samedi 19 septembre 2009

Après Mireille - ou Nicolas Joel en savant fou

Promis : après ce message, on ne parle plus de Mireille sur ce blog (pour ceux qui viendraient après la bataille, les deux messages qui en parlent sont ici et ). Du reste, je ne vais parler du spectacle lui-même, mais plutôt des conséquences.

Le verdict est sans appel : c'est par un échec majeur que le nouveau directeur de l'Opéra de Paris a commencé son mandat. Inutile de faire une revue de presse : en France comme en Italie, en Allemagne comme en Belgique ou en Angleterre, les commentaires sont divers sur les mérites de l'oeuvre (souvent, à vrai dire, les journalistes préfèrent ne pas se mouiller à ce sujet) et de l'interprétation musicale, mais sur la mise en scène de Nicolas Joel, le verdict est unanime quoique varié dans ses expressions : qui est déçu, qui abattu, qui outré, qui rigolard - le mythe de sa grande notoriété internationale, colporté par Nicolas Joel lui-même, en prend ici un sérieux coup.

On pourra toujours gloser sur cet échec, considérer, comme l'a fait l'insupportable populiste Alain Duault*, que les huées de la première étaient l'oeuvre d'une "cohorte de snobs" ; que la critique n'a de valeur que quand elle va dans le sens du poil ; que c'est un accident de parcours, ou que sais-je.
Un fait reste : en faisant de cette première, télévisée et survendue, un manifeste de ce qu'est l'opéra selon Nicolas Joel, c'est lui-même qui a donné à ce spectacle une importance indue. C'est ce manifeste qui est tombé lundi soir avec le spectacle, faisant peser une grave hypothèque sur la réputation nationale et internationale de l'Opéra de Paris.

Nicolas Joel, du reste, ne s'y est pas trompé : lui qui a fait tout son possible pour se démarquer de son prédécesseur s'est précipité à L'Express pour déclarer qu'il voudrait reprendre le Don Giovanni mis en scène par Michael Hanecke et le Tristan voulus tous deux par Gerard Mortier, deux productions qui plus est très emblématiques de l'exigence scénique de Mortier, à mille lieues de la pauvre Mireille. Comme c'est étrange : il suffit d'une bonne gifle pour qu'on inverse la vapeur - par récupération, à vrai dire, pas par création propre, point trop n'en faut. Dans cette manière de naviguer à vue, on retrouve ce qui fait de Nicolas Joel le directeur de l'Opéra idéal pour le règne de Nicolas Sarkozy, ce qu'on savait déjà par la volonté réactionnaire qu'ils ont en commun.

Mais Nicolas Joel oublie une chose : c'est qu'aligner des productions sur le papier ne suffit pas à faire vivre une maison. Il aura, je crois, encore bien des occasions douloureuses (pour lui et, hélas, pour le public mortifié) pour l'apprendre.

*Dont, charmes du journalisme à la française, l'épouse Nicole Duault - qu'on ne qualifiera certes pas de journaliste...- a pondu la seule critique élogieuse du spectacle...

PS : Je conseille à ceux qui défendent cette Mireille d'aller voir au château de Versailles l'exposition consacrée à Xavier Veilhan : même superficialité mondaine, même volonté de ne surtout parler de rien, même caractère d'art officiel. C'est vraiment très mauvais, ça vous plaira.

jeudi 17 septembre 2009

Encore Mireille

J'ai développé d'une façon différente mes réflexions sur le spectacle d'ouverture du mandat de Nicolas Joel, après un premier message plus construit mais moins développé sur ce blog, sur le forum ODB auquel je reste fidèle, vu les crises à répétition dont sont victimes les forums lyriques (la déchéance d'Opera Giocoso, un moment beaucoup plus sympathique, est particulièrement triste - une relance un peu tabula rasa récemment va peut-être changer les choses). Comme je suis écologiste dans l'âme, je recycle ici (le ton est celui d'un forum de discussion...) :

1. L'œuvre
Des chefs-d'œuvre ignorés, il y en a beaucoup, dans le XIXe siècle français comme ailleurs. Tous ont vocation à être rejoués un jour, mais cela ne signifie pas qu'on va accepter comme ça, sans examen, toute résurrection.
Croire tenir avec Mireille un de ces chefs-d'œuvre ignorés me laisse pantois. Si je n'ai qu'une estime très tiède pour Gounod, je ne déteste pas Roméo et Juliette, divertissant et correctement construit - plus que Faust, qui affadit considérablement la pièce de Goethe.

