Esprit critique: il se trouvera sans doute beaucoup de gens aujourd'hui pour donner à cette expression un sens négatif, en faire un synonyme de négativité absolue, d'esprit froid et désagréable, plein de préjugés et de sentences définitives, façon Beckmesser, en opposition avec la spontanéité et l'ouverture qui servent d'étendard pratique à ceux qui n'ont pas envie de réfléchir.
L'esprit critique est une des plus belles facultés de l'esprit humain, celle par laquelle nous déterminons ce qui est bon et ce qui est mauvais, dans le domaine politique comme dans le domaine esthétique qui nous intéresse ici (encore que l'autre n'est pas sans intérêt, même dans le domaine de la culture...). Il ne s'agit pas ici de morale à l'ancienne, d'interdits et de devoirs prescrits par une autorité extérieure : de tels jugements, nous en délivrons à longueur de temps, au spectacle comme dans le reste de notre existence, et les apôtres de la tolérance et de la spontanéité pas moins que les autres.
C'est un devoir du spectateur que de travailler constamment à comprendre les fondements de ses jugements, en évitant comme la peste la prétention de les résumer à l'universalité. Se contenter de dire "Mozart, c'est beau", ou "c'est le plus grand", c'est le sommet de la paresse intellectuelle : ce qui est intéressant, c'est de savoir pourquoi ; il ne suffit pas de savoir que c'est beau, il faut encore le sentir, pour en finir avec le mythe de l'universalité : la perception esthétique est une construction sociale (quelle perception, d'ailleurs, quel plaisir des sens n'est pas une construction sociale ?). Là où n'est pas cette manière de prendre conscience des critères de son jugement esthétique et de les remettre en compte, il ne saurait y avoir de démarche artistique chez le spectateur : c'est de consommation qu'il s'agit, et cette absence fréquente n'est pas un mince problème pour la culture d'aujourd'hui.
L'esprit critique est une manière de s'approprier les œuvres, loin de la simple réception passive: plutôt comme l'ogre des légendes, insatiable dès qu'il sent la chair fraîche, ou comme l'acide qui, sur le cuivre de la gravure, révèle l'essentiel quitte à ravager le reste de la plaque. On aurait tort d'associer cette attitude à l'aigreur : c'est d'appétit qu'il est question, de gourmandise, de plaisir. Plaisir : c'est le maître-mot ici, encore qu'il faudrait parler plutôt de plaisirs au pluriel : l'esprit critique, en quête de perfection, procure à celui qui l'exerce des plaisirs plus intenses, plus variés, plus subtils que celui qui se contente de tout recevoir en bloc, j'en suis persuadé.
Peut-être finalement que l'esprit critique n'est qu'une ruse de la raison par laquelle l'esprit humain recrée le plaisir divin de la première fois : ce ne serait, après tout, pas un si mince éloge.
Photo: Opéra Garnier
vendredi 12 septembre 2008
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