutres font fortement penser à un personnage de Cadmus et Hermione de Lully; mais Nérine, la piquante, l'intrépide servante de la belle Argie, se porte elle aussi au niveau des grandes servantes de comédie. Argie elle-même, qui pourrait n'être qu'une belle fille passive comme on le voit dans tant d'autres opéras, a quelque chose d'une fragilité enfantine, qui rend touchante sa douleur initiale tout en lui permettant de se réjouir sans contrainte à l'humiliation d'Orcan.
On peut, bien sûr, mépriser ce genre de fantaisie, comme on peut faire la fine bouche sur tout ce qui est drôle, léger, sans prétention. Mais quand on aime le théâtre et qu'on prétend comprendre un peu quelque chose à l'esthétique de l'opéra baroque, je ne vois pas comment on peut sérieusement mépriser ce livret.
Bien sûr, il y a une raison derrière ce massacre en règle. Cette raison, c'est la production de cette oeuvre qui vient d'être reprise au théâtre du Châtelet, dont la création avait eu les honneurs indus d'un DVD (dont est extraite la photo via le site de son éditeur, Opus Arte). Le coupable s'appelle José Montalvo, il est chorégraphe de profession, et surtout un des plus éminents représentants de la branchitude bien-pensante et autosatisfaite. Le produit fini qu'il livre n'a aucun rapport avec les Paladins, dont il n'entend en aucune façon raconter l'histoire; il suffit de voir comment tous les personnages sortent de scène pendant les danses qui sont censées représenter la cérémonie où Orcan est armé pélerin (fin de l'acte I): alors que ces danses sont intégrées à l'action, qu'elles devraient servir à approfondir l'atmosphère et les personnages, Montalvo s'amuse à des simagrées illustrant tout au plus les deux ou trois effets de rythme les plus superficiels de la partition.
Ledit produit fini est fait pour un public précis, auprès duquel il a un grand succès; c'est un public zappeur, qui ne supporte un spectacle qu'à condition qu'il y ait une profusion d'images; surtout, pas de sens, pas de temps pour la réflexion! On comprend, d'ailleurs, qu'un public qui aime ce lavage de cerveau déteste à ce point le Jules César d'Irina Brook (voir message ci-dessous), peu profond certes, mais qui laisse aux émotions le temps de se développer... La bourgeoisie inculte qui lit les suppléments du week-end du Figaro se retrouve idéalement dans ce miroir complaisant, qui lui donne même l'illusion du progressisme (la vidéo) et de la tolérance (vous vous rendez compte, ma chère, il y avait même des Noirs sur scène - peu importe que l'image donnée par Montalvo des Noirs en question soit plus proche du nègre Banania que d'une véritable tolérance: tant qu'ils font ce qu'ils savent faire - parce que ces gens-là, c'est bien connu, ont le rythme dans la peau - ils sont acceptables pour le public bourgeois; qu'ils dansent, soit, mais qu'ils ne prétendent pas s'intégrer au coeur de la société française; avec les intentions contraires, Montalvo livre ainsi une parfaite leçon de racisme ordinaire).
Prétendre retrouver l'essence de la musique de Rameau en vidant l'oeuvre de toute sa substance, en ne jouant que sur son côté, disons, "entraînant", en emplissant la scène jusqu'à l'apoplexie de tout ce qu'il faut pour contenter un public superficiel, Montalvo a ainsi monté un des spectacles les plus stupides des dix dernières années. Honte au Châtelet de l'avoir créé, honte à son directeur actuel de l'avoir repris.

