Don Giovanni
La très relative bonne surprise est venue de Don Giovanni : l’équipe Sven-Eric
Bechtolf (mise en scène)/Christoph Eschenbach (direction) ne m’inspirait aucune
confiance, mais il n’y avait vraiment rien d’autre ce soir-là, et ma foi, mon
attachement pour le Festival fait que j’aime bien savoir ce qui s’y passe,
fût-ce parfois au prix d’une soirée pénible. Sur la
production de Bechtolf, la seule chose positive que je peux dire est que c’est
toujours mieux que son insupportable Ariane
à Naxos dans ce même lieu (qui existe désormais en DVD, quel bonheur) : c’est très ennuyeux, il n’y a aucune idée,
mais au moins, justement, il n’y a aucune idée, ce qui est mieux avec lui que
quand il y en a. Tout se passe dans un hall d’hôtel, comme dans la production
de Keith Warner que j’avais vue au Theater an der Wien il y a longtemps et qui
datait d’il y a encore plus longtemps. Soit.
La distribution, elle, n’est naturellement pas du niveau que
j’attends à Salzbourg ; le mieux, c’est D’Arcangelo et Pisaroni, qui ont
de toute façon chanté leurs rôles sur toutes les scènes du monde ; il n’y
a en revanche pas grand-chose à sauver des autres, de ceux qu’on aurait voulu
nous faire « découvrir » : Lenneke Ruiten en Donna Anna manque
de couleur et de poids, mais elle a l’excuse qu’Eschenbach semble ne pas du
tout s’intéresser à son personnage ; Annett Fritsch (Elvira) est tout à fait
inexistante ; quand à Andrew Staples (Ottavio), on aimerait en dire autant, tant le
timbre est insupportablement aigre (à ce point, on se dit que ce ne peut être
qu’une méforme passagère ; je ne crois tout de même pas qu’Alexander
Pereira nous aurait offert ça volontairement).
La relative bonne surprise, donc, horresco referens, c’est Eschenbach lui-même, et les Viennois avec
lui. Les deux dernières fois que j’avais vu DG à Salzbourg, dans la peu
reluisante production de Claus Guth, c’était sous de Billy (calamiteux) puis
Nézet-Séguin (inexistant et chichiteux). Là, bien sûr, ça manque pas mal de
théâtre, il y a des moments de creux, et on sent encore et toujours que les
baroqueux c’est le mal, et c’est très lent ; mais tout de même, c’est
tenu, il y a une logique et une cohérence dans cette lenteur. Mon souvenir
précédent d’Eschenbach à l’opéra, c’était le Ring du Châtelet en 2005, un
naufrage inégalable ; vous pouvez donc penser que je n’étais pas prêt à
beaucoup de mansuétude, et pourtant voilà : non seulement je trouve qu’il
aurait été très injuste qu’il reçoive les mêmes huées que l’année dernière pour
Così, mais j’ai même trouvé qu’un peu
plus de chaleur à son encontre lors des saluts n’aurait pas été volée. Ce n'est pas mon Mozart, mais c'est un Mozart digne et cohérent. On
reverra Eschenbach faire une apparition côté concerts, pour une étrange et intéressante soirée.
Fierrabras
Le point commun avec Fierrabras,
c’est l’orchestre, ces Viennois qui m’intéressent beaucoup moins que leurs
concurrents directs, Berlinois, Radio Bavaroise ou Concertgebouw. Le choix de
monter le dernier opéra achevé de Schubert avait été à l’origine une réponse au
souhait de Nikolaus Harnoncourt de diriger cet opéra ; Harnoncourt ayant
renoncé pour raisons d’âge, c’est Ingo Metzmacher, qui devait diriger le
Dalbavie, qui a récupéré le bébé. J’aime beaucoup Metzmacher dans le répertoire
moderne, j’avais quelques interrogations pour Schubert, mais elles se sont
révélées infondées : un son très riche, varié, vivant ; un vrai
professionnel efficace et compétent, ça vaut souvent mieux que les stars de la
baguette à la mode, et au moins dans ce répertoire rare l’or
chestre ne peut pas se reposer sur ses habitudes.
chestre ne peut pas se reposer sur ses habitudes.
![]() |
Saurez-vous reconnaître les gentils des méchants ? Fierrabras vu par Peter Stein. Photo Salzburger Festspiele/Monika Ritterhaus |
Côté mise en scène, c’est
Peter Stein qui signe le pensum : Stein est un type extrêmement sympathique,
qui après avoir pensé quand il était jeune que tous les vieux étaient des
imbéciles, a découvert en devenant lui-même vieux que c’était les jeunes qui
étaient des crétins. Il s’est donc réfugié dans un style rétro à souhait, qu’il
vend comme le retour à une vraie et authentique tradition (qu'il a été le premier à dynamiter quand il était jeune) ; et en effet, il refait pour Fierrabras la Cenerentola de Jean-Pierre Ponnelle, millésime 1974, avec des
décors constitués d’agrandissements de gravures (noir et blanc, donc). Dans le monde de Peter Stein, on peut encore sans scrupule peinturlurer le visage des (méchants) Maures en noir, au premier degré du racisme inconscient.
Par ailleurs, il
s’est visiblement dispensé de répéter avec les chanteurs qui parviennent à des
sommets de gaucherie, en particulier le jeune Benjamin Bernheim. C’est souvent maladroit (les lumières!!!), mais plus souvent encore
drôle, involontairement ; le plus comique (réel succès autour de moi),
c’est le cœur rouge qui apporte la seule touche de couleur du spectacle, en guise d’image finale. La dernière fois que j'avais vu un spectacle de Peter Stein, c'était La Cruche cassée, au Berliner Ensemble : ce que je peux en dire, c'est qu'il y avait des poules (des vraies, vivantes), et qu'elles étaient les seules à déranger un peu la poussière. Là, hélas, ni poules, ni rats*...
Difficile de dire, dans ces conditions, ce qu'il faut penser de l’œuvre, à laquelle Alexander Pereira semble tenir beaucoup (cf. le DVD de Zurich avec Jonas Kaufmann) : le surtitrage est une invention diabolique, parce qu'on ne peut souvent s'empêcher de rire à la lecture détaillée du texte, et le livret ne crée jamais une situation dramatique intéressante ; on sent tout de même Schubert là-dessous, dans les chœurs, parfois dans les ensembles, assez peu dans les airs - concentrons-nous plutôt sur les dizaines de chefs-d’œuvre réels que nous a laissés Schubert !
*Allusion subtile à la mise en scène de Lohengrin à Bayreuth par Hans Neuenfels, dont je vous reparlerai.