Mireille, c'est tout autre chose. Adaptée d'une source littéraire de second ordre par rapport à Shakespeare ou à Goethe, elle est victime tout d'abord de son livret, qui se limite à une succession de péripéties sans nécessité : le rôle d'Ourias ne sert à rien, puisqu'il n'est même pas fichu de tuer correctement Vincent (et on a l'impression que l'irruption de ce passeur fantomatique est surtout une solution commode pour se débarrasser de lui) ; et le livret ne sait trop sur quel pied danser, entre la légèreté inoffensive du début, le fantastique de l'acte III, et les bouts de tragédie pas très crédibles; ajoutons à cela le fait que le chœur vient et s'en va juste quand on a besoin de lui : sa présence à la fin du 2e acte est visiblement uniquement destinée à faire monter la sauce du finale et n'apporte strictement rien dramatiquement.

Bien sûr, on me dira : et la musique ? Elle offre, hélas, le même caractère de patchwork bancal que le livret. On passe d'un folklorisme pas très profond (comparez à ce que fait Rameau de ces mêmes danses provençales, ou au travail de Dvorak sur les danses slaves!!!) à du pathos de roman de gare, puis à de grands ensembles dont on sent bien qu'ils s'inspirent d'un modèle mozartien, mais à qui manquent la nécessité musicale et dramatique interne : c'est l'exact inverse de son modèle le plus direct, le finale de l'acte II des Noces, avec sa spirale irrésistible. Comment peut-on étirer autant le final de l'acte II, alors que les positions des personnages changent si peu, qu'il n'y a pas de développement de l'histoire ? On tourne en rond pendant plus de dix minutes, l'acte devient complètement inconsistant entre l'interminable farandole et ce finale.
Quant au grand air de Mireille dans la Crau, il m'a fait bizarrement penser à l'air d'Ann dans The Rake's progress, autre exemple d'air "méta-mozartien": là où Stravinsky joue avec succès sur la corde raide entre parodie délicatement ironique et expressivité, il y a dans l'air de Gounod un caractère purement formel, imitatif, mécanique, et on sait où on va depuis le début de l'air. Qu'il y ait quelques moments plus réussis, soit, mais cela ne suffit pas à faire oublier la grande maladresse du reste.

Une dernière chose: le caractère provençal de la chose. Il faut beaucoup de naïveté pour prendre au premier degré cette Provence. L'œuvre, écrite à Paris par un compositeur 100 % parisien et un librettiste né à Besançon, mais parisien depuis ses 19 ans, pour un public purement parisien, représente la Provence un peu à la façon dont le bon Noir Banania représente l'Afrique : comme un cliché exotique pour public en mal de dépaysement, et dans la perspective centralisatrice qui est celle du Second Empire comme plus tard de la IIIe République. C'est un processus de digestion, certainement pas la reconnaissance d'une culture à part entière. Les Provençaux, ici, sont des Hurons qu'on observe avec attendrissement...


