vendredi 31 janvier 2014

Opéra de Paris - 2014/2015

Une fuite assez incompréhensible, sur le site d'une agence de voyage japonaise (merci Google Translate...), a informé le monde entier un peu étonné du programme de la prochaine saison de l'Opéra de Paris. En matière d'opéra, beaucoup de rumeurs étaient connues, et surtout il manque sans doute quelques productions (il y en a 16 dans la liste ci-dessous contre 18 à 20 habituellement) ; on avait cru comprendre que la saison s'ouvrirait sur Moïse et Aron de Schönberg mis en scène par Romeo Castellucci, à la place de Patrice Chéreau, ce qui serait une très bonne nouvelle (à la fois parce que Castellucci et parce que Moïse et Aron, qui est tout sauf le monument froid et rébarbatif qu'on croit), c'est sans doute en fait pour la première saison effective (donc la suivante) du mandat de Stéphane Lissner. En tout cas, rien ici ne porte la marque particulière du nouveau patron et la saison, sous réserve naturellement du comblement des manques, est tout aussi terne que l'actuelle :

[NB: dans cette liste comme la suivante, je conserve par paresse l'ordre japonais des dates, année/mois/jour)]


2014/9/8 ~ 10/12 Bastille La Traviata (reprise de l'ère Joel)
2014/9/19 ~ 11/3 Bastille Le Barbier de Séville (reprise de l'ère Gall)
2014/10/10 ~ 11/28 Bastille Tosca (antique production pré-Gall, 1994 - mauvaise un jour, mauvaise toujours)
2014/10/16 ~ 2015/2/15 Garnier L'Enlèvement au Sérail (nouvelle production d'une œuvre trop rare à Paris et que j'apprécie de plus en plus, hélas confiée à une people sans expérience, Zabou Breitman)
2014/11/20 ~ 12/18 Garnier Hänsel et Gretel (reprise de l'ère Joel)
2014/11/30 ~ 12/30 Bastille La Bohème (nouvelle production, apparemment)
2015/1/15 ~ 2/14 Bastille Don Giovanni (reprise de l'ère Mortier : la production de Hanecke est la seule ou presque des grandes réussites de l'ère Mortier que Monseigneur Nicolas Joel a daigné reprendre)
2015/1/22 ~ 2/17 Bastille Ariadne auf Naxos (reprise de l'ère Gall - beaucoup vue et pas franchement inoubliable ; si en plus c'est à nouveau Philippe Jordan qui dirige, tous aux abris)
2015/2/7 ~ 2/28 Bastille Pelléas et Mélisande (reprise de l'ère Gall, d'une production initialement produite par Mortier à Salzbourg - une assez belle production, bien connue et depuis peu éditée en DVD)
2015/3/2 ~ 3/28 Bastille Gounod; Faust (reprise de l'ère Joel, d'une des légendaires catastrophes de ce brillant mandat)
2015/3/27 ~ 4/21 Garnier Massenet; Le Cid (nouvelle production - Massenet, cette incarnation musicale de la poussière, si chère aux amateurs d'opéra travail-famille-patrie. En prime, vous aurez Roberto Alagna)
2015/4/3 ~ 4/26 Bastille Rusalka (reprise de l'ère Gall, d'une des plus belles productions de Robert Carsen - et naturellement l'oeuvre est fabuleuse, mais vous le savez tous)
2015/4/17 ~ 6/28 Bastille La Flûte enchantée (reprise de l'ère Joel)
2015/5/16 ~ 6/14 Bastille Chausson; Le roi Arthus (et non le King Arthur de Purcell qui n'aurait naturellement rien à faire à Bastille - une oeuvre que je ne connais pas, mais que je préfèrerais découvrir sans Sophie Koch et Roberto Alagna !)
2015/6/16 ~ 7/15 Garnier Gluck; Alceste (reprise de l'ère Joel, dont on peut se passer : ni Olivier Py, ni Marc Minkowski n'étaient au sommet de leur forme l'automne dernier)
2015/6/23 ~ 7/15 Bastille Cilea; Adriana Lecouvreur (nouvelle production - l’œuvre n'est pas indispensable, et on remarquera l'admirable obstination de Nicolas Joel à produire ces œuvres véristes qui coûtent cher et n'intéressent pas les foules ; ceci étant, parmi les pensums produits par lui, celui-là n'est certainement pas le pire)

