samedi 28 novembre 2009

Platée orpheline ou les malheurs de l'opéra baroque

Grâces soient rendues à Nicolas Joel : en cette période de fêtes qui s'approche, le voilà qui daigne offrir au public parisien une production d'opéra baroque, en l'occurrence Platée de Rameau. Noblesse oblige, ce n'est pas une nouvelle production qui nous est offerte : le nouveau, aujourd'hui, est mal vu, et une production de 1999, vue et revue, est une efficace protection contre les dangers de l'innovation. Bien sûr, la production de Laurent Pelly est une production de grande qualité, pour laquelle on craint seulement les outrages du temps, comme d'ailleurs un peu pour la distribution très expérimentée qui est proposée le mois prochain (Mireille Delunsch, Paul Agnew ou Jean-Paul Fouchécourt ont déjà accompagné cette production dans toute l'Europe).

Mais foin de l'ironie ici : le problème, car il y en a un, c'est que la dernière nouvelle production à Paris d'un opéra de Rameau date de 2003 (Les Boréades)*, que Haendel ne va guère mieux, et que les audaces représentées par des titres plus rares (se souvient-on que le Théâtre des Champs-Élysées avait osé monter L'Argia de Cesti il y a de longues années ?) ne sont plus du tout à l'ordre du jour.

Bien sûr, le baroque ne se porte pas si mal : les ensembles spécialisés sont au sommet de leur notoriété, sans avoir pour autant vu leur assise financière stabilisée ; les concerts font le plein, et la résonance médiatique ne manque pas. Mais la demande du public n'est rien à côté de l'inertie du système, et surtout à côté de la vague réactionnaire qui enfle, sensible par exemple à travers la programmation de l'Opéra-Comique, où on ressuscite les pires niaiseries pourvu qu'elles soient françaises et XIXe. Ce n'est pas pour rien que le débat nauséabond sur l'identité nationale se déroule au beau milieu de cette programmation de l'Opéra-Comique et au moment précis de la création de la Fondation Bru-Zane, consacrée à la résurrection de l'indispensable patrimoine musical romantique de notre grand pays (on attend avec impatience les Schubert, les Beethoven français...).

Le baroque, c'était le risque, la confrontation avec des sonorités nouvelles, la découverte de modes de pensée complètement différents, la démarche philologique, démarches pour moi intrinsèquement liées avec celle de la musique contemporaine. Ces nouvelles tendances, c'est Au théâtre ce soir (dont les DVD sont un grand succès, autre signe !), comme les spectacles de l'Opéra-Comique, sauf exception (le beau Didon et Enée de Deborah Warner) en sont l'illustration : la consommation digestive de spectacles divertissants, de mélodies sympathiques et vite oubliées, sans ambition, sans ampleur.

Le baroque, bien sûr, n'a pas toujours été aussi idéal que je l'ai décrit ici, et il reste bien du travail pour faire admettre au mélomane moyen que, de même que Haendel ou Rameau valent bien Verdi ou Puccini, les œuvres instrumentales de Froberger ou de Couperin sont à la même hauteur absolue que Schubert, Chopin ou Brahms. Il n'en est pas moins désolant de voir que certains de ses artisans, dans la jeune génération, n'hésitent pas à entrer dans la voie du nivellement commercial : on pense ici à l'imposture des productions du metteur en scène Benjamin Lazar (pseudo-reconstitutions de spectacles baroques sans vie, purement décoratives, sans compréhension des œuvres qu'il maltraite ; cf. les DVD de ses spectacles chez Alpha) ou au travail de Christina Pluhar que j'avais récemment chroniqué, qui assimile le baroque à une forme de culture pop.


Il faut, paraît-il, réhabiliter le répertoire français ? Soit, mais faisons-lui honneur : la boîte aux trésors n'est encore qu'entrouverte.