2. La mise en scène
Halte aux procès d'intention : ce qui se joue ici, ce n'est pas une lutte du Regietheater (qui n'existe de toute façon pas) et de la mise en scène traditionnelle à la Zeffirelli. Des mises en scène classiques et réussies, cela existe: on peut penser récemment aux Noces de Figaro époustouflantes de David McVicar au Royal Opéra (DVD Opus Arte), où chaque détail est pensé tout autant que la longue distance, avec humour et fantaisie.
On ne demande ici ni Marthaler, ni Warlikowski (dont on est fort capable de reconnaître aussi les échecs, et qui ont mieux à faire que de mettre en scène Mireille) : mais on demande ici le bagage minimal du metteur en scène classique, un savoir-faire technique, un travail en profondeur sur la direction d'acteurs, un sens du rythme, toutes choses qui manquent ici cruellement. Le savoir-faire, oui: peut-on imaginer manière plus sotte de mettre en scène la mort de Mireille qu'en lui faisant grimper un escalier absurde vers une croix étique placée sur une colonne fort ventrue ? On espère que Nicolas Joel corrigera cette erreur manifeste lors des représentations suivantes, mais elle est représentative des maladresses insignes du spectacle. Autre incapacité purement technique : l'utilisation du plateau, laissé nu par la relégation du décor en fond de scène (on aurait pu se dispenser de le construire, de simples diapos auraient fait à peu près le même effet) : dès lors que deux personnages sont seuls en scène, ils se retrouvent perdus sans autre ressource que les mouvements stéréotypés du chanteur d'opéra abandonné à lui-même. Quant au "truc" (certainement très coûteux) qui représente l'engloutissement d'Ourias, ce toboggan menant vers les dessous, c'est un gag qu'on espère volontaire...
Les décors, ici, sont en effet un lourd handicap. Ils ne délimitent pas un espace de jeu, ils se contentent d'indiquer les lieux de l'action tout en l'emprisonnant dans l'anecdotique. Le décor du fleuve est d'une laideur absolue : comment ce plastique bleu incliné et mal éclairé peut-il prétendre faire penser à de l'eau ? Une telle maladresse laisse pantois de la part d'une personne aussi expérimentée qu'Ezio Frigerio. De même, la longueur indue des changements de décor est un handicap majeur pour le spectacle, qui a besoin de deux entractes et d'un bon nombre de précipités pour arriver à terme : ceux qui n'ont vu le spectacle qu'à la télévision (je doute que beaucoup aient tenu jusqu'au bout) n'ont sans doute pas conscience que ces 140 minutes de musique ont duré en tout 210 minutes !


3. L'interprétation musicale
Je ne développerai que brièvement : il faut souligner les grandes qualités de Charles Castronovo, à la fois très délicat et doté d'une projection très claire et très efficace. J'aime bien aussi, cette fois, Amel Brahim-Djelloul, avec sa voix très présente et convaincante; moins Anne-Catherine Gillet, qui m'avait fortement déplu en Micaëla et m'indiffère ici. Sur l'Ourias de Frank Ferrari, tout a été dit : son personnage n'est déjà pas bien subtil, mais ce n'est pas une raison... Quant à Inva Mula, comme dit Machard, elle "joue vieux", mais elle "chante vieux" aussi : la voix trahit souvent l'effort sans qu'elle parvienne à tirer parti de cet effort à des fins expressives; il y a certes une certaine fraîcheur dans cette voix, mais, si j'ose dire, une fraîcheur défraîchie : un bouquet séché là où on attend des fleurs des champs (je suis en veine de métaphores à deux sous, ce matin! Je devrais me faire librettiste d'opéra). Tous les passages techniques sont traités avec le plus grand sérieux, mais avec aussi une grande prudence qui donne à tout cela un air très mécanique. La voix est (en bonne partie) là, mais la musicalité n'est pas loin de manquer autant que le sens du théâtre... et que la diction!
Quant à Minkowski, j'ai du mal à me prononcer. Je serai en tout cas moins sévère que certains; je ressens un certain malaise à l'écouter, mais je trouve aussi certaines sonorités intéressantes. Ce qui pose problème, entre autres, c'est la brutalité de certains passages qui en soulignent le caractère franchement pompier...


PS: J'ai oublié de dire que j'avais eu une bonne idée pour faire des économies à l'Opéra: tant qu'à faire qu'à monter des immenses chefs-d'œuvre du répertoire français Rolling Eyes , on n'a qu'à monter Thaïs : on peut réutiliser les décors tels quels, il n'y a qu'à en ajouter un ou deux pour compléter. C'est censé être la Provence, mais ça peut aussi bien être l'Egypte (ou si besoin ma Lorraine, on a aussi des champs de blé, des vieux murs et plusieurs cours d'eau)...   

