"Bute l'Européen! Bute-le! Bute-le! Bute le! Bute-le! Bute-le à fond!"
Paul Scheerbart, "Indianerlied"/"Chanson indienne " tirée de Kater-Poesie (Poésie du matou - ou plus probablement de la gueule de bois)
Sous ce titre grandiloquent et brutal (mais remontant à un recueil de poèmes publié en 1909), le Suisse Christoph Marthaler avait créé en 1993 un spectacle burlesque et infiniment triste, plein à ras-bord de toutes sortes de musiques (Schubert, l'hymne de la RDA alors tout juste défunte...), y compris un authentique hymne religieux remerciant le Seigneur pour tout et n'importe quoi, dont la niaiserie originelle (Merci pour mon travail, merci, Seigneur, je te remercie de ce que je peux te remercier) donne lieu à un moment de drôlerie infinie. Le DVD, tourné lors de la dernière du spectacle en 2007 (et assez primitivement réalisé) n'est pas surtitré, ce qui nécessite une certaine connaissance de l'allemand (encore qu'une bonne partie du spectacle est non-verbale, et ce qui y est dit n'est pas capital) : pour qui aime vraiment le théâtre et veut étendre sa connaissance du travail d'un grand artiste (en attendant la parution indispensable de sa magnifique Traviata, et en oubliant ses Noces de Figaro vulgaires et banales), l'investissement - modeste - se justifie pleinement.
(une bonne nouvelle au passage: Christoph Marthaler sera l'artiste invité du prochain Festival d'Avignon...)
Ce jeudi soir, théâtre toujours, dans une perspective bien différente : là où, chez Marthaler, pièce et spectacle ne font qu'un, Andrea Breth, elle, se confronte avec prédilection aux grands chefs-d'œuvre de la littérature (un Don Carlos de Schiller, que je n'ai pas encore vu, est notamment disponible). En 2008 à Salzbourg, c'était une adaptation de Crime et Châtiment de Dostoievsky qu'elle avait réalisé : repoussant l'adaptation trop succincte qui lui était proposée, elle avait réalisé elle-même une ample adaptation de près de cinq heures. Le spectacle était suffisamment impressionnant pour qu'on souhaite le revoir cette année, puisque le festival a eu la bonne idée de reprendre ce spectacle qui avait rempli les caisses (sans pourtant décider la télévision autrichienne à le filmer, hélas). On restera longtemps hanté par la voix traînante de Jens Harzer, comme par sa silhouette courbée, bonnet sur la tête.
La pièce dure plus de quatre heures, hors entractes : malgré sa longueur, il n'y a pas ici de dimension proprement épique, mais un exceptionnel travail de détail pour décrire la manière dont le monde tourne autour de cet individu étrange qu'est Raskolnikov. S'il y a identification avec ce héros incertain, plus transparent que sympathique ou pitoyable, c'est dans le dégoût de soi, dans cette façon étrange qu'il a de voir le monde bouger autour de lui sans voir le sens de tous ces mouvements. Du grand théâtre, bien différent de Marthaler...
Entre-temps, un peu de musique tout de même : dans le cadre d'un assez nébuleux Young Singers Project, six jeunes chanteurs bénéficient d'une trop brève masterclass avec rien moins que l'une des plus grandes chanteuses du siècle passé, Christa Ludwig, 81 ans, en pleine forme, et qui chantonne à quelques reprises avec une voix où on reconnaît parfois encore un timbre qu'on a tant écouté. Certains chanteurs (on ne donnera pas de nom) sont vraiment remarquables, d'autres n'ont pas de grandes perspectives devant eux ; ce qui est étrange dans l'exercice, c'est qu'on ne comprend guère les critères selon lesquels l'enseignante distribue lauriers et critiques aux uns et aux autres : un Comte des Noces beugleur est ainsi décrit comme parfait, une remarquable mezzo semble beaucoup moins satisfaire. Au fond, ce qu'on tire de plus sûr de ce genre d'exercice, c'est qu'on n'a pas vraiment besoin d'être là...
