vendredi 30 septembre 2011

Vingt ans !

Vingt ans ! Oui, c’était début octobre 1991 que j’ai mis mes pieds – et mes oreilles – pour la première fois dans une salle d’opéra : Metz, La Flûte enchantée, 3e balcon, j’ai largement oublié le reste (je me souviens simplement que la mise en scène était l’œuvre de la directrice de l’époque et que Marc Barrard chantait Papageno, en truffant ses airs de phrases en français).
Depuis ? À peu près 500 représentations, dont peut-être la moitié à l’Opéra de Paris ; un mélange plus ou moins satisfaisant entre les siècles (trop peu de XVIIe, ce qu’il faut de XXe et de XXIe, et quand même un peu trop de XIXe – non que j’aie quelque chose contre la musique du XIXe siècle, mais cette fatalité qui veut qu’avec la meilleure volonté du monde ce siècle finisse par occuper la moitié de nos soirées lyriques est parfois un peu pesante) ; des soirées catastrophe, mais aussi des satisfactions musicales à foison qui rendent bien dérisoires les coassements des « grands connaisseurs » pour qui le niveau baisse irrémédiablement ; la découverte passionnante de l’art de la mise en scène (avec sans doute l’inoubliable Wozzeck de Patrice Chéreau, lors de sa dernière reprise parisienne, comme élément déclencheur).
L’opéra a été ma porte d’entrée pour le vaste monde du spectacle vivant et de la musique, avec un intérêt qui a toujours concerné l’œuvre avant ses interprètes, si bien que je n’ai jamais été ni nécrophile (ces gens qui vont à l’opéra une fois tous les 10 ans mais dissertent si admirablement sur les mérites des chanteurs morts il y a plus de 50 ans, dont ils distinguent la puissance à travers les brumes sonores les plus épaisses), ni glottolâtre (ceux qui vivent de contre-uts, de typologies vocales gravées dans le marbre et de sorties des artistes), ni discophage (j’ai en général une et une seule version discographique de chaque œuvre). Dieu merci.
Dire que je suis parti de là, c’est dire aussi, nécessairement, que je m’en suis éloigné. Et de fait, ce qui constituait la majorité des spectacles que je voyais à une époque n’en est même plus le cinquième – soit tout de même deux, trois, quatre fois plus que ce voit l’abonné moyen d’une grande salle européenne. Je m’en suis éloigné parce que la danse, le théâtre, la musique symphonique, la musique de chambre sont venus me séduire. Je m’en suis éloigné aussi parce que l’opéra sait parfois se faire détester, quand il verse dans le star-system, quand il défend aussi opiniâtrement des partitions de troisième ordre, quand il confine à l’événement mondain, quand le spectateur se fait traiter avec autant de mépris qu’à l’Opéra de Paris.
L’opéra, pour moi, ce n’est pas de la culture en soi. Pas plus que le cinéma, pas plus que le théâtre, avec seulement la prétention de constituer un non plus ultra culturel. L’opéra, c’est parfois comme si on confondait Max Pécas et Ingmar Bergman, Gérard Zidi et Aki Kaurismäki, Chris Columbus et Fritz Lang. Il suffit de jeter un coup d’œil à l’actualité : entre Faust mis en scène par Jean-Louis Martinoty à l’Opéra de Paris et le Netrebko-show au Met (Anna Bolena, œuvre du reste un peu plus intéressante quand même que Faust !), ça donnerait presque envie de faire une cure de rattrapage sur les programmes de soirée de TF1 (au moins sur TF1, il n’est pas nécessaire de subventionner la bêtise !).
Mais bien sûr, l’opéra n’est pas que ça, et si je continue à y aller – depuis 20 ans, et sans doute pendant encore quelques décennies ! – c’est que l’opéra, ce n’est pas que ça. D’abord parce qu’il y a ce corpus précieux entre tous, celui des œuvres qui font rêver même les mélomanes les plus rétifs à l’art lyrique : des opéras de Wagner à Monteverdi, de Mozart à  Berg, de Pelléas au Château de Barbe-Bleue. Ceux où la musique pure se suffit à elle-même, où l'intérêt dramatique n'est qu'un surcroît de plaisir. Ces œuvres qui ne sont pas au service d'un vulgaire ténor ou d'une vulgaire soprano, mais qui portent les équipes qui se mettent à leur service.
Il y a aussi des œuvres dont l'intérêt musical est indissociablement lié à leur efficacité dramatique - et par dramatique, je ne parle pas d'une sensibilité premier degré, mais de la capacité à construire une émotion, à faire vivre des personnages et des idées, à construire une progression narrative : tout ce que ne sait pas faire un certain grand répertoire. C'est le miracle des opéras de Haendel, c'est le miracle des Bassarides de Henze, ce pourrait être, s'ils étaient abordés avec un peu plus de soin et de curiosité, le miracle de certains opéras belcantistes.
Ce qui me frappe toujours plus depuis quelques années, c'est l'immense diversité de ces quelques dizaines de milliers d’œuvres, dont nous ne connaissons au mieux que quelques centaines (j'ai vu environ 200 opéras différents, et je dois en connaître quelques dizaines de plus par le disque). Vous connaissez le vieux schéma du ténor qui aime la soprano que convoite le baryton : quand on se limite à Donizetti, Verdi et Puccini, il faut bien dire que ce schéma n'est pas loin de la vérité, mais quel appauvrissement ! L'opéra peut être aussi satire acide (Le nez de Chostakovitch), comédie politique échevelée (Agrippina de Haendel), il peut prendre les dimensions de l'épopée (La guerre et la paix de Prokofiev) ou renoncer pour ainsi dire à la narration (De la maison des morts de Janáček), faire parler les Dieux (le Ring de Wagner) comme les animaux (La petite renarde rusée de Janáček), nous emmener chez le prolo (Il Tabarro de Puccini) comme chez la reine (je vous laisse choisir), nous faire entendre du hongrois, du tchèque, du polonais, de l'espagnol, du russe, et même parfois du français ou de l'anglais comme partout ailleurs, jouer la séduction immédiate comme l'austérité absolue (Moïse et Aron de Schoenberg, une œuvre vraiment passionnante), faire vivre la philosophie (Doktor Faust de Busoni) comme la tourner en dérision (La patience de Socrate de Telemann).

Donc, en conclusion, un seul mot :

Vive l'opéra !




(pour encore au moins 20 ans...)
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