vendredi 20 mars 2009

Weiss du, wie das wird ? (2)

À l’inverse du bilan plutôt encourageant de la production à proprement parler musicale, le basculement du monde lyrique parisien, commencé avec la décadence du Châtelet dont j’ai largement parlé, vers la vulgarité et le populisme, semble désormais irréversible, et ce d’autant plus que la critique face à cette évolution semble un tabou absolu. Le Châtelet, on le sait désormais depuis plusieurs saisons, a préféré troquer Henze, Wagner ou Berg contre Bernstein, Messager ou je ne sais quelle Nouvelle star : on a, d’une certaine façon, passé ce changement par pertes et profits : j’attendais autre chose d’une municipalité de gauche qu’une telle politique culturelle d’extrême-droite, mais les dés en sont jetés depuis longtemps.

Du côté de l’Opéra-Comique, le bilan des premières saisons de Jérôme Deschamps, que j’avais accueilli avec enthousiasme, ne laissait guère d’espoir (j’y reviendrai dans un prochain message). Jérôme Deschamps se plaint d’un budget trop restreint, mais faut-il vraiment, en tant que spectateur, s’en plaindre, quand la prochaine saison, aux côtés d’un intéressant Pelléas (John Eliot Gardiner/Stéphane Braunschweig), propose d’indispensables chefs-d’œuvre comme Mignon d’Ambroise Thomas ou Fantasio de Messager ? Soyons honnête : je ne connais pas ces œuvres, et il est un peu imprudent d’en parler dans ces conditions. Mais j’ai subi, outre la Véronique de Messager au Châtelet, trop de « résurrections » de ces œuvrettes françaises polies, « raffinées », « légères », de L’Étoile de Chabrier à Fra Diavolo d’Auber, en passant par La Juive de Halévy (Bastille) pour croire encore à la prochaine fournée de chefs-d'oeuvre oubliés– tous ces immortels chefs-d’œuvre « bénéficiant » en outre de mises en scène à leur niveau, c’est-à-dire incapables de nous protéger de la médiocrité de l’objet du délit.

La nullité, dans le monde de la musique classique, n’est certes pas un phénomène inhabituel : cela fait des décennies que le public est abreuvé de sottises comme Le Trouvère ou Tosca (dont un critique parisien disait en 1903 qu’après la pièce originale de Victorien Sardou, ce n’était pas vraiment la peine de se fatiguer à aller en Italie si c’est pour en ramener une si pauvre chose). Le problème central, c’est le discours sous-jacent, à la fois populiste et terroriste, qui justifie cette évolution programmatique :l'idée centrale, c'est qu'il y aurait eu une sorte de complot d'intellos cosmopolites (tous ces metteurs en scène allemands, ou presque [par exemple le Néerlandais Johan Simons ou le Suisse Christoph Marthaler]) qui auraient pris en otage les institutions culturelles et leurs publics pour leur imposer la perte d'une identité (le remplacement du répertoire français comme fondateur d'une identité nationale par d'autres répertoires notamment étrangers et plus récents).

C'est, bien sûr, faire fi de l'adhésion d'une bonne part du public à l'évolution du monde lyrique (au nom du conservatisme des lyricomanes, qui croient avoir seuls le droit de définir ce qu'il doit être) ; c'est aussi, en bonne part, réduire le monde lyrique à la seule question de la voix, ce qui n'a guère d'intéret artistique ; c'est enfin, dans une démarche nationaliste et réactionnaire, l'idée d'un art qui serait un culte de soi, qui serait sentimentalité et émotion brute, excluant toute remise en question, tout inconfort**, et faisant de l'effort et de la réflexion une exigence condamnable. On en revient à ce qu'était l'opéra en France avant Rolf Liebermann (que les réactionnaires ne se privent pas d'encenser pourtant), aux alentours de 1970 : logique quand certains osent dire que les malheurs de la France viennent des idées de mai 1968.

L’Opéra de Paris, une fois Gerard Mortier parti, s’engouffre sur la même voie : on connaissait les conceptions réactionnaires de Nicolas Joël, autoproclamé grand connaisseur des voix et metteur en scène grand amateur de kitsch et d’illustration au premier degré, et cette première saison le montre hélas amplement. Prenons le spectacle d’ouverture de la saison : Mireille de Gounod, monté par le maître soi-même, une oeuvre que j'ai fait l'effort d'écouter pour me faire un avis : un monument de niaiserie du point de vue dramatique, une musique polie de faiseur, le tout dans une mise en scène sans aucun doute illustrative. Il en va un peu de même pour Andrea Chénier de Giordano, qui plus est dans une mise en scène d'un des meilleurs représentants du marasme culturel et intellectuel italien, Giancarlo del Monaco, tandis que d'autres opéras seront présentés dans des productions qui n'avaient plus été montrées depuis l'ère Gall, histoire de bien montrer qu'on efface les années récentes. C'est bien là, de façon purement technique, le sens du mot "réaction" : renier hier pour ressusciter avant-hier.

Et c’est pour laisser la place à ces splendeurs que M. Joël chasse du répertoire des productions comme le Parsifal de Krzysztof Warlikowski – gaspillant ainsi le formidable travail effectué par l’orchestre sur cette production –, acte qui est pire qu’une simple négligence : du pur vandalisme, comparable à celui des bourgeois imbéciles qui, vers 1800, ont détruit sans scrupule l’abbatiale de Cluny, chef-d’œuvre de l’architecture gothique.

Pendant ce temps, Mme Albanel se bat pour imposer un texte de loi que chacun sait inefficace et inutile*, et un sbire mal famé croit défendre l’Identité nationale en raflant sans discernement les Jean Valjean du monde moderne : tout cela est logique.

Heureusement qu’il reste Pierre Boulez pour me faire encore un peu croire que la France peut être encore aujourd’hui un pays de culture.

*Ce qui ne veut pas dire que je défende le téléchargement sans limites, mais qu'une pratique ne soit pas licite ne justifie pas le fait qu'on lutte contre elle avec des armes inadaptées.

**Je parle d'inconfort intellectuel ici; l'inconfort physique, à l'Opéra-Comique, nous est donné sans compter !

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