*La production de Zoroastre à l'Opéra-Comique n'était que la reprise d'un médiocre spectacle de Drottningholm (Pierre Audi, un des metteurs en scène les plus surestimés d'aujourd'hui). On me dira qu'il y a aussi la province : mais un Dardanus ici, un Hippolyte et Aricie là ne compensent pas les tombereaux de Bohème, de Traviata et de Rigoletto qu'on produit en série. Comparaison significative : 187 représentations verdiennes en 2008/09 et 2009/2010 en France, 35 pour les œuvres de Rameau - et 32 pour Lully [source : Operabase] : que l'ensemble des représentations baroques parvienne à atteindre le chiffre des représentations des œuvres du seul Verdi n'est aujourd'hui qu'un rêve...

vendredi 27 novembre 2009

Le veau d'or est toujours debout (mais il est fatigué)

Se réjouir du malheur des autres, c'est mal. On ne peut pas s'en empêcher, pourtant, en entendant la nouvelle de la faillite momentanée de l'émirat de Dubai : qui sait, peut-être cela fera-t-il réfléchir les responsables de nos institutions culturelles si promptes à vendre leur âme au plus offrant... Je sais bien, le Louvre ou la Sorbonne ne sont pas implantés à Dubai, mais à Abu Dhabi, apparemment beaucoup plus solide financièrement, mais il est bon que soit rappelée ainsi la fragilité de ces constructions fondées sur l'argent seul, pour lequel la culture n'est qu'un attrape-touristes (riches).
Oublions un peu ces projets douteux, et pensons plutôt à faire revivre un idéal bien oublié, celui de la démocratisation culturelle : en ces temps de débats douteux (ou plutôt pas douteux du tout, franchement malodorants) sur l'identité nationale, un peu plus d'ambition dans ce domaine ne pourrait pas faire de mal.

mardi 24 novembre 2009

Le goût du médiocre ou Il faut de tout pour faire un monde

Il faut de tout pour faire un monde, Korngold, Giordano et Gounod font partie du répertoire, qui êtes-vous pour critiquer ces compositeurs, il y a un public pour ça, de temps en temps c'est bien de ne pas se prendre la tête, au moins chez Massenet il y a de belles mélodies, il faut des mises en scène que tout le monde puisse comprendre...
Ca y est, vous en avez assez ? De ces bêtises qu'on entend à longueur de temps pour justifier inlassablement la programmation des pires platitudes, la résurrection obstinée d'œuvres justement oubliées, l'exaltation d'insultes à l'intelligence. Lit-on encore Paul Bourget ? Non, mais on joue toujours Massenet. Joue-t-on encore La Tosca de Victorien Sardou ? Non, Dieu merci, mais on ne saurait imaginer une maison d'opéra ne jouant pas, jusqu'à plus soif, son adaptation puccinesque.
La pire ineptie sort de la bouche de ceux qui voudraient, au nom de la démocratisation culturelle, qu'on nivelle tout par le bas, qu'on ne joue qu'une musique bien propre sur elle, avec une belle mélodie qui donne envie de la chanter avec l'orchestre ou le chanteur - et si possible, quand il s'agit d'opéra, dans une mise en scène platement réaliste, les pauvres étant trop bêtes pour prendre plaisir à Marthaler ou Warlikowski.

On se lasse, forcément, de toute cette médiocrité : je m'offre le plaisir de faire une petite liste (non exhaustive !) de tout ce qui m'aide à supporter cette médiocrité triomphante aussi dans le monde de la culture en prouvant qu'il y a encore des gens qui croient que l'exigence est la condition du plaisir :

L'Ensemble Intercontemporain
Le Festival d'Automne à Paris
Pierre Boulez
La musique de chambre
Qu'il y ait encore des jeunes musiciens qui fassent le choix fou de se consacrer au quatuor à cordes ou à la musique contemporaine
Les spectacles de théâtre étrangers surtitrés (et le fait qu'il y ait toujours un public pour les déguster)
La Cité de la Musique
Le clavecin et les clavecinistes
Les DVD d'opéra contemporain
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