vendredi 29 novembre 2013

La Femme sans ombre, Munich toujours

Si vous suivez l'actualité du monde lyrique, vous n'êtes pas sans savoir que l'Opéra de Munich a fêté simultanément les 50 ans de la reconstruction de sa salle historique et l'entrée en fonction de son nouveau directeur musical, l'extraordinaire Kirill Petrenko, par une nouvelle production du premier opéra à y avoir été donné en 1963, La Femme sans ombre donc - l'enregistrement, qui avait été diffusé à l'époque par Deutsche Grammophon, vient de reparaître chez Brilliant Classics, et je vous laisse en lire la distribution :


L'Opéra de Bavière, bien heureusement, n'a pas repris la production de 1963 - qui n'existe évidemment plus, et dont l'auteur, Rudolf Hartmann, avait déjà mis en scène l’œuvre dans la maison en... 1936 ! -, mais confié la réalisation scénique de l'opus magnum de Strauss et Hofmannsthal à un des plus grands artistes du théâtre contemporain, le bien-aimé Krzysztof Warlikowski, assisté de l'une des plus grandes plasticiennes du théâtre contemporain, Małgorzata Szczęśniak.
 Je ne vais pas vous redire ce que j'ai déjà dit dans ma longue critique Resmusica, il vous suffit de cliquer sur cette (très belle) image pour y accéder (mais ne quittez pas ce message tout de suite, il y a encore à voir ci-dessous :

http://www.resmusica.com/2013/11/27/munich-retour-sur-la-femme-sans-ombre-par-kirill-petrenko/
Die Frau ohne Schatten à Munich, photo (c) Wilfried Hösl
 Vous l'aurez compris, en tant que spectacle visuel et pour l'orchestre, il faut courir à Munich - mais vous pouvez aussi voir le spectacle de chez vous, ce dimanche à 18 h - attention, il n'y aura pas de possibilité de replay, mais le spectacle devrait sortir ultérieurement en DVD. La fiabilité technique de ces livestreams n'est pas optimale, mais si ça marche vous aurez même la possibilité de bénéficier de sous-titres allemands et anglais.
Mais vous n'êtes pas obligés d'attendre pour écouter cette œuvre : regardez donc cette excellente version de concert (ou plutôt écoutez-la, car il n'y a de toute façon pas de sous-titres), mise en ligne gratuitement par la radio publique néerlandaise : non seulement le chef Vladimir Jurowski tient la route par rapport à Petrenko, mais le casting y est encore supérieur à ce que propose Munich, en particulier l'Impératrice extraordinaire d'Anne Schwanewilms.



(je ne vous mets ici que le premier acte, vous trouverez facilement la suite !).

Et rendez-vous avec Munich sur ce blog et sur Resmusica fin décembre : cette fois, au menu, ce sera (comme vous avez pu le voir dans le message précédent), La Forza del Destino avec Jonas Kaufmann et Anja Harteros. Je ne serai pas à la première, mais vous attendrez un peu...

mercredi 27 novembre 2013

À quoi sert la mise en scène - Pourquoi je suis allé revoir Le Trouvère

Pourquoi suis-je retourné voir Le trouvère à l'Opéra de Munich il y a quelques jours, alors que je l'avais déjà vu (et critiqué pour Resmusica) cet été, et que ce n'est vraiment pas mon répertoire ? Oui, bon, d'accord, parce que Jonas Kaufmann ; mais pas que.
Et pourquoi est-ce que je ferai le voyage dans les derniers jours de 2013 pour aller voir La Force du destin dans ce même opéra, alors que c'est sans doute un des livrets les moins défendables de tout le répertoire italien du XIXe siècle qui a pourtant réalisé des prouesses en ce domaine ? Oui, d'accord, pour Kaufmann et Harteros ; mais pas que.

