samedi 27 octobre 2007

Admirations (2) : Pierre Boulez

Pierre Boulez, compositeur, chef d'orchestre, bien sûr. Mais aussi polémiste, pédagogue infatigable, théoricien de la musique, fondateur d'orchestre...
Il est loin, le temps où Boulez symbolisait tout ce que le public ne veut pas entendre dans la musique contemporaine : tous les concerts qu'il donne sont désormais ovationnés quels qu'en soit le programme, on multiplie les hommages, et peu de grands orchestres résistent encore à inscrire sa musique à leurs programmes (hors les orchestres parisiens, bien sûr, mais sont-ils de grands orchestre). C'est le privilège du grand âge, le fruit du suivisme médiatique et la récompense de talents de chef d'orchestre hors du commun.
Un souvenir personnel tout d'abord: quand, il y a quelques années, Pierre Boulez a dirigé l'Orchestre de l'Opéra de Paris pour la première fois depuis plusieurs décennies, il avait choisi notamment Le Chant du rossignol de Stravinsky. Je me souviens d'un long solo de trompette (piccolo? Je n'ai pas l'oeuvre en mémoire) d'une beauté étincelante: bien sûr, l'instrumentiste mérite sa part de louanges, mais ce solo aveuglant illustrait à merveille l'art du chef d'orchestre : tout est dans le dialogue entre les instrumentistes et le chef.
La technique, comme dans tout art, n'est que la couche superficielle de l'accomplissement : on ne peut que plaindre les spectateurs naïfs qui décortiquent à longueur de concert la gestuelle des chefs - je citerais volontiers Claudio Abbado, chef dont chaque concert est inoubliable mais chez qui il n'y a rien à voir. Celle de Boulez, pourtant, est l'une des plus singulières qu'on connaisse : ces bras dessinant des figures géométriques, de façon presque imperturbable, de piano en fortissimo, de l'adagio au vivace - l'émotion en est, apparemment, absente, mais c'est que Boulez a compris que dans la musique l'émotion vient de l'intérieur, de la texture même du son.
On est trop blasé, à Paris, sur les fréquents concerts de ce chef d'exception : chacun d'eux reste un événement.

Vous l'aurez compris : c'est comme chef que j'ai découvert Pierre Boulez. Cela m'a aidé à découvrir son importance dans l'ensemble du monde musical, par les interrogations qu'il n'a eu de cesse de défendre sur les institutions musicales, par son activité de définition du répertoire (en faveur de Webern ou de Schoenberg, de Stravinsky, de Kurtag et de tant d'autres compositeurs plus jeunes), par son talent, dont le souvenir se perd, de polémiste.
Le compositeur, pendant longtemps, m'est resté étranger, en partie parce que la théorisation par Boulez de son activité de compositeur, trop souvent reprise sans discernement, m'avait donné, comme à tant d'autres, une fausse image de sa musique. La révélation m'en est venue par l'écoute isolée d'un mouvement du Marteau sans maître* : quelques minutes suspendues, où dialoguent une contralto et une flûte : rencontre somptueuse de deux timbres, plaisir du rythme, des frottements harmoniques, de l'individualité des interprètes. Musique intellectuelle ? Je n'en sais rien, et même je me demande ce que cela veut dire. Mais musique, ô combien, musique faite de beauté, de plaisir des sens, immédiate.
Je ne me sens pas capable, aujourd'hui, d'en dire plus sur ce monde que je ne fais que découvrir. Mais suivez-moi, et vous ne serez pas déçus du voyage.



*Plus précisément dans la dernière version, enregistrée par le maître avec la contralto Hilary Summers, qui fait partie de ma liste de grands chanteurs tellement plus intéressants qu'un Pavarotti...
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