mercredi 2 mai 2007

Janáček bafoué


Depuis que Gerard Mortier est à la tête de l'Opéra de Paris, on ne peut se plaindre de voir trop peu de Janáček à Paris. En sortant de la première de L'Affaire Makropoulos la semaine dernière, je me suis pourtant dit: mais à quoi bon?
Bien sûr, cela aura peut-être pour effet de faire connaître au grand public ce compositeur majeur, relativement facile d'accès par rapport à des contemporains comme Berg ou Schoenberg, mais ô combien plus riche et passionnant que le grand répertoire qu'on nous ressort à grande échelle (y compris à l'ONP version Mortier...). Nous avons en effet eu jusqu'à présent Katia Kabanova (direction S. Cambreling/ mise en scène C. Marthaler), De la maison des morts (M. Albrecht/K. M. Grüber), Le journal d'un disparu (G. Kuhn/La Fura dels Baus), et depuis quelques jours L'affaire Makropoulos (T. Hanus/K. Warlikowski).
Que restera-t-il de tout cela? Rien, très probablement. Katia, que je n'ai vu qu'en vidéo lors de la création salzbourgeoise du spectacle [DVD], péchait par une mise en scène d'une grande pauvreté avec une direction d'acteurs simpliste, mais la partie musicale était probablement la plus satisfaisante de l'ensemble de ces spectacles.
De la maison des morts, reprise exsangue d'un spectacle probablement très fort (Salzbourg 1992), pâtissait de la perte d'envie du metteur en scène pour la préparation de ces représentations, mais surtout d'un des plus mauvais chefs qu'il m'ait été donné d'entendre (Marc Albrecht - à proscrire).
Pour le Journal, la mise en scène passe-partout ne gênait pas, mais la partition avait été orchestrée par le chef Gustav Kuhn, qui assumait lui-même à la baguette ce massacre (n'importe quel étudiant de conservatoire aurait su mieux respecter l'esprit de Janáček, même en revendiquant comme Kuhn le droit de ne pas en respecter la lettre).

Gerard Mortier dit ne pas aimer les enregistrements de ces opéras par Charles Mackerras, qui constituent encore aujourd'hui la base de la discographie. Il leur reproche sans doute de trop "lisser" la musique de Janáček pour la rendre plus facilement digestible: c'est également ce que je pense. Il y a bien des chefs qui savent rendre l'âpreté, la dureté, le mystère de cette musique, son étrange présence terrienne et exaltée, notamment chez les chefs sensibilisés à la musique contemporaine: pourquoi donc, après Kuhn et Albrecht, imposer encore un chef incapable d'assurer le niveau minimal de cohérence et de précision instrumentale dont cette musique a absolument besoin? Tomas Hanus est incapable de faire naître le discours musical de Janáček, faute de maîtrise minimale de la partition et de la technique de l'orchestre, si bien qu'il n'y a, de toute la soirée, aucune musique à entendre.
La distribution, correcte, n'y est pour rien: Charles Workman ou David Kuebler ne déméritent pas, mais que pourraient-ils faire face à ce néant? D'autant plus que le néant n'est pas que dans la fosse: on se demande bien comment on peut trouver du charisme à Angela Denoke. Sa voix banale serait tout à fait suffisante si elle était animée, mais son manque d'intelligence scénique est patent (mais après tout, il y a bien des gens pour trouver que Susan Graham est une tragédienne).
Quant à la mise en scène, elle ne vaut pas la peine de s'étendre: au fond, ce n'est que du Zeffirelli en costumes modernes (avec urinoirs). Pas gênant, mais le théâtre n'y existe pas au-delà des décors; quant à la transposition dans le monde du cinéma hollywoodien, elle ne fait que caresser le public dans le sens du poil...

Heureusement, l'Opéra Bastille nous a offert un très beau concert peu avant, avec la venue de Christoph von Dohnanyi: voilà un chef, voilà un orchestre qui, quand il le veut, est le meilleur du monde!
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