Paul Scheerbart, "Indianerlied"/"Chanson indienne " tirée de Kater-Poesie (Poésie du matou - ou plus probablement de la gueule de bois)
Sous ce titre grandiloquent et brutal (mais remontant à un recueil de poèmes publié en 1909), le Suisse Christoph Marthaler avait créé en 1993 un spectacle burlesque et infiniment triste, plein à ras-bord de toutes sortes de musiques (Schubert, l'hymne de la RDA alors tout juste défunte...), y compris un authentique hymne religieux remerciant le Seigneur pour tout et n'importe quoi, dont la niaiserie originelle (Merci pour mon travail, merci, Seigneur, je te remercie de ce que je peux te remercier) donne lieu à un moment de drôlerie infinie. Le DVD, tourné lors de la dernière du spectacle en 2007 (et assez primitivement réalisé) n'est pas surtitré, ce qui nécessite une certaine connaissance de l'allemand (encore qu'une bonne partie du spectacle est non-verbale, et ce qui y est dit n'est pas capital) : pour qui aime vraiment le théâtre et veut étendre sa connaissance du travail d'un grand artiste (en attendant la parution indispensable de sa magnifique Traviata, et en oubliant ses Noces de Figaro vulgaires et banales), l'investissement - modeste - se justifie pleinement.
(une bonne nouvelle au passage: Christoph Marthaler sera l'artiste invité du prochain Festival d'Avignon...)
Ce jeudi soir, théâtre toujours, dans une perspective bien différente : là où, chez Marthaler, pièce et spectacle ne font qu'un, Andrea Breth, elle, se confronte avec prédilection aux grands chefs-d'œuvre de la littérature (un Don Carlos de Schiller, que je n'ai pas encore vu, est notamment disponible). En 2008 à Salzbourg, c'était une adaptation de Crime et Châtiment de Dostoievsky qu'elle avait réalisé : repoussant l'adaptation trop succincte qui lui était proposée, elle avait réalisé elle-même une ample adaptation de près de cinq heures. Le spectacle était suffisamment impressionnant pour qu'on souhaite le revoir cette année, puisque le festival a eu la bonne idée de reprendre ce spectacle qui avait rempli les caisses (sans pourtant décider la télévision autrichienne à le filmer, hélas). On restera longtemps hanté par la voix traînante de Jens Harzer, comme par sa silhouette courbée, bonnet sur la tête.
La pièce dure plus de quatre heures, hors entractes : malgré sa longueur, il n'y a pas ici de dimension proprement épique, mais un exceptionnel travail de détail pour décrire la manière dont le monde tourne autour de cet individu étrange qu'est Raskolnikov. S'il y a identification avec ce héros incertain, plus transparent que sympathique ou pitoyable, c'est dans le dégoût de soi, dans cette façon étrange qu'il a de voir le monde bouger autour de lui sans voir le sens de tous ces mouvements. Du grand théâtre, bien différent de Marthaler...
Entre-temps, un peu de musique tout de même : dans le cadre d'un assez nébuleux Young Singers Project, six jeunes chanteurs bénéficient d'une trop brève masterclass avec rien moins que l'une des plus grandes chanteuses du siècle passé, Christa Ludwig, 81 ans, en pleine forme, et qui chantonne à quelques reprises avec une voix où on reconnaît parfois encore un timbre qu'on a tant écouté. Certains chanteurs (on ne donnera pas de nom) sont vraiment remarquables, d'autres n'ont pas de grandes perspectives devant eux ; ce qui est étrange dans l'exercice, c'est qu'on ne comprend guère les critères selon lesquels l'enseignante distribue lauriers et critiques aux uns et aux autres : un Comte des Noces beugleur est ainsi décrit comme parfait, une remarquable mezzo semble beaucoup moins satisfaire. Au fond, ce qu'on tire de plus sûr de ce genre d'exercice, c'est qu'on n'a pas vraiment besoin d'être là...
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