mardi 15 septembre 2009

Heidi sans les Alpes : Mireille de Gounod à l'Opéra Garnier

Il faut bien commencer par quelque chose : Nicolas Joel a choisi Mireille de Gounod, dans sa propre mise en scène, pour débuter son mandat de directeur de l'Opéra National de Paris. Grand moment médiatique, en présence du momifié ministre de la Culture et surtout de la Communication (parce que la culture, face à TF1...), et sous les yeux des caméras, qui retransmettaient en faux direct (donc en vrai différé) sur France 3, qui croit ainsi assumer une mission culturelle.
Chronique d'un naufrage annoncé? J'avais pris la peine d'écouter plusieurs fois l'œuvre après l'annonce de la nouvelle saison au printemps, et j'en avais tiré l'impression d'une bluette inoffensive, sentimentale, assez plate, avec un livret très niais. Qualificatifs qui, à l'écoute en salle, se sont tous avérés, sauf un : bluette niaise, certes, mais pas inoffensive. Au contraire, cela fait beaucoup, beaucoup de bruit, avec de grands effets dramatiques qui font parfois l'effet d'un coup de tonnerre dans un ciel radieux (de Provence), tant ils interviennent au beau milieu d'un océan d'inanité. Le grand final du 2e acte est l'épitomé de l'œuvre : un quart d'heure (au moins en durée subjective, voire plus) où il ne se passe rien, où les positions des personnages restent exactement les mêmes, mais où des mini-rebondissements à répétition croient relancer l'action sans parvenir à rien d'autre qu'à augmenter le volume sonore. Quant au livret, un seul très court extrait suffira :

Un père parle en père,
Un homme parle en homme.

Voilà de fortes maximes, dont on peut dire qu'elles résistent haut la main à toute tentative de parodie.

DSCF2508
[je ne sais plus si j'ai déjà publié cette photos de l'une des nymphes à grosses cuisses situées au-dessus de la 4e loge d'avant-scène de Garnier...]

Choisir de donner cette œuvre en ouverture de saison, est un acte idéologique : il s'agit de revenir sur l'évolution du monde lyrique de ces cinquante dernières années, qui a condamné des œuvres comme Mireille à un juste sommeil ; il s'agit de mettre en avant une identité française d'abord ; il s'agit aussi de revenir sur la valorisation des œuvres lyriques de haute valeur musicale (Wagner, Pelléas, Le Château de Barbe-Bleue, Berg...) au détriment d'un répertoire traditionnel plus fondé sur les voix. Les huées virulentes qui ont accueilli le metteur en scène-directeur laissent entendre qu'il aura du mal à convaincre le public parisien, pas aussi ouvert que l'aurait espéré (à tort) Gerard Mortier, mais pas aussi conservateur que ne le croyait Joel.

On sera peut-être surpris que je ne parle pas plus de la mise en scène de M. Joel. Pour moi, le choix de l'œuvre est le crime majeur, la mise en scène et le choix des chanteurs n'est qu'un appendice. M. Joel fait des mises en scène classiques, on le sait : le problème ici n'est pas qu'il s'agit d'une mise en scène classique, mais qu'il s'agit d'une mauvaise mise en scène classique, d'une mauvaise mise en scène tout court : le plateau est terriblement nu dès que le chœur, qui l'occupe au lever du rideau, le quitte pour laisser les personnages principaux à leurs occupations, puisque le décor n'occupe qu'une bande en fond de scène (le décor du désert de la Crau se réduisant à une toile jaune pâle sur laquelle un projecteur dessine un soleil), et les côtés de la scène sont occupés par des portants sans rapport avec le décor. La direction d'acteurs se limite au tout premier degré : il n'y a pas de personnages, pas de relations entre les personnages : quel genre d'amoureux sont Mireille et Vincent ? Tendres, folâtres, plus réservés, joueurs, sérieux, lyriques ? On n'en saura rien. Le travail n'est pas digne d'un professionnel, les entractes et précipités interminables nécessités par ces décors d'atelier théâtre de lycée aggravant encore l'impression d'ennui.

D'autant que la distribution est plus convenable que convaincante : l'excellent Charles Castronovo en Vincent sort résolument du lot, comme, dans un rôle plus secondaire, Amel Brahim-Jelloul qui me convainc pour la première fois. La voix étrange de Sylvie Brunet, qui en fait une Carmen détestable, n'est pas si mal employée ici, et le vétéran Alain Vernhes, dont les limites sont quand même franchement audibles, reste très correct. Les gros problèmes, outre le chœur dont on ne parle plus, sont donc représentés par Frank Ferrari et par Inva Mula, problèmes très différents l'un de l'autre.
Le problème de Ferrari est vite exprimé: un chant fruste, mal maîtrisé, manquant de musicalité, dépourvu de toute possibilité d'interprétation. Mlle Mula, elle, est un cas à la fois plus supportable et plus grave : voilà une voix, certes un peu vieillie désormais, qui a une certaine fraîcheur et une technique incontestable, avec des couleurs, des ports de voix, des piani tant qu'on en veut. Mais si la chanteuse se défend, l'artiste, l'interprète est fantomatique : les effets techniques sont terriblement mécaniques, la diction se défait au cours de la représentation, et le personnage est comme mort : comme une version de concert avec une chanteuse qui aurait découvert la partition la veille et ne peut faire plus que chanter les notes - cela ne suffit pas, et de très loin. Passons sur son jeu scénique : avec un aussi mauvais directeur d'acteurs, elle a des excuses. Le moment où, à la fin de l'opéra, elle monte en pleine agonie vers la croix des Saintes fait partie des moments les plus ridicules qu'il m'ait été donné de voir depuis que je vais à l'opéra.

Tout ceci ne serait pas bien grave si cela ne contribuait à donner de l'opéra en général et de l'Opéra de Paris en général l'image d'un spectacle de vieux, pour les vieux, nostalgique et bien propre sur soi (encore que les costumes-cravate sont décidément en voie d'extinction, même pour une telle première), alors qu'il n'y a rien de plus moderne, de plus transgénérationnel (comme on dit), de plus vivant, de plus intranquille que l'opéra...


Marc MinkowskiDirection musicale
Nicolas JoelMise en scène
Ezio FrigerioDécors
Franca SquarciapinoCostumes
Vinicio CheliLumières
Patrick SégotChorégraphie
Patrick Marie AubertChef du Chœur

Inva Mula Mireille
Charles Castronovo Vincent
Franck Ferrari Ourrias
Alain Vernhes Ramon
Sylvie Brunet Taven
Anne-Catherine Gillet Vincenette
Sébastien Droy Andrelou
Nicolas Cavallier Ambroise
Amel Brahim-Djelloul Clémence
Ugo Rabec Le Passeur

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