mardi 15 septembre 2009

Heidi sans les Alpes : Mireille de Gounod à l'Opéra Garnier

Il faut bien commencer par quelque chose : Nicolas Joel a choisi Mireille de Gounod, dans sa propre mise en scène, pour débuter son mandat de directeur de l'Opéra National de Paris. Grand moment médiatique, en présence du momifié ministre de la Culture et surtout de la Communication (parce que la culture, face à TF1...), et sous les yeux des caméras, qui retransmettaient en faux direct (donc en vrai différé) sur France 3, qui croit ainsi assumer une mission culturelle.
Chronique d'un naufrage annoncé? J'avais pris la peine d'écouter plusieurs fois l'œuvre après l'annonce de la nouvelle saison au printemps, et j'en avais tiré l'impression d'une bluette inoffensive, sentimentale, assez plate, avec un livret très niais. Qualificatifs qui, à l'écoute en salle, se sont tous avérés, sauf un : bluette niaise, certes, mais pas inoffensive. Au contraire, cela fait beaucoup, beaucoup de bruit, avec de grands effets dramatiques qui font parfois l'effet d'un coup de tonnerre dans un ciel radieux (de Provence), tant ils interviennent au beau milieu d'un océan d'inanité. Le grand final du 2e acte est l'épitomé de l'œuvre : un quart d'heure (au moins en durée subjective, voire plus) où il ne se passe rien, où les positions des personnages restent exactement les mêmes, mais où des mini-rebondissements à répétition croient relancer l'action sans parvenir à rien d'autre qu'à augmenter le volume sonore. Quant au livret, un seul très court extrait suffira :

Un père parle en père,
Un homme parle en homme.

Voilà de fortes maximes, dont on peut dire qu'elles résistent haut la main à toute tentative de parodie.

DSCF2508
[je ne sais plus si j'ai déjà publié cette photos de l'une des nymphes à grosses cuisses situées au-dessus de la 4e loge d'avant-scène de Garnier...]

Choisir de donner cette œuvre en ouverture de saison, est un acte idéologique : il s'agit de revenir sur l'évolution du monde lyrique de ces cinquante dernières années, qui a condamné des œuvres comme Mireille à un juste sommeil ; il s'agit de mettre en avant une identité française d'abord ; il s'agit aussi de revenir sur la valorisation des œuvres lyriques de haute valeur musicale (Wagner, Pelléas, Le Château de Barbe-Bleue, Berg...) au détriment d'un répertoire traditionnel plus fondé sur les voix. Les huées virulentes qui ont accueilli le metteur en scène-directeur laissent entendre qu'il aura du mal à convaincre le public parisien, pas aussi ouvert que l'aurait espéré (à tort) Gerard Mortier, mais pas aussi conservateur que ne le croyait Joel.

On sera peut-être surpris que je ne parle pas plus de la mise en scène de M. Joel. Pour moi, le choix de l'œuvre est le crime majeur, la mise en scène et le choix des chanteurs n'est qu'un appendice. M. Joel fait des mises en scène classiques, on le sait : le problème ici n'est pas qu'il s'agit d'une mise en scène classique, mais qu'il s'agit d'une mauvaise mise en scène classique, d'une mauvaise mise en scène tout court : le plateau est terriblement nu dès que le chœur, qui l'occupe au lever du rideau, le quitte pour laisser les personnages principaux à leurs occupations, puisque le décor n'occupe qu'une bande en fond de scène (le décor du désert de la Crau se réduisant à une toile jaune pâle sur laquelle un projecteur dessine un soleil), et les côtés de la scène sont occupés par des portants sans rapport avec le décor. La direction d'acteurs se limite au tout premier degré : il n'y a pas de personnages, pas de relations entre les personnages : quel genre d'amoureux sont Mireille et Vincent ? Tendres, folâtres, plus réservés, joueurs, sérieux, lyriques ? On n'en saura rien. Le travail n'est pas digne d'un professionnel, les entractes et précipités interminables nécessités par ces décors d'atelier théâtre de lycée aggravant encore l'impression d'ennui.

