vendredi 14 décembre 2007

Spectateur (2) : E voi non applaudite ?

Ne faisant pas mon deuil (pour emprunter une expression à la mode) de l’« ancien » Châtelet foyer de création et d’art vivant, j'ai dépensé de mauvaise grâce 10 euros pour aller voir l'une des 50 représentations de la production allemande de West Side Story accueillie par M. Choplin (qui a le front de faire passer cette tournée commerciale multidiffusée comme une production propre, mais passons).

Ce qui m'a frappé, plus qu'une production d'assez bonne routine, c'est l'attitude du public face à ce spectacle dont le principal mérite était sans doute à ses yeux de ne lui présenter que ce qu'il connaissait déjà. Je ne suis pas un habitué de ce genre de spectacle, et la manière entièrement mécanique avec lequel le public applaudissait systématiquement à chaque noir m’a particulièrement frappé. Ces applaudissements intenses ne variaient que très peu dans leur intensité, qu’ils concluent une simple scène de transition ou accueillent la fin d’un des tubes de la partition de Bernstein ; on sentait là un public entraîné, obéissant, plein de bonne volonté ; on ne sentait pas là la spontanéité, l’émotion, la sensibilité individuelle.

Je ne m’illusionne pas, bien sûr, sur la qualité des applaudissements qui ponctuent les concerts classiques : j’ai trop souvent observé à quel point les conclusions fortissimo appelaient des applaudissements de même intensité, à quel point un mauvais chanteur est souvent aussi ovationné qu’un bon, pour croire sans restriction à la valeur supérieure des applaudissements du public de la musique classique ; les fans d’opéra et d’Hélène Grimaud n’agissent pas ici plus intelligemment que les fans enamourés de telle starlette de téléréalité. Et tant de braves gens pour applaudir frénétiquement au moindre silence, pour retomber dans ses bavardages, ses toux, ses explorations de sac à main sitôt la musique reprise.

Il y a pourtant, parfois, souvent, dans le monde classique, des moments où les applaudissements ont un sens. Un de mes plus beaux souvenirs d’opéra est une représentation du Retour d’Ulysse de Monteverdi à Munich : l’entracte était placé après la scène émouvante des retrouvailles entre Ulysse et Télémaque. Le public ce jour-là a applaudi pendant plusieurs minutes une fois le rideau tombé, alors qu’il ne se passait rien sur scène, alors que personne n’est revenu saluer, simplement sous le coup d’une émotion collective. Beau, très beau moment.

Il faudrait dire au public que rien ne l’oblige à applaudir. Le pianiste Vladimir Horowitz, à qui on demandait ce qu’il attendait du public, répondait : « Le silence. – Les applaudissements ? – Non, le silence. On applaudit aussi les boxeurs. » Je me souviens avoir été presque incapable d'applaudir, tétanisé, lorsque Claudio Abbado est venu diriger la 9e symphonie de Schubert à la Cité de la Musique.

Les interprètes le savent comme le public des habitués : les applaudissements ne veulent rien dire quand le public a passé tout le concert à tousser, à feuilleter son programme et à se trémousser sur son siège. Dans les moments de grâce à l'inverse, il règne dans les salles un silence extraordinaire, condition d'une meilleure réception. Parler, s'exprimer, se sentir exister soi-même avant les autres, tout le monde sait le faire, et notre société nous y encourage à chaque seconde. Se taire, s'ouvrir à l'étranger, au différent, s'enrichir en abolissant temporairement la barrière du moi et du langage : la tâche n'est jamais simple, mais elle vaut qu'on s'y confronte.

dimanche 2 décembre 2007

Festivals (2) : Salzbourg pour quoi faire ?


Salzbourg, c'est le poids lourd des festivals de musique classique : plus de 200 000 places vendues, plus de 200 manifestations, près de 50 millions d'euros de budget* dont un quart seulement de subventions (et, hélas, 15 % de mécénat). Les festivals français, à côté, font pâle figure.
Ce puissant outil, moribond à la fin du règne ploutocratique de M. Karajan, réveillé en sursaut par Gerard Mortier qui lui a donné une nouvelle légitimité artistique, vit désormais sur ses rentes : Peter Ruzicka, intendant de 2002 à 2006, aurait pu reprendre à son compte une phrase inventée pour quelqu'un d'autre : "Mon bilan n'est ni bon, ni mauvais - il est juste nul" - peu de coups d'éclat, des thématiques qui laissent tout le monde indifférent, un peu de hargne contre Mortier mais une continuité molle. Jürgen Flimm, un (mauvais) metteur en scène** qui lui a succédé, est dans la même perspective, mais avec un bilan lyrique, pour sa première année, particulièrement médiocre.
Je n'ai fait qu'effleurer cette édition 2007 (une pièce de théâtre et deux concerts) : mais tous les échos de ce premier festival Flimm parlent d'un demi-succès - Eugène Onéguine et de quelques grands échecs tant musicaux que scéniques : un Benvenuto Cellini noyé sous le spectaculaires et les prononciations exotiques, un Freischütz d'avant-garde non dépourvu de bonnes idées mais mal bâti, une Armida (Haydn) vide de sens et musicalement médiocre. La bonne surprise vient du concert, dirigé par le pianiste Markus Hinterhäuser (spécialiste de musique contemporaine, celui-ci a été imposé à Flimm qui avait choisi un clarinettiste des trop conservateurs Wiener Philharmoniker): si les séries traditionnelles (Mozart-Matineen, Liederabende) semblent laissées en friche, beaucoup de propositions mêlant classique et contemporain ont revivifié un secteur que les Viennois, qui y ont toujours un rôle excessif, voudraient bien chloroformer dans la routine luxueuse.
L'an prochain, à vrai dire, paraît plus intéressant pour l'opéra, en même temps que moins aventureux : le tandem Wieler/Morabito, qui met en scène Rusalka de Dvorak, est un héritage de Mortier, Johan Simons (connu à Paris pour un Boccanegra intéressant) y met en scène un spectacle Bartok, et Claus Guth, qui a triomphé avec des Noces de Figaro en 2006, a le courage d'affronter Don Giovanni. Ce qui manque pourtant à cette programmation, c'est l'esprit du festival, une cohérence intellectuelle : n'a-t-on rien de mieux à y donner qu'Otello ou Roméo et Juliette de Gounod, qui plus est avec un couple de stars (Villazon/Netrebko) qui en garantit la vulgarité ?
Heureusement, il reste possible de piocher, dans ce festival, de quoi satisfaire tout mélomane curieux : et je ne manquerai pas, l'an prochain, d'y faire un copieux séjour. L'esprit des lieux, espérons-le, aura le dessus sur la médiocrité et la complaisance de leur maître du jour.

* Aix-en-Provence, le plus grand festival français, n'atteint pas la moitié de ces différens chiffres.
** Son King Arthur, donné à Salzbourg en 2005, est un des plus mauvais spectacles d'opéra que j'ai vus. Pour les amateurs téméraires, il existe en DVD (contrairement, par exemple, au Wozzek de Chéreau et Barenboim. Entre autres).
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