mercredi 6 novembre 2013

Kylian et les autres, modernités et autres

Je ne voudrais pas que ce blog devienne trop franchement des mémoires d’ancien combattant, mais il n’y a rien de mal à avoir, en tant que spectateur, un passé – d’autant plus que, non mais, j’espère bien que mon avenir de spectateur sera au moins deux fois aussi long que mon passé, ce qui me laisse encore un bon moment à passer. Voilà : la première fois que j’ai vu Doux Mensonges, c’était lors de la création, en mai 1999, et j’avais détesté ce qui me paraissait un pensum désincarné, porté par la musique trop aride de Gesualdo et Monteverdi, loin des Kylián que je connaissais déjà par les deux tournées à Garnier du Nederlands Dans Theater de 1997 et 1998. Mais lorsque le ballet a été repris pour la première fois en 2001, je suis entré à Garnier en sachant que j’allais aimer ce spectacle que j’avais détesté deux ans plus tôt. Tel est le travail de la mémoire, telle est aussi l’importance de la confrontation, condition absolue pour qui veut avancer et pas simplement aller récolter sa dose formatée de beauté garantie pur sucre : sans même que j’ai besoin d’y repenser explicitement, encore moins de me livrer à un travail d’analyse, l’objet étranger était devenu une partie de moi-même.
Autant dire qu’en entrant à Garnier en ce soir de première, c’est le plaisir de revoir enfin ce chef-d’œuvre qui domine, plaisir à peine voilé par la désagréable pingrerie dont fait preuve une fois de plus Brigitte Lefèvre en proposant un programme d’à peine une heure de danse (ce qui est déjà mieux que Kaguyahime du même Kylián, qui n’atteignait qu’à grand-peine les 60 minutes). La soirée confirme ce qu’on pouvait attendre du versant contemporain de la programmation du ballet de l’Opéra : elle est en quelque sorte une confrontation entre Brigitte Lefèvre et elle-même, Brigitte 1999 contre Brigitte 2013. Et – surprise – la victoire de la première est sans appel.
Il y a deux tendances dans la programmation contemporaine de l’increvable Brigitte ces dernières années : la tendance que nous qualifierons élégamment de fashion-hype, façon Boléro de Cherkaoui ou Psyché de Ratmansky, qui garantit l’attention des journaux people et permet de se donner une image flatteuse de protectrice des arts (un couturier à la mode, un vague designer en quête de légitimité artistique) ; et la tendance fin du monde/mal de vivre contemporain, des Prisonniers du Labyrinthe de Michèle Noiret à Abou Lagraa. Les interviews de Saburo Teshigawara avant la création de Darkness is hiding black horses ce jeudi soir, comme le titre même de la pièce, ne laissaient pas douter que c’était le quota intello-sinistre que la pièce devait aider à remplir. Sinistre, la pièce l’est, mais elle ne fournit pas beaucoup d’occasions de stimuler l’intellect, tant la forme est pauvre, les effets attendus et niais. Ainsi de la lumière qui s’éteint alors que Le Riche et Dupont sont en plein vol : la recherche d’un effet de suspension poétique est tellement patent qu’il tombe à plat (sans compter que, samedi après-midi, le technicien de service a éteint la lumière quelques fractions de seconde trop tard). Les costumes, des espèces de robes pendouillantes, ont pour fonction de prolonger dans l’espace une gestuelle qui entend casser la verticalité naturelle du corps des danseurs, quadrumanes ancrés dans le sol : la platitude de l’ensemble est d’autant plus redoutable que les effets d’obscurité et de fumée annoncés comme donnant l’identité de la pièce se réduisent à pas grand-chose. De trous dans le plancher de la scène sortent de petites fontaines de fumée alignées et bien dérisoire ; quand à l’obscurité, c’est tout simplement le fond de scène qui est plongé dans le noir : on pourrait y faire danser sans dommage (presque) n’importe quel Balanchine, tant cette obscurité ne cache rien, pas même les chevaux fournis en surabondance par la bande-son.
La pièce de Trisha Brown n’a hélas pas tout à fait la grande force de sa création pour l’Opéra, ce O zlożony tant décrié à tort par tant de balletomanes (j’irais jusqu’à dire que la pièce est un peu comme In the night de Robbins, sauf qu’elle est intéressante et émouvante), et elle est dansée trop légèrement par des membres du corps de ballet dont on voit trop la volonté de bien faire. Dans cette pièce naturaliste – façon Beach Birds de Cunningham, si on veut –, qui crée une relation étrange entre le spectateur, le regard du photographe Robert Rauschenberg et des êtres insaisissables dessinés par les danseurs, dans cette situation volontaire de non-communication, il faudrait une appropriation bien supérieure de la chorégraphie par les danseurs pour écarter l’impression d’ennui qui s’en dégage. Dommage.
Il faut donc attendre la fin de l’entracte pour voir enfin de la grande danse avec Doux Mensonges, l’une des rares créations de Jiří Kylián pour le Ballet de l’Opéra (avec l’inoffensif Il faut qu’une porte…, qui n’a jamais été ressorti des placards depuis sa création en 2004). Comme les deux œuvres précédentes, c’est une œuvre de chambre, avec deux couples mixtes et quelques chanteurs des Arts Florissants, alternativement sur scène et dans la fosse, ainsi qu’un caméraman qui filme les évolutions des danseurs dans les dessous de Garnier (magnifique usage de la vidéo, d’ailleurs : quand on pense à ce que certains nous infligent aujourd’hui comme des prouesses de technologie, il faudrait leur montrer ce que Kylián savait faire en 1999). Pour la millième fois, je pense, je vais chanter les louanges d’Alice Renavand, qui est à ce stade admirable de maturité artistique où toute la compétence technique se confond entièrement avec la puissance expressive, même dans un ballet aussi abstrait que celui-là (abstrait façon Kylián, c’est-à-dire une abstraction en même temps corporelle et émotionnelle). Elle en vient à masquer la qualité du travail de son partenaire Stéphane Bullion, comme toujours parfait dans l’effacement, en pur produit du goût parisien pour la demi-mesure ; et Eleonora Abbagnato, qui avait à sa meilleure époque, il y a dix ans, ce même magnétisme minéral, a beau très bien danser comme elle est loin de le faire toujours ces temps-ci, elle doit céder la prééminence à sa jeune consœur ­– c’est finalement le partenaire d’Abbagnato, Vincent Chaillet, qui réussit le mieux à rivaliser avec cette présence ravageuse.
Que dire d'autre sur le ballet de Kylián ? Il y a moins d'un an, je l'avais mis dans ma liste des "ballets oubliés" de l'Opéra ; en relisant ce que j'écrivais alors, sans l'avoir revu, par définition, depuis des années, j'ai sursauté en lisant l'allusion aux "vidéos en direct qui, alors, faisaient moderne" : c'est tout l'inverse, ces vidéos de 1999 "font" toujours moderne aujourd'hui, parce qu'elles sont toujours pertinentes et bien plus frappantes que beaucoup de choses qu'on a pu voir depuis, parce qu'elles sont étroitement imbriquées avec la danse, parce qu'elles portent le sens de la pièce autant que la danse. Admirable manière de clore une soirée de danse chambriste qui souligne un peu cruellement les errements d'une direction de la danse qui a perdu le sens de la création.

Et pour finir, en passant, puisqu'on parle de danse, félicitons Pierre-Arthur Raveau et François Alu, promus premiers danseurs ce jourd'hui par les hasards du concours de promotion du ballet de l'Opéra, qui pour une fois a su distinguer les grands artistes du jour. Croisons nos doigts pour les dames en fin de semaine.
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