mercredi 11 avril 2007

Répertoire (1)

J'ai déjà suffisamment dit du mal sur La Juive pour ne pas recommencer un mois plus tard avec Louise, une oeuvre sans doute encore plus pauvre musicalement que celle-ci - mais, à vrai dire, un petit peu moins ennuyeuse qu'elle, parce qu'elle est plus variée (encore que l'exaltation pour touristes de Paris est particulièrement agaçante).
Je préfère donc parler un peu de répertoire. La définition est simple: le répertoire, c'est ce qui est actuellement joué (dans une maison d'opéra ou plus largement dans le monde lyrique en général). Il y a, évidemment, des degrés de présence dans le répertoire, et même si cela n'étonne personne qu'on joue La Femme sans ombre de Strauss ou tel opéra de Haendel, ils ne sont pas aussi centraux dans le répertoire que les grands Mozart, les grands Verdi ou, hélas, les "grands" Puccini.
Sur les quelque 30 000 opéras qui ont été écrits depuis les origines de l'opéra (chiffre très approximatif), on aura du mal, même en cherchant large, à dépasser quelques centaines, le coeur de répertoire, lui, ne dépassant pas la centaine de titres.
Le répertoire actuel pose donc plusieurs problèmes:
  • Il est trop étroit et favorise beaucoup trop le plaisir de la reconnaissance (celui des enfants qui préfèrent manger des frites et des pâtes parce que c'est ce qu'ils connaissent) sur celui de la découverte, qui est le vrai plaisir culturel. Bien sûr, le public est en bonne partie cause de cette paralysie, mais aussi le système de production qui amène les chanteurs à trop voyager, ce qui limite d'autant leur possibilité d'apprendre de nouveaux rôles, et qui favorise des productions très lourdes financièrement et matériellement et manque donc de souplesse (produire une oeuvre rare coûte aussi cher que produire une Tosca, pour des retombées bien moindres).
  • Il est peu représentatif de l'ensemble du corpus lyrique: la faute en est particulièrement au XIXe siècle qui domine sans aucune justification qualitative la scène mondiale; il est frappant que même les deux "redécouvertes" (pitoyables) de Gerard Mortier à Paris cette saison (La Juive et Louise, donc) appartiennent aussi à ce siècle. Si on veut redécouvrir le répertoire, il existe bien d'autres champs à parcourir: on ne conaît presque rien de l'opéra italien de la 2e moitié du XVIIe siècle (vérifiez dans votre mémoire et votre discothèque); l'Opéra n'a jamais joué des opéras de la magnifique école de Hambourg (vers 1690-1730), avec des compositeurs extraordinaires comme Keiser et Telemann; et bien sûr il y a tout un travail à faire sur l'opéra du XXe siècle, qui disparaît trop vite du répertoire après sa création alors que certains mériteraient sans aucun doute de figurer au répertoire. Mais, me direz-vous, le patrimoine NATIONAL, l'opéra FRANÇAIS, qui devraient être une mission pour l'Opéra de Paris? D'abord, très franchement, je ne crois pas à cette soi-disant mission, que je trouve nauséabonde (bien dans le ton de notre campagne électorale...). Ensuite, si le nationalisme artistique devient une valeur plus importante que la qualité des oeuvres, il y a bien d'autres oeuvres qu'on pourrait remonter plutôt que ces vieilles lunes: ne parlons même pas de l'opéra baroque, où les lacunes restent immenses (sans même parler de Campra, que dire de Lully, que l'Opéra ne joue pas du tout?); mais après tout, il existe tout un répertoire des années 20 à 60 (de ce siècle), avec des oeuvres qui à l'époque ont été des flops plus ou moins marqués il est vrai, mais dont certaines mériteraient peut-être qu'on aille voir? Qui s'y colle?
  • Enfin, vous l'aurez compris, il est pour moi évident que le répertoire actuel ne répond pas à des critères de qualité, mais à une sorte de popularité par héritage qui n'a de justification que par elle-même. Les choses évoluent parfois dans le bon sens, quand on voit qu'aussi bien Faust de Gounod qu'Aida de Verdi sont en train de glisser lentement hors du répertoire et qu'en échange certains opéras de Haendel (pas toujours les meilleurs: Ariodante et Rinaldo prennent trop de place par rapport à Rodelinda ou Agrippina), mais c'est encore bien trop lent. Le problème est que cet immobilisme contribue fortement à enfermer l'opéra sur lui-même, dans la mesure où l'amour d'un lyricomane pur pour Tosca va être difficile à communiquer pour quelqu'un qui ne l'est pas et qui risque fort de voir que le roi est nu, c'est-à-dire que l'histoire est stupide et la musique d'un sentimentalisme vulgaire...
Je continuerai à parler de répertoire, ce qui explique que ce message porte un numéro 1: mais ce ne sera peut-être pas pour tout de suite. Je sais que mes messages sont trop longs pour la blogosphère...
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