Les présents ont parfois tort

Mais que faisaient-ils, ces quelque 1600 (à vue de nez) spectateurs qui n'avaient rien de mieux à faire que d'aller voir le concert de la Staatskapelle Berlin dirigé par Daniel Barenboïm? N'avaient-il, accessoirement, rien de mieux à faire de leur argent (25 € en dernière catégorie!)?
Evidemment, loin de moi l'idée de les stigmatiser, d'autant plus que j'en ai fait partie, pour ma plus grande douleur. Le pire était certes prévisible, s'agissant du clown Lang Lang, qui a fait semblant de jouer au piano le 5e concerto de Beethoven (et, qui pis est, un bis). Semblant, cela dit, est à prendre cum grano salis, vu le volume sonore qu'il imposait.
Quant à l'orchestre pendant ce pauvre concerto, je n'ai pas de comparaison à faire sinon les soirées de ballet à l'Opéra accompagnées par l'Orchestre Colonne. Des cordes aussi lymphatiques, on n'entend pas cela tous les jours. La Cinquième de Mahler qui a suivi était très légèrement meilleure, mais à ce niveau les nuances ne comptent plus guère. Un assoupissement propice m'a dérobé une partie du pensum, mais ce que j'en ai entendu m'aurait plutôt encouragé à dormir plus.

Le pire de tout: j'ai une place pour ce soir - Radu Lupu (concerto de Schumann) sera certainement meilleur que le singe savant d'hier, mais par quel miracle Barenboïm pourrait-il épargner la Neuvième de Mahler qu'il se propose d'attaquer?

vendredi 20 octobre 2006

Plaisir


En sortant du concert d'hier soir, à la Cité de la Musique, le mot qui me venait à l'esprit pour caractériser ce concert était "plaisir". Le programme était le suivant:

SCHÖNBERG Sérénade op. 23 (Ronan Nédélec, baryton)
KURTAG ... Quasi una fantasia... op. 27 n° 1 (Dimitri Vassilakis, piano)
FRANCESCONI Etymo (Barbara Hannigan, soprano)

Ensemble Intercontemporain
Susanna Mälkki

Ce n'est pas là, j'en conviens, le genre de programme qu'une majorité du public de la musique classique associe avec "plaisir", même si une salle relativement pleine pour ce type de programme montre bien qu'il y a, fort heureusement, un public pour de tels concerts. Le terme "plaisir", on le voit employé plus volontiers pour des choses plus légères, ou au moins amplement prédigérées, pour Offenbach, pour Mozart, sans tomber jusqu'à Francis Lopez. En musique contemporaine même, l'impression qu'ont certains de l'importance historique de leur présence, de leur rôle de précurseurs, ou plus simplement le sérieux légèrement teinté de complexe d'infériorité avec lequel beaucoup abordent ce répertoire, ont bien trop tendance à faire passer ce plaisir au second plan.
Tout, bien entendu, n'est pas parfait dans le meilleur des mondes. Malgré l'engagement de la soprano Barbara Hannigan (Mademoiselle Correspondances de Dutilleux), l'oeuvre de Francesconi ne suscite, de ma part comme de celle du public, qu'un enthousiasme très modéré, tant elle est obérée par un usage massif de l'électronique et par une prolixité paradoxale pour une oeuvre parlant d'aphasie: à trop vouloir en dire, on finit par n'être plus que bavard (ce que, je le sens, je suis aussi en train de devenir).
L'électronique, censée permettre un enrichissement de la perception musicale par la modification et la spatialisation du son, se trouve écrasée par la splendeur éhontée des timbres instrumentaux de la Sérénade de Schoenberg: le plaisir dont je parlais, ce n'est pas un plaisir intellectuel (sujet de dissertation: existe-t-il un plaisir intellectuel?). C'est bien de sensualité que je parle ici, de plaisir charnel! L'oeuvre est pour moi une découverte passionnante.
Entre les deux, Kurtag: ne cachons pas que ce monsieur est un de mes compositeurs préférés, qu'il est de toute évidence un compositeur de tout premier plan et que, quand on écoute sa musique, toute idée de déclin de la musique apparaît comme des sornettes.
... Quasi una fantasia... fait partie de ses oeuvres les plus jouées; éclatant en un paroxysme expressif, l'oeuvre est encadrée par deux mouvements d'une extrême douceur qui portent en germe, en sous-texte, l'éclatement qu'ils ne laissent pas passer. En 9 minutes malheureusement gâchées en partie par un tousseur imbécile, on a là un art d'un raffinement extrême où chaque détail compte, détail de timbre, de rythme, de dynamique, mais où l'émotion et l'expression sont d'une puissance immédiate qui saisit l'auditeur sans répit.

