lundi 4 juin 2007

Thalia bifrons

Autrefois - à l'époque de Jean-Pierre Miquel, dans les années 90 -, il y avait un "ennui Comédie-Française, fréquent mais non systématique. On arrivait, on s'installait confortablement, la pièce commençait... Au bout d'un quart d'heure, on s'endormait paisiblement, assuré que rien d'important n'allait se passer, et on se réveillait un quart d'heure avant la fin, constatant avec satisfaction qu'en effet rien ne s'était passé. On sortait de là, pas plus avancé en sagesse, mais au moins bien reposé. C'était notamment le cas du Misanthrope que le maître des lieux avait mis en scène lui-même, et dont le moment fort était l'allumage des bougies.
DSCF1852
La formule de cet ennui exclusif est-elle perdue? Le Misanthrope que Lukas Hemleb vient de créer à la Salle Richelieu, le laisse croire. Car on s'y ennuie beaucoup, bien sûr, mais on ne peut plus dormir aussi tranquillement. A moins d'avoir une forte résistance à la bêtise, à la vulgarité et aux cris. Car Alceste, le crasseux Alceste, crie beaucoup: et malgré tout, Thierry Hancisse, un si bon acteur, n'en est pas moins d'une pâleur atterrante. Quelques acteurs ressortent un peu plus, dont Elsa Lepoivre (Eliante). Mais qu'est-ce qu'une mise en scène sans idée sur la pièce, contre laquelle les acteurs doivent se battre pour exister ne serait-ce qu'un peu?
L'esthétique générale est plutôt classique, pas de frayeur: mais on n'échappe pas à une caractérisation caricaturale, digne de TF1, des petits marquis. Au moins, dans l'Ariodante qu'il avait mis en scène au TCE cette saison, Hemleb ne pouvait-il pas tuer entièrement les charmes de la musique. De la pièce de Molière, hélas, il ne reste cette fois rien.
On peut seulement espérer que ce spectacle malheureux, qui ennuiera des masses de scolaires au nom d'une vision sclérosée de la culture, est un résidu du mandat de Marcel Bozonnet plus qu'une affirmation de la part de la nouvelle administratrice Muriel Mayette...


Heuresement, ceux qui veulent croire que la Comédie-Française a encore un avenir pourront se consoler en regardant à la télévision le merveilleux Cyrano de Bergerac mis en scène par Denis Podalydès: un spectacle à l'esthétique certes classique, mais qui n'en est pas moins du vrai théâtre, intelligent et moderne. Bien sûr, il vaudrait encore mieux aller le voir en vrai, ce spectacle, et on ne peut qu'espérer qu'il sera repris la saison prochaine; en attendant, le voilà à la portée de tous...
Diffusion le 15 juin à
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...