D'autant que la distribution est plus convenable que convaincante : l'excellent Charles Castronovo en Vincent sort résolument du lot, comme, dans un rôle plus secondaire, Amel Brahim-Jelloul qui me convainc pour la première fois. La voix étrange de Sylvie Brunet, qui en fait une Carmen détestable, n'est pas si mal employée ici, et le vétéran Alain Vernhes, dont les limites sont quand même franchement audibles, reste très correct. Les gros problèmes, outre le chœur dont on ne parle plus, sont donc représentés par Frank Ferrari et par Inva Mula, problèmes très différents l'un de l'autre.
Le problème de Ferrari est vite exprimé: un chant fruste, mal maîtrisé, manquant de musicalité, dépourvu de toute possibilité d'interprétation. Mlle Mula, elle, est un cas à la fois plus supportable et plus grave : voilà une voix, certes un peu vieillie désormais, qui a une certaine fraîcheur et une technique incontestable, avec des couleurs, des ports de voix, des piani tant qu'on en veut. Mais si la chanteuse se défend, l'artiste, l'interprète est fantomatique : les effets techniques sont terriblement mécaniques, la diction se défait au cours de la représentation, et le personnage est comme mort : comme une version de concert avec une chanteuse qui aurait découvert la partition la veille et ne peut faire plus que chanter les notes - cela ne suffit pas, et de très loin. Passons sur son jeu scénique : avec un aussi mauvais directeur d'acteurs, elle a des excuses. Le moment où, à la fin de l'opéra, elle monte en pleine agonie vers la croix des Saintes fait partie des moments les plus ridicules qu'il m'ait été donné de voir depuis que je vais à l'opéra.

Tout ceci ne serait pas bien grave si cela ne contribuait à donner de l'opéra en général et de l'Opéra de Paris en général l'image d'un spectacle de vieux, pour les vieux, nostalgique et bien propre sur soi (encore que les costumes-cravate sont décidément en voie d'extinction, même pour une telle première), alors qu'il n'y a rien de plus moderne, de plus transgénérationnel (comme on dit), de plus vivant, de plus intranquille que l'opéra...


Marc MinkowskiDirection musicale
Nicolas JoelMise en scène
Ezio FrigerioDécors
Franca SquarciapinoCostumes
Vinicio CheliLumières
Patrick SégotChorégraphie
Patrick Marie AubertChef du Chœur

Inva Mula Mireille
Charles Castronovo Vincent
Franck Ferrari Ourrias
Alain Vernhes Ramon
Sylvie Brunet Taven
Anne-Catherine Gillet Vincenette
Sébastien Droy Andrelou
Nicolas Cavallier Ambroise
Amel Brahim-Djelloul Clémence
Ugo Rabec Le Passeur

mardi 8 septembre 2009

Journal salzbourgeois - Samedi 22 août : final mozartien

Troisième rendez-vous cette année avec la toujours très attachante série des Mozart-Matineen : on regrette que l'impulsion initiale qui était celle de leur créateur Bernhard Paumgartner, faire découvrir des œuvres mal connues de Mozart, ne soit plus vraiment à l'ordre du jour; du moins aura-t-on pu découvrir ce matin un jeune chef encore peu connu, Robin Ticciati, qui a un sens mozartien plus qu'intéressant. Même une oeuvre aussi rebattue que la symphonie KV 550 (la célèbre "Quarantième") trouve une fraîcheur d'approche qui est certes la marque de fabrique des Mozart-Matineen, mais qui doit beaucoup ici à l'approche à la fois libre et très réfléchie du jeune chef. Le concerto pour hautbois en première partie avait moins convaincu, en partie à cause du soliste François Leleux, trop démonstratif (ces cadences interminables...), cela dit accueilli par d'inexplicables ovations.

L'après-midi, retour à la Haus für Mozart et à Claus Guth : ses Noces de Figaro sont trop connues pour que j'entre dans les détails : production agréable, avec son ange factotum finalement rejeté par ceux dont il modelait la vie, qui partent vers un monde de raison et de désillusion... Musicalement, Daniel Harding a hélas un peu perdu de sa fougue, et sa lecture est un peu trop sage (c'est bien mieux en place que pour le Don Giovanni de de Billy, mais moins présent qu'Adam Fischer hier) ; mais avec une distribution capable, le résultat musical est nettement supérieur aux autres représentations mozartiennes récentes du festival : on retrouve avec plaisir la Comtesse somptueuse de Dorothea Röschmann (une très grande chanteuse, qui n'est pas au premier plan médiatique en raison de sa discrétion) et le Comte de Gerald Finley, avec une voix bien projetée, richement timbrée et dramatiquement efficace ; à leurs côtés, le Figaro de Luca Pisaroni est à la hauteur des espérances qu'on a depuis longtemps dans le développement de cet excellent chanteur, ce qui n'est pas le cas de la Suzanne un peu absente de Marlis Petersen, qui manque un peu de fraîcheur et de puissance, tandis que Katija Dragojevic est la bonne surprise de cette distribution : voix assez claire, bien formée et bien maîtrisée, une mezzo à suivre.

