-Ma mère, je la vois, oui je revois mon village,
O souvenirs d'autrefois, doux souvenirs du pays.
-Sa mère, il la revoit, oui il revoit son village,
O souvenirs d'autrefois, doux souvenirs du pays...
Mais le plus grave problème concernant cette redite pavlovienne, c'est que ce n'est pas vrai! Présentons d'abord la victime, via un lien au texte intégral: http://jp.rameau.free.fr/les_paladins.htm.
Bien sûr, comme tout livret d'opéra à quelques exceptions près, la lecture seule peut paraître déroutante, mais c'est d'efficacité dramatique, et plus précisément de théâtre en musique qu'il est question ici. Les Paladins sont une comédie, qui n'a ni souci de vraisemblance ni prétention à une intrigue extrêmement construite. Cette comédie ne constitue donc en aucune façon une comédie de moeurs, "grand genre" du théâtre comique français depuis Molière; elle en est encore plus loin que Platée, dont l'héroïne éponyme a quelque chose d'une bourgeoise gentilhomme.
Pourtant il y a bien du théâtre ici, et même du fort bon théâtre. Le genre auquel appartient cette pièce n'est pas véritablement un genre établi, encore moins dans le théâtre parlé: il s'agit d'un type de comédie burlesque fondée sur le merveilleux, donnant lieu à une profusion de décors (le château de la fée Manto, la fête des Paladins...). Les éléments textuels sont relativement minces, pour permettre à la danse et sans doute à une forme de mime de la part des personnages de prendre toute leur place, avec un effort très intéressant de la part des auteurs d'intégrer les divertissements dansés, qui sont inhérents à l'esthétique de l'opéra baroque français, à l'action.
Les personnages sont dessinés de façon très nette : le plus intéressant est certainement Orcan, dont les rodomontades pleutres font fortement penser à un personnage de Cadmus et Hermione de Lully; mais Nérine, la piquante, l'intrépide servante de la belle Argie, se porte elle aussi au niveau des grandes servantes de comédie. Argie elle-même, qui pourrait n'être qu'une belle fille passive comme on le voit dans tant d'autres opéras, a quelque chose d'une fragilité enfantine, qui rend touchante sa douleur initiale tout en lui permettant de se réjouir sans contrainte à l'humiliation d'Orcan.
On peut, bien sûr, mépriser ce genre de fantaisie, comme on peut faire la fine bouche sur tout ce qui est drôle, léger, sans prétention. Mais quand on aime le théâtre et qu'on prétend comprendre un peu quelque chose à l'esthétique de l'opéra baroque, je ne vois pas comment on peut sérieusement mépriser ce livret.

Ledit produit fini est fait pour un public précis, auprès duquel il a un grand succès; c'est un public zappeur, qui ne supporte un spectacle qu'à condition qu'il y ait une profusion d'images; surtout, pas de sens, pas de temps pour la réflexion! On comprend, d'ailleurs, qu'un public qui aime ce lavage de cerveau déteste à ce point le Jules César d'Irina Brook (voir message ci-dessous), peu profond certes, mais qui laisse aux émotions le temps de se développer... La bourgeoisie inculte qui lit les suppléments du week-end du Figaro se retrouve idéalement dans ce miroir complaisant, qui lui donne même l'illusion du progressisme (la vidéo) et de la tolérance (vous vous rendez compte, ma chère, il y avait même des Noirs sur scène - peu importe que l'image donnée par Montalvo des Noirs en question soit plus proche du nègre Banania que d'une véritable tolérance: tant qu'ils font ce qu'ils savent faire - parce que ces gens-là, c'est bien connu, ont le rythme dans la peau - ils sont acceptables pour le public bourgeois; qu'ils dansent, soit, mais qu'ils ne prétendent pas s'intégrer au coeur de la société française; avec les intentions contraires, Montalvo livre ainsi une parfaite leçon de racisme ordinaire).
Prétendre retrouver l'essence de la musique de Rameau en vidant l'oeuvre de toute sa substance, en ne jouant que sur son côté, disons, "entraînant", en emplissant la scène jusqu'à l'apoplexie de tout ce qu'il faut pour contenter un public superficiel, Montalvo a ainsi monté un des spectacles les plus stupides des dix dernières années. Honte au Châtelet de l'avoir créé, honte à son directeur actuel de l'avoir repris.