mardi 22 juin 2010

De la superficialité de Günter Krämer... et du public parisien

Eh oui, vous aviez eu droit, si je me souviens bien, à pas moins de trois messages pour ce spectacle historique et inoubliable qu'était Mireille en début de saison, vous ne vous en tirerez pas avec un seul pour La Walkyrie !

Mes pérégrinations virtuelles m'ont amené vers la critique du journal viennois Die Presse (Wilhelm Sinkovicz, plus inspiré que d'habitude), et je m'en voudrais de ne pas vous traduire ce joli passage d'ironie mordante :

De fait, cette Walkyrie ressemble à la tentative d'un metteur en scène allemand pour confirmer pleinement tous les préjugés des Français sur les manières (et l'art théâtral) allemands. Autrement dit : Krämer déchiffre l'écheveau de l'intrigue (ou du moins les éléments les plus visibles en surface) pour des spectateurs à l'entendement difficile. Sieglinde reçoit Siegmund bien en avance avec un baiser ; elle ne se contente pas de regarder en direction du tilleul [sic] où Wotan a enfoncé l'épée victorieuse, mais le désigne plusieurs fois de façon ostentatoire. Après tout, ce n'est qu'un Germain primitif, pas un garçon sensible qui comprendrait un regard ou un murmure léger.
Des murmures légers, il y en à foison chez Wagner (...). Mais pendant qu'une douce mélodie commence à fleurir au violoncelle solo, Sieglinde doit composer avec la montagne de cadavres avec laquelle Krämer recouvre la scène pendant le prélude. Comme ça, tout le monde comprend qu'on n'est pas à la fête foraine, mais qu'il s'agit d'une comédie sérieuse avec une certaine profondeur.

Voilà, c'est bien dit ! Mais je voudrais ajouter autre chose tout de même : le public parisien a hué apparemment violemment le metteur en scène lors de la première, ce qui n'est certainement pas injustifié si on considère la piètre figure que fait le spectacle de Krämer en comparaison de la profusion de grandes mises en scène wagnériennes en Europe ces dernières années, mais un peu sévère sans doute par rapport aux autres spectacles pondus par Nicolas Joel cette saison. Ce qui me met particulièrement mal à l'aise, cependant, c'est l'accueil du public face aux aspects musicaux du spectacle, et notamment le triomphe remporté par Philippe Jordan. Je le sais bien, il ne faut jamais dire du mal du public, qui a toujours raison, et caetera, et caetera, et caetera. En même temps, si vous cherchiez du consensus mou, vous ne seriez pas ici, non ?
La réaction du public face à Philippe Jordan est exactement la même que celle rencontrée par Christoph Eschenbach lors du précédent Ring (Châtelet 2005/2006) - ce n'est donc pas si grave : quand il s'agit du Ring, le public parisien perd soudainement tout esprit critique, et le premier tâcheron venu devient un génie. On hue Sylvain Cambreling ou Teodor Currentzis qui perturbent les habitudes du lyricomane de base, mais on fait un triomphe à une lecture scolaire sans ampleur (Jordan) ou à une improbable combinatoire de tempos et d'effets dynamiques arbitraires (Eschenbach). J'en tire deux conclusions :

  • Tout d'abord, qu'il est temps que le Ring entre vraiment dans les moeurs du public parisien, pour qu'il cesse d'être une curiosité exotique pour devenir ce qu'il est, un chef-d'œuvre qui mérite qu'on ne s'arrête pas à un divertissement superficiel.
  • Ensuite, qu'il y a quand même un problème avec le public parisien. Pas entièrement de sa faute, certes : quand on nourrit un public de spectacles décérébrés (les comédies musicales du Châtelet tout autant que les Joelleries ou les Deschampismes), ça ne va pas favoriser son esprit critique, c'est évident. Cependant, et comme j'ai un peu de mal à accepter l'idée que ce pays renonce, sous la houlette de son Président, aussi radicalement à l'intelligence et à la culture (pas de culture sans esprit critique...), je l'avoue, ça n'est pas sans me faire quelque peine. Voilà.
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