L'oeuvre a déjà été enregistrée plusieurs fois: notamment dans l'édition d'un concert du Festival de Salzbourg (éd. Col Legno: G. K., Porträtkonzert) et dans un disque hélas introuvable de Claudio Abbado (sous le titre Wien Modern).


Photo: György Kurtag (source: http://www.grawemeyer.org/)

mercredi 18 octobre 2006

In questo popoloso deserto ch'appellano Parigi (ou Jules César de Haendel au TCE)

Cela fait trois fois que j'assiste à une première cette saison. Dans les trois cas, l'équipe de mise en scène a été huée, de façon à chaque fois imméritée à mon sens. Mais autant je comprends, sans les approuver, les huées qui ont accueilli la Lucia di Lammermoor mise en scène par Andrei Serban, qui défiait ouvertement les habitudes du public parisien et n'a pas hésité à le provoquer lors de ladite première (cf. un message ci-dessous), autant la réaction du public d'hier soir reste à mes yeux totalement incompréhensible et absurde.
Donc, Haendel, Jules César, une partition qu'on commence à bien connaître (encore que le jour où les opéras de Haendel connaîtront autant de représentations qu'un vulgaire Puccini n'est pas encore venu - j'ai beau avoir le temps devant moi, je crains de mourir sans le connaître, ce jour), dans un lieu où Haendel a connu pas mal de triomphes (le plus beau étant pour moi comme pour beaucoup l'inoubliable Agrippina mise en scène par David McVicar) et où, en général, on ne s'occupe pas trop de la mise en scène pourvu qu'elle ne fasse pas de vague. Dominique Meyer, avisé patron du TCE, n'avait pas pris beaucoup de risque en recourant à Irina Brook, experte en produits bien finis, chics et élégants, qui avait déjà signé une jolie Cenerentola au TCE. Le produit livré correspond bien à ces attentes, avec à la fois un sens certain de l'émotion et un humour discret, parfois un peu simpliste: sa lecture de l'oeuvre est précise et on est bien loin du "tout grotesque" qui a beaucoup desservi Haendel sur les scènes européennes depuis une quinzaine d'années (le sommet étant un stupide Rinaldo monté à Montpellier, Innsbruck et Berlin). Il ne faut pas oublier que l'humour est bien présent dans l'oeuvre, autour des relations entre Cléopâtre et Ptolémée notamment, et ce serait un contresens total que de penser que l'opera seria appelle forcément un traitement marmoréen: si les différentes mises en musique de L'Olimpiade, par exemple, ne laissent pas de place pour l'humour, d'autres serias sont au contraire de véritables comédies parfois féroces, comme l'Agrippina de Haendel ou le délicieux Ottone in villa de Vivaldi (très bon enregistement dirigé par Richard Hickox chez Chandos), ou la chute d'un bon à rien...
Irina Brook sait ainsi laisser à certains airs, comme les lamentos de Cléopâtre, le temps de laisser l'émotion se développer, par une direction d'acteurs qui peut paraître statique mais est beaucoup plus précise et travaillée qu'il n'y paraît. Le tout, dans un décor discret de désert et avec des costumes qui mélangent costumes modernes et orientalisme délicat, est donc bien loin d'appartenir à la mouvance la plus provocatrice de la scène lyrique parisienne et avait de quoi contenter une bonne partie du public. J'ai l'impression que la violence de ces huées a paru incompréhensible à une bonne partie du public...
Musicalement, le spectacle était en de bonnes mains, avec un Christophe Rousset parfait à son habitude, sans grands effets mais plein de délicatesse et de générosité. Il a réalisé une partition d'un peu moins de 3 heures, ce qui laisse de côté une partie non négligeable de la partition mais n'est finalement pas si mal. Le César d'Andreas Scholl est certainement l'aspect le moins satisfaisant de la distribution: sa voix toujours plus nasillarde, sa diction impossible et ses vocalises hasardeuses sont à mille lieues des grandes réussites d'une Larmore ou d'une Mijanovic; même du côté masculin (qui n'est pas celui que je préfère), un Lawrence Zazzo aurait certainement été bien préférable. L'autre point faible de la distribution est l'interprète de Sesto (comme souvent, Dieu sait pourquoi): Alice Coote a une voix banale et une interprétation qui ne l'est pas moins. Mais ces limites sont largement compensées par la belle Cornelia de l'impeccable Sonia Prina, qui aura intérêt à aborder le rôle titre dès que possible, et surtout par Rosemary Joshua en Cleopatra. Cette chanteuse, que j'avais entendue pour la dernière fois cet été dans Orlando à Munich, est certainement aujourd'hui, avec Sandrine Piau, la meilleure soprano haendelienne sur les scènes: sa voix extrêmement mobile, d'une sensibilité extrême, sans afféteries et sans grands effets, va particulièrement bien à ce rôle qui parcourt toute la gamme expressive du rire au lamento. Je n'hésite pas à dire que c'est sans doute la meilleure Cléopâtre que j'ai entendu, malgré toute mon admiration pour Magdalena Kozena...

