lundi 9 juillet 2007

La beauté n'est pas toujours où on l'attend

Eh bien non, cette Traviata ne restera pas un post-scriptum à l’article précédent. Elle me permet, d’ailleurs, d’illustrer à merveille le propos de ce dernier : non pas demander le retrait de tous les Verdi du répertoire, mais demander une distinction entre les bons et les autres, et surtout exiger que leur programmation soit justifiée par un réel travail dramaturgique autour de l’œuvre.

Le spectacle que Christoph Marthaler a créé autour de Christine Schäfer compte parmi les plus beaux spectacles qu’il m’ait été donné de voir à l’opéra (quel contraste avec le Bal Masqué deux jours auparavant !). Qu’il s’agisse de la meilleure nouvelle production parisienne de la saison est une évidence, si on considère que Les Troyens mis en scène par Herbert Wernicke datent en réalité de 2000.

Pour les esprits grincheux, parlons un peu des chanteurs : bien sûr, Christine Schäfer n’est pas une Violetta très classique, bien sûr, elle n’a pas la puissance qu’on attendrait. Bien sûr, José Van Dam est affaibli par l’âge et rate son aigu. Bien sûr, les options radicales de Sylvain Cambreling ont leurs incohérences et leurs moments faibles.

Mais José Van Dam, vocalement à la peine, garde son talent de diseur et crée l’émotion. Mais Christine Schäfer donne une intensité bouleversante à tout ce qu’elle chante : je ne citerai que la phrase Ma se tornando non m’hai salvato (acte III). Mais surtout, pour ce qui concerne la partie musicale de la soirée, les choix de Cambreling font entendre la partition de façon totalement nouvelle et totalement convaincante, dès lors qu’on n’a pas les oreilles encrassées par la routine des « versions de référence » : mieux vaut une version inégale mais habitée qu’une routine confortable. Entendons-nous bien : je ne dis pas que cette direction est ici à sa place parce qu’elle s’accorde avec la mise en scène de Marthaler, je dis qu’elle constitue une lecture passionnante de la partition en soi.

Cela dit, je reconnais que ce qui m’a le plus intéressé hier soir est la partie scénique. J’ai détesté les deux premières mises en scène de Marthaler que j’ai vues, cette Katia Kabanova surlignée et affligée d’une direction d’acteurs mortifère, ces Noces de Figaro boulevardières. J’ai donc aimé à la folie cette Traviata (dont je signale au passage qu’elle sera reprise à l’automne et qu’elle a été filmée, pour un futur DVD j’espère).

Si je devais en garder une seule image, ce serait la mort de Violetta, appuyée contre un mur et s’affaissant doucement – « un petit être mystérieux, comme tout le monde ». Ce qui est intéressant dans le spectacle n’est pas l’identification de Violetta à Piaf, qui est une hypothèse de travail peut-être créative pour le metteur en scène mais n’est pas très intéressant en soi (les coups de projecteur répétés sur Violetta comme sur une chanteuse en scène ne sont d’ailleurs pas le meilleur de ce spectacle). Cette identification n’est d’ailleurs pour Marthaler qu’un moyen expressif, pas un but en soi : rien à voir avec la Makropoulos-Monroe de Warlikowski, qui n’avait guère d’autre idée que cette assimilation banale.

Le but de Marthaler ici, contrairement aux idées reçues sur le Regietheater à l’allemande, n’est pas de délivrer un message ou de faire passer des fantasmes personnels, c’est de faire vivre le drame tel qu’il est dans l’œuvre. Ce qui frappe dans ce spectacle, outre le caractère très détaillé d’une direction d’acteurs qui ne laisse aucun moment à l’abandon, c’est son absolue fidélité à l’œuvre, non pas dans la lecture littérale de la moindre didascalie du livret (les gens qui font cela avec les textes sacrés s’appellent des intégristes), mais dans une lecture vivante, émue : je crois que si Marthaler a voulu faire ce spectacle, c’est parce qu’il était lui-même bouleversé par ce qu’il y lisait. Ridiculiser la société présente au moment du Brindisi et de la fête chez Flora, ce n’est pas adopter un point de vue critique d’extrême gauche, c’est adopter le point de vue de Verdi (et de Dumas, d’ailleurs*) ; ce qui en ressort est la fragilité, la solitude, la douleur de Violetta.
Il se trouvera bien des gens pour m’objecter que cela est fort laid. Évidemment, si vous êtes là pour voir « en vrai » le film de Zeffirelli, changez de crémerie – rejoignez Zeffirelli dans le large clan de ceux qui ne comprennent rien à une telle œuvre. Le décor, évidemment, n’est pas un « beau » décor, comme peut l’être par exemple celui du Così de Chéreau. Mais un décor n’est pas, en premier lieu, fait pour être beau, il est fait pour porter le drame. Il faudrait que les spectateurs d’opéra arrêtent de se focaliser sur l’esthétique générale du décor comme ils commenteraient le papier peint de leurs voisins. Il faut aussi voir la manière dont l’espace se trouve délimité, les possibilités de jeu, les contraintes, les entrées, les sorties, les volumes. Reste que l’atmosphère de ce décor est désolante : mais je n’ai jamais trouvé que la Traviata était une œuvre particulièrement gaie, et affirmer que tous les moments d’apparente gaieté sont en permanence ombrées par le désespoir et la mort ne me paraît pas très contestable.

Ils sont si nombreux, ces Beckmesser qui voient dans les metteurs en scène la source de leurs malheurs à l’opéra : l’opéra, donné pour mort il y a encore trente ans, le serait réellement si l’opéra n’avait pas été revivifié par eux. On peut bien accepter quelques égarements pour cela. Surtout, dans le paysage théâtral français d’aujourd’hui qui est navrant, il n’y a, je crois, qu’à l’opéra qu’on peut voir du théâtre de cette qualité.

À tous les participants de ce spectacle : merci.

*Ce qui me conduit à recommander chaleureusement à ceux qui ne l’ont pas fait la lecture du roman (plutôt que de la pièce qu’il en a tiré), qui mérite mieux que l’oubli dans lequel il est presque tombé, et qui n’est pas réservé aux jeunes filles.

2 commentaires:

  1. Raffaello5/2/10 20:29

    Un dvd de cette production est-il annoncé?

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  2. Malheureusement non. Je crains que la notoriété de Jonas Kaufmann, en rendant les négociations juridiques plus épineuses, finisse par être un obstacle, et évidemment ce n'est pas l'Opéra de Paris version Joel qui fera avancer les choses...

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