Après plus de vingt spectacles, il est désormais temps de quitter Salzbourg pour retrouver bientôt la saison 2009/2010 à Paris et ailleurs : sans surprise, Salzbourg reste un lieu magique pour qui aime les arts vivants dans toute leur variété (sauf la danse, hélas) - à condition d'aller voir le moins d'opéra possible et de savoir aimer le théâtre et d'avoir un appétit insatiable de concerts. Rien que pour le concert de Thomas Quasthoff, le festival continue à avoir sa justification artistique.

dimanche 6 septembre 2009

Journal salzbourgeois - Vendredi 21 août : Il faut bien un peu de Mozart

La fin de séjour salzbourgeois s'annonce mozartienne : Così fan tutte ce soir, Mozart-Matinee demain matin, Noces de Figaro demain après-midi.

Le metteur en scène des deux opéras est le même. Claus Guth avait créé en 2006 cette production des Noces, qu'on connaît par le DVD ; le succès avait conduit Jürgen Flimm à lui demander de continuer un cycle des trois Mozart-Da Ponte, qui sera d'ailleurs repris en entier en 2011. L'an passé, son Don Giovanni avait été, au mieux, une demi-réussite, gâchée par une direction musicale inepte (Bertrand de Billy) et surtout par un traitement assez arbitraire de l'oeuvre, surchargée de petites idées de mise en scène jamais totalement idiotes, mais qui semblaient occuper le terrain les unes après les autres de façon parfaitement arbitraire, parfois en totale contradiction. Ce Così, c'est la même chose en pire : l'arbitraire de ces incessantes idées est ici systématisé, affirmé, revendiqué, à la façon d'un importun qui tient à vous raconter en détail une histoire que vous n'avez pas envie d'entendre même en abrégé.
L'une des caractéristiques les plus agaçantes de cette production faite pour plaire aux goûts primitifs du public mondain (non sans succès) est sa vulgarité. Les clowneries de Patricia Petibon en Despina sont d'autant plus agaçantes qu'elles nuisent largement à sa ligne vocale, et faire de Don Alfonso une sorte de magicien deus ex machina est une idée au fond banale qui à force d'être martelée sans finesse finit par agaçer puissamment (Bo Skovhus, vocalement banal, est en outre un comique bien pesant).
Musicalement, le résultat n'est pas beaucoup moins médiocre. Adam Fischer, dans la fosse, obtient des Viennois un résultat un peu plus vivant que de Billy dans le Don Giovanni de l'an passé : rien d'exceptionnel, mais une bonne représentation tout de même. La distribution, elle, est plus contrastée : je ne reviens pas sur les réserves suscitées par les deux manipulateurs (Bo Skovhus n'a jamais été un grand chanteur...). Pour le reste, le bon côtoie le moins bon : Miah Persson est une Fiordiligi nettement insuffisante, perdue dans son grand air Per pietà et peu percutante ailleurs. Quant à Topi Lehtipuu, qui remplace sa doublure Joel Prieto à qui cette représentation avait été confiée, il est en bien piètre forme : peu idiomatique, peu souple, il ne parvient pas à construire son personnage et semble souffrir tout au long de la soirée. Johannes Weisser, en Guglielmo, est vocalement beaucoup plus à l'aise ; un peu plus de présence aurait été souhaitable, mais sa transparence est presque un soulagement face aux importuns Skovhus et Petibon. La seule chanteuse à n'appeler que des lauriers est donc l'interprète de Dorabella, Isabel Leonard, peu connue en France, dotée d'une voix chaleureuse et d'une grande musicalité : reste à espérer qu'elle rencontre des metteurs en scène plus intelligents que Claus Guth pour développer encore son approche du personnage.
Le bilan lyrique de cette édition du Festival est encore une fois bien mince : on a du mal à se croire à Salzbourg en supportant cette pesante soirée...