Pour la magnifique Joshua, pour la beauté d'un grand orchestre haendelien, et surtout, ce qu'on oublie trop souvent de dire, pour une musique magnifique où (presque) pas un air n'est un chef-d'oeuvre, une soirée à conseiller!

jeudi 12 octobre 2006

Le triomphe des Troyens

Depuis le temps que je veux faire un article synthétique sur les atouts et les difficultés des reprises... La reprise des Troyens mis en scène par Herbert Wernicke à Salzbourg en 2000, dont la première à l'Opéra Bastille a eu lieu hier soir à Bastille, aurait pu être une occasion, mais il va falloir patienter; je ne parlerai donc que de cette reprise-là.

Cette reprise était d'autant plus périlleuse que la production n'avait pas été reprise, à Salzbourg ou ailleurs, depuis 2000, et qu'entre temps Wernicke, terrassé par une crise cardiaque en 2002, n'était plus là pour défendre lui-même son travail. Disons-le clairement: ses assistants s'en sont tirés avec les honneurs, bien loin de tant de reprises molles qu'on a connues ces dernières années.

De quoi s'agit-il ici? Tout simplement d'un des grands chefs-d'oeuvre de la mise en scène d'opéra de ces dix dernières années, d'une cohérence et d'une efficacité théâtrale qui ne surprennent pas chez Wernicke, mais n'en sont pas moins admirables. Wernicke a choisi la monumentalité, avec un décor d'une grande simplicité mais également d'une grande beauté, et un statisme assumé qui vise à mettre en évidence les grandes lignes de la partition et du drame. Ne nous y trompons pas: chez Wernicke, ce statisme est bien un choix, pas un signe d'impuissance. Quiconque connaît sa prodigieuse Calisto de Cavalli (bientôt disponible en DVD) , nourrie à la commedia dell'arte, sait qu'il était tout aussi capable de l'inverse. Dans ce statisme, la violence apparaît à nu; une des scènes les plus admirables de ce spectacle est celle où les Troyens viennent entourer Cassandre, pétrifiée dans sa douleur, de leurs armes qu'ils croient désormais inutiles, avant que les Troyennes ne jettent dédaigneusement des fleurs sur le cercle formé par ces armes: rarement on aura vu sur une scène d'opéra pareille incarnation visuelle de la solitude et de la douleur.