Ce n'est pas très gentil, mais je vais vous faire attendre un peu pour le ballet, où la saison est incontestablement plus intéressante.

mercredi 22 janvier 2014

La force de l'utopie. Claudio Abbado in memoriam

À quoi bon, mes amis ? Claudio Abbado est mort, et on ne sait pas trop quoi dire qui n'ait été dit mille fois. Je l'ai vu en tout et pour tout une toute petite dizaine de fois - dans son ultime carrière, depuis son retour après sa terrible maladie -, sans aller l'entendre dans son Olympe de Lucerne (erreur), et n'étant pas discophile je n'ai finalement pas tant de disques de lui. Je n'ai pas de compétence particulière, pas d'expérience extraordinaire comme peuvent en avoir ceux qui le suivaient depuis des décennies, simplement ma relation de mélomane avec lui, comme tant d'autres mélomanes.
Mais, si banale qu'elle soit dans la république des mélomanes, cette relation, pour moi, est une des plus fortes que j'ai eues. Parce que Claudio Abbado chef d'orchestre a été un interprète exceptionnel, et je me souviens de cette "Grande" symphonie de Schubert donnée en mai 2002 à la Cité de la Musique avec le Chamber Orchestra of Europe - le retour à la vie d'un miraculé, et pour moi une expérience d'une intensité presque traumatisante, m'empêchant d'applaudir (c'est sans doute depuis ce jour-là que j'ai de moins en moins envie d'applaudir au concert - à quoi bon faire du bruit quand la musique a parlé ?). Interprète exceptionnel, évidemment, et un interprète qui n'est pas humaniste qu'en paroles, avec cette chaleur et cette proximité irradiante qui, à travers la personne du chef, vous mettent nez à nez avec l'oeuvre qu'on devait, j'imagine, ressentir avec Carlos Kleiber et qu'on ressent aujourd'hui souvent avec Mariss Jansons.
Mais ce qui rend Abbado exceptionnel, plus encore que Jansons par exemple qui, si admirable soit-il, est interprète et seulement cela, c'est la manière dont, sans jamais sortir de sa modestie d'interprète, il a contribué à façonner la vie musicale de son temps. Pensons à cette Italie des années de plomb où, avec ses compagnons de marche, Berio, Nono, et Pollini qui seul nous reste, il a contribué à ancrer la musique dans les utopies de notre temps - en nos temps où se moquer des utopies est devenu le sceau suprême de l'intelligence, que cette leçon puisse être rappelée. Pensons à cette capacité d'entraînement qui a fait de tant de musiciens d'orchestre, au fil des orchestres fondés - ne citons que le Gustav Mahler Jugendorchester, encore aujourd'hui l'un des meilleurs orchestres du monde, fondé en 1986 pour que la musique passe les frontières du rideau de fer -, des compagnons et des partenaires, dans une vision de la musique qui se nourrissait toujours de dialogue et d'écoute - les grandes symphonies de Mahler comme des joyaux chambristes. Pensons enfin à son engagement constant pour la musique de son temps, y compris quand il s'est agi de faire évoluer le mastodonte berlinois de l'immobilisme marmoréen de l'ère Karajan à ce qu'il est aujourd'hui, l'un des orchestres les plus passionnants bien au-delà de la question du niveau technique : pour ce qui m'intéresse le plus, je n'oublierai pas que c'est lui qui, en 1994, a commandé et créé à Berlin l'un des derniers chefs-d’œuvre orchestraux du XXe siècle, Stele de György Kurtág.
Je ne vois pas de conclusion meilleure pour conclure ce petit propos que de citer cette épitaphe trouvée par son ami Luigi Nono :

Caminantes, no hay caminos, hay que caminar. Vous qui cheminez, il n'y a pas de chemin, il n'y a qu'à marcher.
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