Cela fait trois fois que j'assiste à une première cette saison. Dans les trois cas, l'équipe de mise en scène a été huée, de façon à chaque fois imméritée à mon sens. Mais autant je comprends, sans les approuver, les huées qui ont accueilli la Lucia di Lammermoor mise en scène par Andrei Serban, qui défiait ouvertement les habitudes du public parisien et n'a pas hésité à le provoquer lors de ladite première (cf. un message ci-dessous), autant la réaction du public d'hier soir reste à mes yeux totalement incompréhensible et absurde.
Donc, Haendel, Jules César, une partition qu'on commence à bien connaître (encore que le jour où les opéras de Haendel connaîtront autant de représentations qu'un vulgaire Puccini n'est pas encore venu - j'ai beau avoir le temps devant moi, je crains de mourir sans le connaître, ce jour), dans un lieu où Haendel a connu pas mal de triomphes (le plus beau étant pour moi comme pour beaucoup l'inoubliable Agrippina mise en scène par David McVicar) et où, en général, on ne s'occupe pas trop de la mise en scène pourvu qu'elle ne fasse pas de vague. Dominique Meyer, avisé patron du TCE, n'avait pas pris beaucoup de risque en recourant à Irina Brook, experte en produits bien finis, chics et élégants, qui avait déjà signé une jolie Cenerentola au TCE. Le produit livré correspond bien à ces attentes, avec à la fois un sens certain de l'émotion et un humour discret, parfois un peu simpliste: sa lecture de l'oeuvre est précise et on est bien loin du "tout grotesque" qui a beaucoup desservi Haendel sur les scènes européennes depuis une quinzaine d'années (le sommet étant un stupide Rinaldo monté à Montpellier, Innsbruck et Berlin). Il ne faut pas oublier que l'humour est bien présent dans l'oeuvre, autour des relations entre Cléopâtre et Ptolémée notamment, et ce serait un contresens total que de penser que l'opera seria appelle forcément un traitement marmoréen: si les différentes mises en musique de L'Olimpiade, par exemple, ne laissent pas de place pour l'humour, d'autres serias sont au contraire de véritables comédies parfois féroces, comme l'Agrippina de Haendel ou le délicieux Ottone in villa de Vivaldi (très bon enregistement dirigé par Richard Hickox chez Chandos), ou la chute d'un bon à rien...
Irina Brook sait ainsi laisser à certains airs, comme les lamentos de Cléopâtre, le temps de laisser l'émotion se développer, par une direction d'acteurs qui peut paraître statique mais est beaucoup plus précise et travaillée qu'il n'y paraît. Le tout, dans un décor discret de désert et avec des costumes qui mélangent costumes modernes et orientalisme délicat, est donc bien loin d'appartenir à la mouvance la plus provocatrice de la scène lyrique parisienne et avait de quoi contenter une bonne partie du public. J'ai l'impression que la violence de ces huées a paru incompréhensible à une bonne partie du public...
Musicalement, le spectacle était en de bonnes mains, avec un Christophe Rousset parfait à son habitude, sans grands effets mais plein de délicatesse et de générosité. Il a réalisé une partition d'un peu moins de 3 heures, ce qui laisse de côté une partie non négligeable de la partition mais n'est finalement pas si mal. Le César d'Andreas Scholl est certainement l'aspect le moins satisfaisant de la distribution: sa voix toujours plus nasillarde, sa diction impossible et ses vocalises hasardeuses sont à mille lieues des grandes réussites d'une Larmore ou d'une Mijanovic; même du côté masculin (qui n'est pas celui que je préfère), un Lawrence Zazzo aurait certainement été bien préférable. L'autre point faible de la distribution est l'interprète de Sesto (comme souvent, Dieu sait pourquoi): Alice Coote a une voix banale et une interprétation qui ne l'est pas moins. Mais ces limites sont largement compensées par la belle Cornelia de l'impeccable Sonia Prina, qui aura intérêt à aborder le rôle titre dès que possible, et surtout par Rosemary Joshua en Cleopatra. Cette chanteuse, que j'avais entendue pour la dernière fois cet été dans Orlando à Munich, est certainement aujourd'hui, avec Sandrine Piau, la meilleure soprano haendelienne sur les scènes: sa voix extrêmement mobile, d'une sensibilité extrême, sans afféteries et sans grands effets, va particulièrement bien à ce rôle qui parcourt toute la gamme expressive du rire au lamento. Je n'hésite pas à dire que c'est sans doute la meilleure Cléopâtre que j'ai entendu, malgré toute mon admiration pour Magdalena Kozena...
Pour la magnifique Joshua, pour la beauté d'un grand orchestre haendelien, et surtout, ce qu'on oublie trop souvent de dire, pour une musique magnifique où (presque) pas un air n'est un chef-d'oeuvre, une soirée à conseiller!
mercredi 18 octobre 2006
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"on est bien loin du "tout grotesque" qui a beaucoup desservi Haendel sur les scènes européennes depuis une quinzaine d'années"
RépondreSupprimer> Tu es bien indulgent… Cléopâtre en Mylène Farmer, c'est sûr que c'est très fin.
J'ai trouvé ce spectacle désolant. Que le livret soit ironique, c'est un fait, mais justement son esprit joue avec l'image héroïque des personnages pour la subevrtir, sans renoncer à des inflexions tragiques. Du grand art, qui vaut mieux que la paresse, la platitude et même la grossièreté consternantes de cette mise en scène. (J'ai failli dire : sa vulgarité, j'aurais dû, car au sens strict c'est ça.)
beaucoup moins desolant que la grossierete du public de premiere,et de l'etroitesse d'esprit de certaines personnes d'opera,qui n'imaginent pas l'enormité de travail que represente monter un opera,et a qui cela ne traverse pas l'esprit que le travail est fait avec integrité et passion et en plus l'espoir profond de partager son plaisir de l'oeuvre avec le public.
RépondreSupprimerps: je ne sais meme pas qui est mylene farmer
irina brook
besoin de verifier:)
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