Bien sûr, Paris avait déjà vu plusieurs productions récentes des Troyens, notamment celle donnée pour l'ouverture de l'Opéra Bastille en 1990 (production de Pierluigi Pizzi que je n'ai pas vue, mais qui ne semble pas avoir laissé un souvenir impérissable) et la récente production du Châtelet pour l'année Berlioz: loin de moi l'idée de contester la réussite musicale de ce dernier spectacle, encore que je ne partage pas le délire autour de Susan Graham et Anna Caterina Antonacci, plus bonnes filles que tragédiennes (ce qu'est, incontestablement, Deborah Polaski qui chante Cassandre ET Didon à Bastille). Scéniquement, le spectacle invertébré et souvent amateuriste de Yannis Kokkos était cependant indéfendable, sauf à ne jurer que par un académisme rance qui satisfait il est vrai beaucoup de monde dans le public lyrique.

Il est donc bien dommage qu'une partie du public parisien ait prouvé son incompétence théâtrale en huant le travail tellement supérieur de Wernicke (huer un mort, quel bon goût). Gerard Mortier m'a souvent déçu dans les productions qu'il a importées de ses postes antérieurs comme dans celles qu'il a créées pour Paris: je ne puis que le remercier chaleureusement pour cette magnifique réussite qui fait honneur à l'Opéra de Paris.

mardi 3 octobre 2006

Actualités diverses

Quand on voit beaucoup de choses, on n'a pas forcément le temps d'écrire beaucoup... Donc, quelques notes en vrac:

-D'abord: Vive le clavecin! Magnifique concert à la Cité de la Musique, dans un amphithéâtre malheureusement pas plein en raison d'un tarif prohibitif, autour du virginal anglais au XVIe et XVIIe siècles. Musique d'une richesse étonnante, tissée en un programme alternant lamentos et danses bondissantes, par 3 interprètes, pas moins: Olivier Fortin, Skip Sempé et Pierre Hantaï, sur trois beaux instruments que la note de programme n'a hélas pas pris la peine de mentionner.
Je plains les pauvres pianistes, avec leurs Steinway/Bösendorfer tous semblables. Quand se rendra-t-on compte que cette monomanie instrumentale est un appauvrissement considérable de la richesse de tout un répertoire?

-Ensuite, des reprises très agréables à l'Opéra, avec une Clémence de Titus (Mozart) éclairée par la magnifique Elina Garanca mais endormie par un chef indigne [je reparlerai de ce spectacle ultérieurement...], et une Salomé qui tient la route, grâce à une interprète d'exception, Catherine Naglestad. J'ai vu deux représentations de ce spectacle, très différentes: le 27 septembre, il a fallu une demi-heure pour que les choses démarrent; le 1er octobre, tout était bien dès le début. Mystère...

-Lors de la dernière Technoparade, un des slogans était "Monter le son pour lutter contre la faim". Magnifique bonne conscience occidentale qui orne ses petits plaisirs égoïstes de belles intentions (je ne prétends pas sauver le monde en allant à l'Opéra, pour ma part)...
Mais aussi atterrante conception de la musique, où seul le volume sonore compte. Pour moi la musique doit être une émanation du silence, pas une manière d'occuper un espace. C'est bien la différence entre la musique classique et un certain nombre d'autres musiques dont la techno: dans un cas, il faut aller vers elle, qui ne se donne qu'à ceux qui veulent bien parcourir le chemin; dans l'autre, elle vient vers toi sans te demander ton avis, s'empare de toi et tue toute pensée. Sans doute peut-elle ainsi combler des vides - ça ou les psychotropes...