mardi 1 septembre 2009

Journal salzbourgeois - Jeudi 20 août : Théâtre du matin au soir

Même à Salzbourg, on peut être en manque de spectacle : ainsi, pour occuper la matinée, on a recouru à un DVD:
"Bute l'Européen! Bute-le! Bute-le! Bute le! Bute-le! Bute-le à fond!"
Paul Scheerbart, "Indianerlied"/"Chanson indienne " tirée de Kater-Poesie (Poésie du matou - ou plus probablement de la gueule de bois)

Sous ce titre grandiloquent et brutal (mais remontant à un recueil de poèmes publié en 1909), le Suisse Christoph Marthaler avait créé en 1993 un spectacle burlesque et infiniment triste, plein à ras-bord de toutes sortes de musiques (Schubert, l'hymne de la RDA alors tout juste défunte...), y compris un authentique hymne religieux remerciant le Seigneur pour tout et n'importe quoi, dont la niaiserie originelle (Merci pour mon travail, merci, Seigneur, je te remercie de ce que je peux te remercier) donne lieu à un moment de drôlerie infinie. Le DVD, tourné lors de la dernière du spectacle en 2007 (et assez primitivement réalisé) n'est pas surtitré, ce qui nécessite une certaine connaissance de l'allemand (encore qu'une bonne partie du spectacle est non-verbale, et ce qui y est dit n'est pas capital) : pour qui aime vraiment le théâtre et veut étendre sa connaissance du travail d'un grand artiste (en attendant la parution indispensable de sa magnifique Traviata, et en oubliant ses Noces de Figaro vulgaires et banales), l'investissement - modeste - se justifie pleinement.
(une bonne nouvelle au passage: Christoph Marthaler sera l'artiste invité du prochain Festival d'Avignon...)

Ce jeudi soir, théâtre toujours, dans une perspective bien différente : là où, chez Marthaler, pièce et spectacle ne font qu'un, Andrea Breth, elle, se confronte avec prédilection aux grands chefs-d'œuvre de la littérature (un Don Carlos de Schiller, que je n'ai pas encore vu, est notamment disponible). En 2008 à Salzbourg, c'était une adaptation de Crime et Châtiment de Dostoievsky qu'elle avait réalisé : repoussant l'adaptation trop succincte qui lui était proposée, elle avait réalisé elle-même une ample adaptation de près de cinq heures. Le spectacle était suffisamment impressionnant pour qu'on souhaite le revoir cette année, puisque le festival a eu la bonne idée de reprendre ce spectacle qui avait rempli les caisses (sans pourtant décider la télévision autrichienne à le filmer, hélas). On restera longtemps hanté par la voix traînante de Jens Harzer, comme par sa silhouette courbée, bonnet sur la tête.
La pièce dure plus de quatre heures, hors entractes : malgré sa longueur, il n'y a pas ici de dimension proprement épique, mais un exceptionnel travail de détail pour décrire la manière dont le monde tourne autour de cet individu étrange qu'est Raskolnikov. S'il y a identification avec ce héros incertain, plus transparent que sympathique ou pitoyable, c'est dans le dégoût de soi, dans cette façon étrange qu'il a de voir le monde bouger autour de lui sans voir le sens de tous ces mouvements. Du grand théâtre, bien différent de Marthaler...

Entre-temps, un peu de musique tout de même : dans le cadre d'un assez nébuleux Young Singers Project, six jeunes chanteurs bénéficient d'une trop brève masterclass avec rien moins que l'une des plus grandes chanteuses du siècle passé, Christa Ludwig, 81 ans, en pleine forme, et qui chantonne à quelques reprises avec une voix où on reconnaît parfois encore un timbre qu'on a tant écouté. Certains chanteurs (on ne donnera pas de nom) sont vraiment remarquables, d'autres n'ont pas de grandes perspectives devant eux ; ce qui est étrange dans l'exercice, c'est qu'on ne comprend guère les critères selon lesquels l'enseignante distribue lauriers et critiques aux uns et aux autres : un Comte des Noces beugleur est ainsi décrit comme parfait, une remarquable mezzo semble beaucoup moins satisfaire. Au fond, ce qu'on tire de plus sûr de ce genre d'exercice, c'est qu'on n'a pas vraiment besoin d'être là...
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