mardi 26 septembre 2006

Je l'ai vu

Je fais partie des nombreux mélomanes qui ont été atterrés lors de la parution du nouveau programme du Châtelet, notamment à cause de la programmation de pas moins de 34 représentations du Chanteur de Mexico, opérette (ou plutôt comédie musicale) de Francis Lopez, "immortalisée" par Luis Mariano.
Mais, comme j'ai un minimum de conscience professionnelle (bien que ce ne soit pas ma profession...), j'ai décidé d'aller voir ce spectacle, en l'occurrence sa seconde représentation jeudi dernier.
Il ne m'a pas été difficile de trouver une place, le début de saison étant comme toujours un peu poussif (mais pas d'illusion, ce sera bondé pour les fêtes!). Le public est bon enfant, très bourgeois et assez vieux, mais pas seulement. Pour autant, il faudrait être stupide pour qualifier ce choix de programmation de "démocratique": vendre 90 € (1ère catégorie) un spectacle pareil, il faut oser...
Bien sûr, on me dira que j'avais des préjugés. Mais c'est loin d'être la première fois que je vais voir un spectacle avec des préjugés et bien souvent ils ont été pulvérisés; ça a notamment été le cas pour les Offenbach donnés dans le même lieu...

Il faut bien en venir à ce qui fâche: la musique. C'est épatant de constater à quel point il n'y a rien là-dedans; le grand mérite de la partition, c'est de n'avoir aucune prétention, mais j'ai envie de dire que qui ne veut rien n'a rien: et on n'a rien. Le seul passage qui ressemble un peu à quelque chose est la scène des conspirateurs au 2e acte; cela ressemble, en fait, très précisément à du Offenbach... L'histoire, elle, vaut ce qu'elle vaut, mais même une excellente hitoire n'aurait pas résisté à la misère intellectuelle de Lopez... Le seul intérêt de la chose est de voir ce qui a pu passionner des milliers de spectateurs il y a un demi-siècle - mais il y a bien d'aurtes succès du passé qui mériteraient une résurrection...

Tout ceci, bien sûr, était prévisible. Ce qui l'était moins, c'est que la mise en scène est exactement aussi nulle que la musique. Oh, bien sûr, il y a bien des sortes de nullité, et le mot est bien vague: des Noces de Marthaler au Couronnement de Poppée de McVicar, on en a vu d'autres... Celle-là, pourtant, est la nullité même: il n'y a rien. Pas de travail en profondeur sur l'oeuvre, les personnages, le contexte -mais ce genre d'intellectualité n'aurait sans doute guère enthousiasmé un public peu gourmet. Mais surtout il n'y a même pas ce à quoi je m'attendais, une espère de vulgarité assumée, triomphante, provocatrice, qui aurait eu le mérite de la franchise et aurait certainement été beaucoup plus drôle que ce spectacle mou.

Il n'est pas étonnant de ce fait que le public, lui aussi, reste mou jusqu'à la fin du 1er acte, quand un décor énorme, d'un kitsch que la mise en scène n'atteint hélas jamais, cadre à l'inévitable tube Mexico. Celui-ci est chanté par un ténor que j'espère ne jamais réentendre, un certain Mathieu Abelli, qui abuse de son fausset d'autant plus facilement que, comme ses collègues, il est affreusement sonorisé. A vrai dire, cela s'expliquerait pour les acteurs Couraud, Benguigui et de Palma, qui n'ont vraiment aucune voix chantée; c'est par contre particulièrement absurde pour l'excellent Frank Leguérinel, seul vrai chanteur professionnel dans cette morne plaine.
L'autre problème du spectacle est que le meilleur chanteur est aussi le meilleur acteur; ceux dont c'est la profession, et qui on sans doute été plus choisis pour leur célébrité médiatique que pour leur talent, sont il est vrai si peu dirigés que la grande banalité de leur jeu n'est pas uniquement leur faute.

L'opérette "triomphe" donc au Châtelet: Jean-Marie Le Pen doit être content, lui qui faisait de la renaissance de l'opérette le seul point de son programme culturel pour la présidentielle de 2002. Et la France, vue à travers le public du Châtelet, paraît désormais suffisamment décérébrée pour tomber dans les bras du triste Nicolas.

vendredi 15 septembre 2006

Rentrée

Je viens de voir le film Adieu ma concubine, qui n'est sans doute pas un très bon film, mais qui parle d'opéra chinois. Je n'y connais absolument rien ; ce qui m'a intéressé, c'est la manière dont, dans l'opéra chinois, ce n'est pas seulement la musique et le texte qui sont transmis de génération en génération, mais aussi la gestuelle, les costumes et même le maquillage des acteurs.
Ce n'est pas le cas dans notre monde opératique occidental. Certains le regrettent sans doute, et les nombreux spectateurs qui ont hué le metteur en scène Andrei Serban pour la première représentation de Lucia di Lammermoor à l'Opéra Bastille samedi dernier en font sans doute partie. La production de Serban n'est pas intouchable, et je trouve à cette reprise, comme souvent avec les reprises de l'ère Mortier, une certaine mollesse dans l'exécution de la mise en scène, sans doute due aux conditions de répétition. Mais il y a de nombreuses belles idées, de belles images que ceux qui ont de la beauté en scène une vision stéréotypée ne savent pas voir. L'actualisation de Serban, qui évite la maladresse de situer l'action dans une époque trop déterminée, est nourrie à la substance de l'oeuvre, où la violence est omniprésente, et où à la fin la violence apparaît comme la seule réponse à la violence. L'utilisation du personnage anecdotique de Normanno, le sbire d'Arturo, est remarquable ; face au pouvoir de la religion (Raimondo, au rôle extrêmement trouble) et aux forces de la politique (Arturo/Enrico), il est entre autres les forces de l'argent, et cette trinité sinistre domine admirablement la mise en scène de Serban, face à l'innocence en danger de Lucia. Celle-ci perd son innocence très tôt, confrontée à la complexité du monde : dès le 2e acte finalement, elle est contrainte de rentrer dans des jeux troubles pour ne pas être broyée par une machine qui la dépasse.
On me reprochera de consacrer trop de place à la mise en scène et pas assez à la partie musicale. Je répondrai que ce qu'on appelle " la partie musicale " se réduit souvent à un jeu de bons et de mauvais points pour les chanteurs et le chef, ce qui m'intéresse vraiment très peu; j'ajouterai quand même que, pour une oeuvre qui n'est pas le sommet de la création musicale de l'Occident, nous avons pu assister à une exécution de niveau très satisfaisant: dominée par une Natalie Dessay au timbre désormais assombri (je veux dire par là enrichi) et à l'incarnation sans faille, la soirée présentait en outre un excellent baryton, Ludovic Tézier (belle voix sombre et incarnation sobre -son personnage n'est pas un méchant d'opérette) et un ténor qui tient la route sans séduire. Très médiocre en revanche le malheureux Arturo, l'époux assassiné. Pidò efficace, parfois un peu bruyant.

Ceux qui n'ont pas aimé pouvaient toujours aller au Théâtre des Champs-Elysées voir la tiède soirée Roland Petit, vue la veille, qui montrait bien que la médiocrité satisfaite et bénie par le temps remporte toujours un grand succès...

vendredi 8 septembre 2006

Bonjour...

En attendant mieux, une petite présentation provisoire de ce blog: c'est le blog personnel d'un mélomane intéressé par la musique (exclusivement "classique", du XVIIe... au XXIe siècle).
Je ne chercherai pas absolument à coller à l'actualité, mais étant actuellement (entre autres) à Paris, je parlerai évidemment de ce qui se passe à Paris: Opéra de Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le Châtelet ou ce qu'il en reste, ma chère Cité de la Musique, et très bientôt Pleyel!
Si un peu de vitriol se glisse épisodiquement dans ces lignes, vous ne m'en voudrez pas!
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